Début décembre, alors que les sentiers de montagne aux alentours d’Annecy étaient devenus impraticables à cause de la neige, j’ai flashé sur des photos postées sur les réseaux sociaux par Nadine Sapin. On y voyait des terres rouges ocres et un panorama montagnard comme je les aime. Quelques semaines plus tard, j’ai emmené avec moi le photographe Lucas Leufen pour produire les images de la dernière aventure Trail Tales de la saison. Récit d’une journée inoubliable et harassante, riches en rencontres impromptues et en clichés de carte postale. Une aventure pleine d’enseignements également, durant laquelle notre quête du cliché parfait aurait pu nous coûter cher…
Texte : Théo Meuzard / Photos : Lucas Leufen
De Puget-Rostang au Dôme de Barrot
Notre aventure débute à Puget-Rostang, un petit village en pierre typique des Alpes Maritimes. Ce village est situé non loin de Puget-Théniers, une bourgade que vous avez forcément traversée si vous vous êtes déjà rendu dans le Sud en passant par la route Napoléon.
Notre objectif est de rejoindre les terres rouges du Dôme de Barrot à 1900 mètres d’altitude environ. Nous sommes alors le 12 décembre et il est difficile de savoir si la neige est présente à cette altitude en faces Sud. Nous verrons bien… J’ai préparé l’itinéraire sur base de lecture de cartes, de photos et d’analyses d’itinéraires de riders locaux. Le tout est adapté à une journée de shooting où les arrêts sont nombreux. Comme pour la précédente virée dans le Vercors (à lire ici), il s’agit de trouver le bon compromis entre aventure, esthétique et accessibilité pour Lucas qui roule en E-bike avec un sac à dos de quinze kilos.
Le terrain s’annonce pentu et scabreux, je prévois donc un tour avec une distance plutôt faible. Le ratio dénivelé/distance reste cependant élevé. Afin d’être certains d’avoir de la marge avant la nuit qui tombe tôt à cette période de l’année, nous décidons de partir aux aurores. Nous verrons plus tard que cette « certitude » ne sera pas sans conséquences…
L’aventure démarre par les ruelles de Puget-Rostang.
Les terres noires d’abord
Après avoir quitté le village, l’ascension commence gentiment par une piste régulière. Très vite, cette dernière se trouve bordée par des marnes en terre noire. La tentation d’aller y poser les crampons est trop forte. Ces pentes sont assez particulières à rouler. Le grip est très changeant et le revêtement est parfois dur, parfois très meuble, c’est assez piégeux.
C’est la première fois que je roule de grandes marnes comme celle-ci. C’est grisant, mais exigeant.
L’ascension se poursuit et nous ne tardons pas à quitter la piste pour emprunter un sentier plus raide. Celui-ci nous mène jusqu’au hameau d’Auvare. Nous ne le savons pas encore, mais Auvare sera un point clé de notre trajet retour. Nous en profitons pour faire quelques photos avec les bâtisses en arrière-plan.
Le charmant hameau d’Auvare marque le début des choses sérieuses pour notre périple.
Juste après le hameau, une succession de reliefs dans les terres noires invite au jeu. C’est un endroit idéal pour faire des photos. Les premiers rayons de soleil font leur apparition.
Le terrain de jeu est idéal et photogénique à souhait.
Ce spot nous plaît beaucoup et nous tardons à nous remettre en route. Il s’agit d’avancer car à ce stade le Dôme de Barrot est encore loin.
Nous continuons notre ascension par une piste pendant un bon moment. Au fur et à mesure que nous prenons de la hauteur, le paysage se révèle. A l’ombre apparaissent les premiers névés mais nous comprenons alors que la neige ne devrait pas être un frein à notre progression.
Par endroits, la végétation est flamboyante, comme à l’automne.
C’est sur cette piste qu’intervient la première belle rencontre de la journée. Trois vautours fauve volent en cercle juste au dessus de nous, suffisamment longtemps pour que Lucas ait le temps de dégainer son appareil photo.
Voilà trois rapaces qui nous considèrent peut-être comme leur casse-croûte.
Terres rouges, terre promise
Nous arrivons au bout de la piste et le paysage change du tout au tout. Celui-ci devient plus aride et nous commençons à fouler ces terres rouges si inhabituelles (pour un Haut-Savoyard, du moins). Nous sommes frappés par le côté sauvage de l’environnement qui nous entoure. Il n’y a que des montagnes à perte de vue. Sur les hauteurs, des terres rouges et des sommets enneigés. Un peu plus bas, les terres noires et les dernières couleurs d’automne. Le spectacle est à la hauteur de nos espérances. Pour la première fois nous voyons le Dôme de Barrot.
La terre rouge et le Dôme de Barrot en toile de fond.
