Troisième et dernière partie de cette enquête Endurotribe sur la production à base de fibres de carbone. Après avoir posé les bases et précisé les secrets de fabrication, place à une revue d’effectif ! Qui fait quoi ? Comment ? Pourquoi ?
Tour d’horizon qui relate les choix des marques dont on a pu rouler les vélos et constater le résultat par nous-même, pour faire le lien, recouper, confirmer. Nos prochaines visites, rencontres, découvertes et publications ne manqueront pas de compléter mais pour l’heure : état des lieux !
A (re)lire : Partie 1 / Partie 2
Temps de lecture estimé : 12 minutes – Photos : Endurotribe & Santa Cruz / Gary Perkins
Au sommaire de cet article :
- Tous égaux ?!
- Santa Cruz
- Yeti
- Mondraker
- Unno
- Intense
- Canyon
- Specialized
- BMC
- Lapierre
- Moustache
- Trek
- Felt
- Scott
- Orbea
- Transition
- Ibis
- Bilan carbone…
Tous égaux ?!
Toutes les marques n’adoptent pas la même stratégie d’intégration et de maîtrise du savoir-faire dont il est question ici. Certaines voient l’intérêt de l’avoir directement au sein de leur bureau d’étude : ingénieurs, labo d’essai et/ou de prototypage… Le développement se fait en interne. Le sous-traitant asiatique ne reçoit qu’un cahier des charges précis à respecter, avec sur le dos, une équipe de contrôleurs qualité dépêchée par la marque.
D’autres marques font le choix de s’appuyer sur le savoir-faire des sous-traitants qui finalement, font du composite à plein temps. Au point de transmettre un modèle 3D imposant la forme extérieur du cadre (esthétique, cinématique, géométrie), d’exiger certaines rigidités du cadre sur banc d’essai et un certain poids final… Puis laisser le soin au sous-traitant de déterminer quelles fibres, quels tissage, quelles épaisseurs, quels procédés sont judicieux pour optimiser la production, la qualité et la rentabilité finale du produit.
Entre ces deux approches, une multitude de niveau d’échange. Où s’arrête la propriété technologique et intellectuelle de la marque ? Où débute celle du sous-traitant ? La question mérite d’être posée pour cerner véritablement la qualité du travail et in-fine du produit disponible sur le marché.
Santa Cruz
Au catalogue, la marque californienne propose des cadres C et CC. Santa Cruz souhaite qu’en matière de précision/rigidité, les deux offrent le même rendu. Les hauts de gamme CC utilisent simplement plus de fibre T700 à certains endroits, pour sauver de la matière et donc, du poids : 300g env.
À Santa Cruz même, son siège, la marque dispose d’un laboratoire carbone. Il est développé et tenu depuis 4 ans par l’ingénieur Nic McRae. Ce labo dispose de toute la capacité de production pour prototyper un cadre ou des jantes en carbone, ainsi que les machines de mesure pour tester le résultat.
La production des cadres et jantes se fait en Asie. Là-bas, Santa Cruz y a pris des parts dans les deux entreprises qui participent à la production. L’une aurait même bénéficié de cet investissement pour développer la chaîne de production destinée aux produits Santa Cruz, en exclusivité…
Yeti
À la différence de Santa Cruz, les têtes pensantes de Yeti annoncent le cadres T-Series à la fois plus légers – 200 à 400g selon les tailles et modèles – mais aussi plus rigides – la marque parle de 25% supplémentaires – que ses modèles C-Series.
Yeti fait très certainement usage de fibre T300 ou équivalente dans ses cadres C-Series, et bien plus de T700 ou équivalent dans ses cadres T-Series. On est très certainement proche du compte une fois le nombre et la disposition des nappes ajustés pour atteindre ces différences de caractéristiques.
Une approche claire et logique qui va dans le sens de nos sentiments et propos lors de nos essais. Avoir sur le marché un vélo dont on pourrait choisir la raideur du cadre comme la taille ou le montage… Pas une nécessité absolue, mais une option qui a du sens chez une marque haut de gamme !
Mondraker
Le Mondraker Dune Carbon R, parmi les premiers vélos passés à l’essai Endurotribe, reste parmi ceux qui nous ait laissé un souvenir impérissable… Notamment par l’excellent compromis entre rigidité/précision et filtration/confort de son cadre. Tout comme le Mondraker Foxy 29 Carbon d’ailleurs !
On en apprend plus au contact des chefs produits et ingénieurs de la marque. Mondraker fait appel à un sous-traitant asiatique qui produit également pour une marque à la peinture brillante et bien épaisse. Mais elle lui confie le soin de proposer plusieurs solutions possibles.
