Ce n’est un secret pour personne : la crise du Coronavirus a un effet notable sur le petit monde du VTT, et son industrie en particulier. Ces derniers temps, les annonces s’enchainent : les marques font savoir, une à une, que la disponibilité de leur produits est au plus bas, et qu’une hausse des prix entre en vigueur.
Un peu plus d’un an, jour pour jour, après le déclenchement de cette crise, le moment est donc bien choisi. Celui de faire le point sur ce que cette pandémie et ses effets nous apprennent, nous rappellent ou mettent en lumière, au sujet de l’industrie qui nous concerne. Le moment de laisser une trace, un récit, de ce qu’il s’est passé, et ce qui nous attend encore…
Plus de 80% du matériel provient d’Asie…
Le chiffre n’est pas ultra précis et peut faire débat, mais qu’importe. Au stade où nous en somme, c’est l’ordre de grandeur qui prime. Made in Taïwan, China, Japan, Vietnam, Indonesia, Bangladesh… Il suffit d’un simple coup d’oeil aux étiquettes pour le constater. Depuis des décennies maintenant, l’écrasante majorité des produits qui font nos vélos et tenues provient d’Asie.
Il ne s’agit pas de mettre toutes ces sources dans le même panier ou de nourrir un cliché. Nos précédentes enquêtes nous on appris que chacune a son savoir faire, son histoire et sa valeur. C’est plutôt l’occasion de souligner le poids de cette répartition. Dans nos échanges avec l’industrie, un constat récurrent ne manque pas de revenir. Depuis les années 80, la tendance n’a eu de cesse de concentrer les technologies et le savoir-faire de production en un endroit…
Si bien que juste avant que la crise ne se déclenche : hydroformer un tube, peindre de plusieurs couleurs, placer les marquages fins sous le vernis, ou trouver des fibres de carbone disponibles pour autre chose que l’aéronautique ou l’automobile ne se faisait facilement, et en quantité industrielle, que de ce côté-ci du monde…
Pour le meilleur et pour le pire.
Matières premières, chaines de transformation, outils logistiques… Les investissements se sont donc concentrés en une partie du monde. Ce qu’ils ont permis a eu un formidable effet sur la production des produits que l’on utilise : elle a progressé et s’est accélérée. Elle n’a d’ailleurs jamais été aussi prolifique dans l’histoire de l’humanité, que ces quelques dernières dizaines d’années. Cette vérité dépasse largement l’industrie du cycle.
comme sur l’autoroute lorsque tout le monde est lancé à grande vitesse…
D’une certaine manière, elle participe à une accélération exponentielle de notre capacité à dépenser l’énergie dont on dispose. Tant et si bien que de nos jours, pour faire certaines choses, il n’y a désormais que là-bas que c’est possible. Tout semble s’être organisé comme si l’élan était tel que l’effort serait surhumain s’il fallait en changer la direction. Et comme sur l’autoroute lorsque tout le monde est lancé à grande vitesse, en se suivant de près…
Au moindre coup de frein…
C’est bien ce qu’il s’est passé début 2020. Un coup de frein, brutal et soudain. De ceux qui stoppent net ou presque ! Hasard ou pas, la pandémie est partie de ce coin du monde où l’homme et ses activités industrielles ont largement pris le pas sur le milieu naturel qui nous plait tant à nous, cyclistes… Et qui, sur notre planète, sert de tampon entre les espèces et ce qu’elles peuvent se transmettre ! Le concept de zoonose n’a jamais été aussi en vogue…
L’homme a donc pu s’y trouver confronté aux conditions particulières permettant la transmission d’un virus de l’animal, à l’être humain. Face à l’urgence, protéger les milions de personnes travaillant là, a impliqué de stopper net ou presque – au moins quelques temps, cette incroyable machine de production. La fabrique du monde…
Avec le recul, l’arrêt n’a pas duré très longtemps. Plusieurs jours, quelques semaines tout au plus, selon les dires. Le temps de comprendre les risques, et de mettre en place les premières mesures. Puis, les activités ont repris, progressivement. Reste que quand devant, ça freine, derrière, inexorablement, ça finit par s’arrêter ou pire… taper !
La crise, tout près de chez nous…
La pandémie a beau avoir débuté à l’autre bout de la planète, il ne lui aura finalement pas fallu longtemps pour se propager. Chez nous, c’est en mars que les mesures qui marqueront l’histoire sont prises. Confinement ! En quelques jours à peine, quelques dizaines d’heure presque, branle-bas de combat. Nous sommes contraints à rester chez nous, et seul le strict nécessaire peut rester en activité. Sans y avoir réfléchi, sans en avoir débattu, sans avoir son mot à dire, la distinction entre essentiel et non essentiel est imposée. Ces frontières mettront plusieurs semaines, voir plusieurs mois, à s’établir plus clairement.