La teinte rouge de ce sol sédimentaire est provoquée par sa forte concentration en oxyde de fer. Les contrastes sont saisissants. Nous passons un long moment à faire des photos au pied du Dôme de Barrot. Nous voyons que l’heure tourne mais nous avons du mal à nous résoudre à stopper la prise de clichés pour continuer notre progression. L’endroit colle parfaitement à ce que nous sommes venus chercher.
Lorsque nous arrivons au point culminant de la boucle, il est plus de 15h30. Cette fois il n’y a plus le choix, il faut ranger l’appareil photo et faire le retour d’une traite pour espérer arriver avant la nuit. En partant du principe que le sentier de retour sera similaire à celui par lequel nous sommes montés, c’est jouable.
Juste avant de descendre pour de bon, je repère une marche naturelle qui me semble idéale pour faire un ultime cliché, avec les sommets enneigés au fond. La photo ci-dessous sera la dernière mais aussi notre préférée.
L’ultime cliché de la journée valait la peine d’être tenté !
Nous entamons notre course contre la montre pour être de retour avant que le soleil disparaisse derrière l’horizon. Alors que nous empruntons une crête, surgissent devant nous un grand cerf et trois biches. Leurs silhouettes se détachent de l’arrière-plan, le spectacle est unique. Nous garderons ce moment privilégié pour nous, le roi de la forêt et ses dames n’ayant pas pris le temps de la pose.
Notre avancée est infiniment plus lente que prévue. Le chemin est tortueux et il y a de nombreux obstacles à franchir à pied, d’autant plus pénibles à passer avec le E-bike et le matos photo de Lucas. De plus, la journée a été longue et la faim se fait sentir.
Une aventure sans fin
Au fur et à mesure de notre descente, toujours plus compliquée, il devient évident que nous allons finir de nuit. En partant nous étions certains de rentrer largement avant l’obscurité, nous n’avons pas pris le soin d’emporter des lampes. Quand on sait le poids d’une frontale, nous regrettons amèrement cette décision. D’un naturel prévoyant, je me surprends à me retrouver dans pareille situation.
Notre condition pourrait très rapidement devenir critique. En pleine nuit, sur des chemins escarpés, entamés physiquement et sans éclairage, tout est réuni pour qu’arrive un accident.
J’insiste auprès de Lucas pour que nous avancions autant que possible avec le peu de luminosité restante. En montée, nous distinguons tout juste le chemin qui apparaît légèrement plus clair que les abords. Plus question de rouler, nous sommes à pied que ce soit sur le plat, en montée ou en descente. Heureusement, j’ai le fond de carte IGN sur mon GPS ainsi que la trace à suivre, je peux vite voir si on s’écarte du chemin.
Lorsque nous arrivons au col du Mont il fait nuit noire. Nous pouvons quitter l’itinéraire initial et couper jusqu’au hameau d’Auvare, à côté du quel nous sommes passés le matin. L’idée est que Lucas m’attende au village pendant que je vais chercher la voiture par la route avec son vélo électrique.
Sur la carte la descente jusqu’à Auvare est courte. Dans les faits, celle-ci est raide et accidentée. Autant vous dire qu’en tenant le vélo d’une main et le téléphone de l’autre pour éclairer le sentier avec le flash, cette portion nous semble interminable.
J’ai pris cette photo pour la postérité, en haut de la dernière descente sur Auvare.
Aux alentours de 18h30, nous arrivons enfin à Auvare. C’est (presque) la fin du calvaire. En entrant dans le hameau, nous tombons par hasard sur Manu, un des seuls habitants à cette période de l’année. C’est bien simple, ce soir-là à lui tout seul il représente la moitié de la population du village ! C’est une aubaine d’être tombé sur lui. Pour ne rien gâcher, Manu est VTTiste. Il écarquille les yeux quand on lui raconte les dernières heures de notre aventure.
Sans plus attendre, j’enfourche de E-bike de Lucas, ses baskets quatre pointures trop grandes pour moi (il roule en plate et moi en auto), et je file chercher la voiture garée 7km plus bas. Lampe torche prêtée par Manu dans une main, guidon dans l’autre, j’enchaîne les épingles de la route sinueuse lorsque je me retrouve nez à nez avec un immense cerf ! Je crois qu’il a été aussi surpris que moi. Moi qui n’en avais jamais vu en vrai, c’était le deuxième de cette folle journée.
Trente minutes plus tard je suis de retour chez Manu où je retrouve un Lucas qui a repris des couleurs.
Nous remercions chaleureusement notre hôte improvisé avant de reprendre la route pour rentrer à la maison.
Merci Manu pour ton accueil !
Cette journée aura été riche en émotions, en rencontres et en clichés réussis ! Si elle s’est bien terminée, cela ne doit pas occulter le fait qu’il faudra être (encore plus) prévoyant la prochaine fois pour éviter de se mettre en danger inutilement. En tout cas, nous en garderons un souvenir impérissable !
Je tiens à remercier Lucas pour le formidable travail qu’il a accompli durant cette rude journée. À tête reposée il semblerait qu’il ait presque envie de repartir à l’aventure.
Théo
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