3 à 5 cadres, identiques en apparence, mais différents dans les fibres utilisées, leurs tissages et la disposition des plis, sont alors produits. Ce n’est pas une exigence, mais à la longue, l’équipe a constaté qu’elle finissait toujours par valider une des solutions les plus tolérante et filtrant mieux les vibrations.
En y regardant de plus près, il ne s’agit pas nécessairement des cadres les plus légers, mais bien souvent de cadres utilisant plus de fibres HR et de tissages croisés, qui dissipent davantage les vibrations.
Unno
Certains d’entre nous ont certainement déjà bavé devant les vélos d’exception issus des travaux du studio d’ingénierie et de design espagnol Cero Design… Tenu par Cesar Rojo, ingénieur Mondraker à l’époque des premiers Dune Carbon et de la Forward Geometry.
À Barcelone, le studio dispose : des machines CNC nécessaires à la réalisation des moules, de l’unité de découpage des plis, du four indispensable à la cuisson et des bancs d’essai pour le contrôle. L’idée est ici de produire en interne, de petites quantités.
Dans les médias, Cesar Rojo a été l’un des premiers, il y a de ça 4 ans déjà, à avoir évoqué l’intérêt du carbone pour maîtriser les raideurs, faisant le parallèle avec l’univers du ski. Nul doute que depuis, son bureau d’étude et ses capacités de modélisation soient sur le coup pour être en pointe à ce sujet…
Intense
Même si Cero Design aime dire que « la plupart de ses travaux sont confidentiels », certaines marques savent dire qu’elles font appel à ses services. Intense en fait partie, le Tracer 2017, premier véritable modèle du renouveau de la marque, ayant été désigné à Barcelone.
On en sait peu sur le reste de la collaboration, ou des méthodes de production industrielle de la marque, si ce n’est que dans sa communication, Intense suggère que l’étape de prototypage en aluminium ait fait partie intégrante du process avant de passer à l’usage de la fibre.
Sur le terrain, nul doute pour nous que les cadres carbone Intense, ancienne et nouvelle génération confondue, soient parmi les plus rigides du marché… Du moins les plus rigides qu’il nous ait été donné d’essayer. À tort, ou à raison !
Canyon
On évoque Canyon à la suite de certains talents espagnols… Parce qu’on est certain d’une chose. Des uns à l’autre, un transfuge public s’est opéré : celui de Fabien Barel, à qui on prête souvent une part d’influence sur le comportement des vélos pour lesquels il prend part au développement.
De ce que l’on en sait, ce ne serait pas tant sur le comportement des vélos eux-mêmes : il y a une différence entre un Mondraker et un Canyon à l’usage. De ce que l’on constate, on prêterait plutôt cette influence dans la méthode de développement à laquelle il sait manifestement prendre part. Une méthode à laquelle l’usage de la fibre de carbone sait prendre place.
Les Canyon actuels jouent une partition fines. La marque tient à conserver des versions alu et carbone de ses modèles pour construire une offre économiquement intéressante, aux designs les plus proches possibles. Ici, passer de l’alu à la fibre se traduit sur la balance et dans un certain dynamisme, mais pas dans une perte de confort…
À l’usage, les VTT Canyon faisant usage de la fibre ne sont pas les bouts de bois que l’on pourrait supposer. Les Canyon Spectral ancienne et nouvelle génération, ainsi que le Canyon Torque, nous l’ont démontré. Mieux, ils ne vibrent pas, mais ont plutôt tendance à filtrer de belle manière. Peut-être même plus que leurs homologues en aluminium ?!
Specialized
Avec son appellation FACT, Specialized communique depuis longtemps sur son usage de la fibre de carbone. Pour faire écho aux techniques décrites plus haut, on sait de la marque qu’elle accorde un soin particulier : au choix des fibres (Fact 9, Fact 11, etc…) mais aussi au tissage des nappes et au choix des différentes parties qui vont composer le cadre, et la manière de les raccorder.
Son bureau d’étude fait partie des plus respectés dans le milieu. On peut notamment penser qu’il ait tiré parti de ses échanges avec McLaren Applied Technology lors du développement du Venge, il y a quelques temps déjà.
En Asie, peu d’informations confirmées publiquement circulent au sujet du géant américain. Tout au plus sait-on que les vélos au S rouge disposent pour certains de chaînes de production spécifiques, réservées à eux seuls, au sein de certaines usines où d’autres doivent faire la queue…
BMC
En Europe, l’un des bureaux d’étude les plus réputés se situe en Suisse, chez BMC. L’Impec Lab y dispose du nécessaire pour le prototypage et l’essai de produits à base de composite. Ici aussi, les fibres, les plis et leur agencement sont au coeur de l’attention. La marque est même allée jusqu’à collaborer sur la confection de tissages spécifiques et l’automatisation de chaque étape du procédé pour gagner en précision et répétabilité.