Pour nous cyclistes, la question se pose. Notre pratique est-elle essentielle ? Nécessaire ? À risque ? Au bout de quelques temps, la règle des 1 h / 1 km finit par s’imposer tandis que dans le même temps, la pratique du vélotaf commence à défendre son intérêt. Éviter les transports en commun bondés, profiter du grand air, moins polluer que l’auto… D’ailleurs, à cette période, les effets du ralentissement mondial se font sentir. Certaines zones du globe habituellement embrumées voient la lumière comme rarement ces dernières années. Ce coup de frein, l’espace d’un temps, aura au moins mis en évidence s’il le fallait l’impact de nos activités sur l’atmosphère…
Dans les bouclards
Entre essentiel et non essentiel, l’utilité des magasins de vélo ballote, avant de basculer du bon côté. Celui de pouvoir rester ouvert et offrir des services afin que l’engouement (re)naissant pour la pratique du vélo fasse son oeuvre. Comme ailleurs, le ralentissement de l’activité a bien eu lieu quelques longues semaines avant de reprendre prudement. Il n’empêche qu’elle a repris, et de plus belle, lorsque finalement, la société a tenté de reprendre le cours normal de son histoire.
On retiendra donc qu’à cette période, la pratique du vélo a fait partie du plan de relance de l’économie Française. Quelques millions d’euros parmi la centaine de milliards mise à profit par l’état afin d’éviter l’effondrement de pans entiers de l’activité. Notamment distribués sous forme d’aide à la remise en état et à l’entretien des vélos. De quoi occuper ateliers et vendeurs un temps, voir même de les submerger de sollicitations alors que les règles sanitaires en vigueur et la mise en place rapide du concept ne permettent pas de faire tourner l’affaire à plein régime…
Crise et effet rebond…
À ce stade là, on pourrait penser le gros de la crise derrière. Pourtant, à certains égards elle ne fait que commencer. D’une certaine manière, la relance du secteur économique fonctionne. Mieux, elle dépasse certaines espérances. L’argent et la liberté qui n’ont pas été exploités pendant plusieurs semaines durant le premier confinement, sont mis à profit. L’activité repart. Par endroit, elle explose même. La crainte d’un effondrement laisse place à des chiffres historiques, parfois jamais réalisés en vingt ou trente ans d’activité.
Tant et si bien que les stocks que l’on pouvait craindre de voir prendre la poussière fondent comme neige au soleil. On retiendra de cette période que les partenaires Logistique de l’industrie française ont rarement été aussi sollicités. Que pendant quelques semaines, les flux auront parfois été quadruplés et les quotas atteints bien plus vite que prévu. L’outil de transport n’ayant pas toujours été dimensionné pour une telle intensité ponctuelle, on retiendra aussi l’anecdote de certains des plus gros magasins du pays affrétant eux-même des camions pour récupérer les produits commandés, et être certains d’être approvisionnés.
Dans la foulée, les magasins étaient amenés à passer commande pour l’année suivante. Entre engouement et peur du manque, la tendance était clair : commande en hausse, au point de pousser certaines marques à fixer des limites. C’est qu’il faut s’assurer que tout le monde soit servi, et que tout le monde puisse continuer à travailler… C’était en tout cas le signe que la demande remonte bien la chaine, petit à petit…
Entre deux eaux…
Outil de production remis en route en Asie, demande qui explose en Europe. On pourrait penser que tout rentre dans l’ordre établi depuis plusieurs décennies. Il y a pourtant plusieurs secteurs où ça coince. À commencer par celui qui fait le lien entre les deux : le fret maritime et aérien. Les porte-containers et avions qui servent habituellement à acheminer les produits à bon port. En faisant de notre planète un vaste réseau, ils se sont érigés en vecteur majeur de propagation du virus que tout le monde combat. Incertitudes et quarantaines ont donc un fort impact sur les capacités de transport avant que la demande ne fasse exploser les capacités.
En mer, ce qui met habituellement quelques semaines à nous parvenir du bout du monde, met désormais plusieurs mois. Ces derniers temps, la marchandise peut exister, avoir été produite, être en chemin, mais dormir sur un quai, ou sur un bateau qui attend au large pour pouvoir débarquer. Quand dans la précipitation, des accidents ne viennent pas compliquer les choses.
Quoi qu’il en soit, règle implacable du système économique établi : ce qui est rare est cher. Au delà de l’impact sur la disponibilité, il y en a donc un aussi sur les coûts. On parle d’un facteur 4 à 5 sur celui du transport, quelle que soit le chemin choisi. Bateau ou avion, les coûts explosent. Le choix qui permettait avant de jongler en fonction du besoin, est désormais un pari pour s’assurer d’approvisionner son marché et avant, ses usines de montage européennes.
500 jours…
Ça, c’est pour ce qui a été produit. Mais l’effet « rebond » de la crise bat son plein. La demande est forte. Elle dépasse de toute façon les capacités de production disponibles avant la crise. Et même si le propre d’un effet rebond est de retomber comme un soufflet à plus ou moins long terme, les prévisions tablent sur 15 à 25% de hausse entre l’avant et l’après Covid. Répondre à cette demande implique de faire croitre d’autant l’outil de production à l’échelle mondiale. Mais pour l’heure, cette hausse de la demande se superpose à une pénurie de matières premières et à une flambée des courts : +12% sur le pétrole (matières plastiques), +20% sur l’acier, +23% sur l’aluminium, +43% sur le caoutchouc…
260, 300, jusqu’à 500 jours entre la commande et la livraison ?!
L’effet est important sur l’ensemble du marché du vélo : les pièces manquent et les prix grimpent : +10% en moyenne au printemps 2021. Chez certains des plus grands fournisseurs au monde, les délais sont habituellement de 30 à 60 jours pour obtenir les produits. À l’heure d’écrire ces lignes, il est en moyenne de 260 jours. Plusieurs points clés (transmission, suspensions, points de contact) sont au delà des 300 jours… et ces chiffres sont ceux des grandes marques de vélo, servies en priorité. Chez certains petits, on parle de 500 jours… En clair : toute marque de vélo qui commande des composants pour assembler une série de vélos, ne les recevra… Que dans de très longs mois ! Elles ont donc toutes, dû, boucler leurs commandes plus tôt que d’habitude, pour tenter un retour à la normal entre les millésimes 2022 et 2023…
Opportunités à saisir ?!
Que va-t-il donc se passer d’ici-là ? Bien malin celui qui prétend avoir la réponse complète et précise à cette question. D’autant qu’elle dépend encore dans une certaine mesure, de l’évolution sanitaire d’une crise à l’issue incertaine. On voit néanmoins poindre certaines tendances. Tout d’abord celle qui consiste à s’affranchir des notions de millésime. On insiste sur des modèles et on met en garde sur l’évolution possible des specs.
Les marques font bien sûr jouer les relations de partenaires à partenaires qu’elles entretiennent de longue date pour s’assurer d’être fournies et de pouvoir assembler des vélos. Mais nul doute qu’elles sont ouvertes comme jamais à la disponibilité d’autres produits. Si bien qu’en coulisses, certaines discussions s’intensifient pour que des investissements se fassent ailleurs qu’en Asie, plus proche de nous. Verra-t-on des technologies se déployer, ou revenir en Europe par exemple ?!
Entre circuits courts, productions re-localisées et renforcement de la mondialisation, qui l’emportera ?!
L’autre effet porte aussi sur les petites marques, et sur les circuits courts qui n’ont jamais été aussi à propos qu’en cette période. L’occasion de mettre en évidence que d’autres schémas sont possible. Lorsque finalement, les écarts de prix et les délais s’amenuisent et que la crise met à mal les avantages conquis par la globalisation de la production. Pour l’heure, ce lissage se produit par le haut et les prix finaux sont donc plus élevés que la moyenne, mais pour combien de temps encore ?!
C’est une des possibilité. L’autre consiste à ce que l’organisation mondiale en vigueur avant la crise s’en sorte renforcée. Certains des grands leaders mondiaux jouent cette carte. À l’heure actuelle, occidentaux et américains font des propositions, font jouer la corde du partenariat, et tentent d’inciter leurs fournisseurs taïwanais à investir et développer leur outils de production. Mais en réponse, la prudence est de mise. Quel schéma l’emportera ?!
À l’heure d’écrire ces lignes, aller plus loin dans le récit dépasserait le cadre de cet article. Bien malin qui saurait écrire l’histoire avant qu’elle n’ait lieu. Néanmoins, son récit, jusqu’ici, méritait bien d’être posé. Et il ne manquera pas d’être complété par les témoignages et précision que chacun peut apporter en commentaires ci-dessous…