Un procédé qui prend place parmi d’autres outils transversaux que le laboratoire a développé au fur et à mesure des années. On pense notamment à l’outil qui lui permet, aussi, de travailler sur l’ensemble géométrie + suspension dans la conception d’un vélo. De là à dire que la marque dispose en son sein du graal : de quoi modéliser et maîtriser l’ensemble des paramètres qui font le caractère d’un vélo ?!
Une bonne partie de cette technologie et de ces méthodes de production reste réservée aux modèles très haut de gamme de la marque, notamment de route. Le reste de la production étant délocalisé en Asie et n’en bénéficiant que partiellement. On scrute en tout cas avec attention les possibles prochaines productions helvètes susceptibles d’en profiter.
Lapierre
Chez Lapierre, la relation avec le sous-traitant asiatique est étroite. Elle semble partagée, du moins plus que chez d’autre, à en croire les échanges que l’on a pu avoir, et les expériences relatées ça et là. Le Lapierre Overvolt, à batterie placée sur le moteur, en est un bon exemple.
Un vélo que la marque ne pouvait pas prototyper en aluminium… Et que la conception en carbone a rendu possible, sans pour autant être une simple promenade de santé. Quelques recoins internes du cadre ont donné du fil à retordre en matière de matrice et de vessie.
Le travail effectué à cette occasion est salué çà et là dans le milieu, comme une prouesse qui en a fait réfléchir certains. À ce titre, la marque française a gagné quelques titres de noblesse en matière de conception à base de fibre de carbone…
Moustache
Chez Moustache, la grosse valeur ajoutée des VTTAE se situe autour du concept de semi-intégration Hidden Power… Que la marque a développé aussi bien en aluminium qu’en carbone. Au final, il s’avère que les tolérances, niveau de résistance et de rigidité d’un tel concept aient soulevé plus de contraintes à réaliser en aluminium qu’en carbone.
Une expérience qui illustre que les deux matériaux n’aient pas les mêmes caractéristiques et avantages… Il suffit parfois de tenter de les faire répondre aux mêmes problématiques, avec un cahier des charges identiques et très serré, pour le mettre en exergue.
Par ailleurs, la marque confirme l’usage de fibres Toray, T300 et T700 dans ses cadres… Tout comme elle n’hésite pas à communiquer sur la fibre T700 à nouveau, jusque sur le marquage de ses jantes en carbone spécifiques VTTAE : les Moustache Just Carbon « Toray T700S » !
Trek
Avec le carbone Trek OCLV, tout est dit dans le nom : OCLV pour Optimum Compaction Low Void, soit compactage optimal à faible vide en français. C’est sur la très fine maîtrise de la phase de mise en pression de la résine et de la fibre pendant la cuisson que Trek a misé : s’assurer que le procédé chasse le plus de vide, ou d’air, pour que la cohérence de l’ensemble fibre + résine soit la meilleure possible.
Un défit à différentes échelles quand on sait qu’à la base, la fibre de carbone est assez phobique : elle ne se prête pas facilement à ce qu’un corps étranger vienne s’y accoler. En disposant d’une unité de production sur le territoire américain – Waterloo, Winsconsin – Trek s’assure aussi – comme Santa Cruz – une autre opportunité : celle de pouvoir faire usage de produits développées à l’origine pour des applications militaires, et que le département de la défense américaine ne souhaite pas voir sortir des frontières du pays…
Felt
Puisque l’on en est à parler de ceux qui cherchent à jouer sur la quantité de résine et la qualité de son interface avec les fibres, Felt est en bonne place pour apporter des éléments sur ce point. La marque fait appel aux plis Textreme…
Ils utilisent un premier procédé qui permet de placer autant de fibre dans un espace plus restreint… Et donc former des plis très fins aux capacités au dessus de la moyenne. Le tissage de ces plis, sous forme de nattes à larges bandes est facilement reconnaissable à l’oeil.
Ces plis se destinent à envelopper les structures en carbone plus traditionnelle pour en faire une peau de protection et de renforcement. Notamment parce qu’ils coûtent cher. On parle d’un facteur allant jusqu’à cinq fois celui de plis classiques, notamment à cause de contraintes de transport et manipulation importantes…
Scott
Historiquement, Scott a fait partie des premières marques à produire des vélos faisant usage de la fibre de carbone, avec l’Endorphin. Depuis, elle n’a eu de cesse de mettre ce procédé à profit pour jouer une partition particulière : celle du poids particulièrement optimisé et réduit.
Il se dit donc que la marque utilise des fibres particulièrement rigides et tissées de manière unidirectionnelles principalement… Tandis qu’elle cherche également à réaliser les éléments monocoques les plus importants pour limiter les raccords.
Deux observations qui correspondent avec les sensations observées au guidon des vélos de la marque qu’il nous ait été donné d’essayer. Un rendu particulièrement nerveux et léger, au détriment de vibrations et d’une filtration sur lesquelles d’autres composantes du vélo doivent prendre le relais.
Orbea
Chez Orbea, l’usage de la fibre de carbone se fait via le poste de responsable composite qui sied au sein du bureau d’étude. Cette entité est par ailleurs connue pour être en lien avec les universités qui l’entoure et prendre part à certaines recherches…
Dans tous les cas, la marque utilise la fibre de carbone et les capacités de flexion/déformation qu’elle procure pour concevoir les cadres de sa gamme. La liaison bases/haubans du Orbea Occam essayés par nos soins en est un bon exemple.
On sait aussi la marque sensible à la notion de rigidité des cadres qu’elle produit. Elle n’a pas hésité à passer les concurrents au banc d’essai, et à le communiquer autour du Rallon R5. Enfin, la marque fait usage de différents types de vessie en fonction du niveau de finition de ses cadres de route…
Transition
On a déjà eu l’occasion de l’écrire, Transition est une marque qui a pour habitude de produire un modèle en aluminium avant de le décliner en carbone. Elle est même emblématique de la stratégie de certaines petites marques : commercialiser la version aluminium avant la déclinaison carbone.
L’occasion de tester grandeur nature l’accueil du vélo sur le marché, et de mesurer plus finement le réel intérêt de la version carbone, dont le caractère qu’elle doit avoir en plus ?! Peut-être bien, si l’on en croit notre expérience au guidon du Transition Patrol Carbon, très exigeant vis-à-vis de son homologue aluminium plus tranquille.
Dans tous les cas, la différence de rendu, en matière de raideur, est très marquée. Elle l’est tout autant que celle en matière de poids constaté sur la balance. Deux critères qui justifient l’existence des deux au catalogue.
Ibis
Dans l’approche, Ibis est aux antipodes d’une marque comme Transition. Pour preuve, les modèles phares de la marque, Mojo, Ripley, Ripmo qui ne voient le jour et le marché que dans leur livrée carbone, directement.
Le design de leur triangle avant est d’ailleurs une illustration parfaite de l’audace que l’usage de la fibre de carbone permet. Tenter d’obtenir le même résultat en aluminium est d’ores et déjà voué à l’échec dans les mêmes proportions de finition, fluidité, poids, résistance, réussite et coût de production.
Bilan carbone…
Il s’agit là de la question que tout le monde se pose. Légitimement. Coût énergétique de la production ? Possibilité et coût énergétique du recyclage ? Le débat fait rage depuis que le carbone marche sur les plate-bandes de l’aluminium.
Pour l’heure, il faut bien que nos montures soient construites dans une matière. La question est donc de savoir laquelle est la plus pertinente d’un point de vue environnemental et humain. Une étude comparative qui n’est pas à prendre à la légère, au point de mériter une enquête à part entière.
« Un sujet, des enjeux à ne pas prendre à la légère… »
C’est pourquoi nous n’éludons pas le sujet, mais nous permettons de remettre les choses à leur place. Au court des trente dernières années, celles qui ont porté la petite histoire de notre sport, la production de cadres en acier et/ou en aluminium a largement été expliquée, à travers moultes articles. On en connait les moindres détails pour qui prend la peine de chercher un peu.
« L’avenir nous le dira ! »
L’usage de la fibre de carbone, lui, ne nous semblait pas l’être autant. Raison première de cette enquête, confirmée par les innombrables petites nuances qui ont littéralement fait exploser le nombre de caractères de cet enquête. Elles confirment d’ailleurs une intuition : en matière de maîtrise des rigidités et capacités de filtration, le meilleur est encore à venir avec une meilleure maîtrise du carbone… Ou de l’aluminium !
Allez savoir ! Pour l’heure, on se couche moins bêtes, avec en tête en quoi consiste chaque procédé. Désormais place aux prochaines étapes de nos travaux, et/ou de ceux de nos confrères, pour mettre en évidence qui/quoi, d’un point de vue environnemental, humain et économique, bref que d’un point de vue durable, est le plus opportun. L’avenir nous le dira !