À l’échelle du monde, le VTT est une jeune discipline. L’industrie spécifique l’est donc aussi. Si bien qu’à intervals assez réguliers, de nouvelles technologies apparaissent et font la tendance du moment. Le point de pivot haut en fait partie. D’abord aperçu sur un nombre croissant de vélos de Descente, il s’invite désormais sur une partie des vélos d’Enduro. Au point même d’incarner pour certains, le point commun qui pourrait à terme, faire converger les deux mondes… Encore faut-il, pour cela, bien cerner en quoi il consiste, son intérêt principal, et ce qu’il implique. Didactique FullAttack pour être incollable à son sujet !

Le point de pivot haut, c’est quoi ?
À VTT, on distingue deux grandes catégorie de vélos : les semi-rigides, et les tout-suspendus. Les seconds disposent notamment d’une suspension arrière, et donc, d’une cinématique : mouvements selon lesquels les éléments de suspension se déplacent pour assurer la course de la roue arrière et actionner l’amortisseur.
On ne va pas ici refaire l’ensemble du didactique consacré à expliquer ce qu’est une cinématique, mais rappeler le principal élément que défini une cinématique : le point de pivot principal. C’est le point autour duquel pivote le bras sur lequel la roue arrière est fixée. Et voici deux images très parlantes pour différencier le point de pivot haut des autres…
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Ici, il s’agit d’une cinématique à point de pivot fixe, et classique. Le bras arrière, sur lequel est fixé la roue arrière (bleu), pivote par rapport au triangle avant (noir), autour du point de pivot principal. Ce dernier se situe globalement au niveau du brin supérieur de la chaine (orange). Cette position permet notamment d’ajuster l’effet de chaine – kick-back & anti-squat – pouvant influer sur le comportement de la suspension… Sur une cinématique à point de pivot haut, le point de pivot principal est tout bonnement placé plus haut, bien au dessus du brin supérieur de la chaine. C’est cet écart (rouge), et donc la hauteur à laquelle le point de pivot se situe, qui fait la différence étudiée ici.
L’appellation point de pivot haut n’a donc rien de sorcier en elle-même. Tout est dit au sein même du nom. Tout juste la question peut-elle se poser de savoir à partir de quelle hauteur doit-on légitimement considérer qu’il s’agisse d’une cinématique de ce type ? Il n’y a pas de règle clairement établie, si ce n’est un détail technique sur lequel on revient en fin d’article, et dont la présence peut constituer un repère clé…

Premier intérêt du point de pivot haut ?
En attendant, quel est l’intérêt d’une telle cinématique ?! Il suffit de s’intéresser à la trajectoire de la roue arrière pour cerner le plus évident, ou du moins, le plus facile à saisir. Pour simplifier l’approche, on reprend la cinématique à point de pivot unique et fixe, qui servait d’exemple précédemment…
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Sur ce type de cinématique, la trajectoire de la roue arrière forme un arc de cercle, centré sur le point de pivot. En cas d’impact avec un obstacle, la roue arrière n’a d’autre choix que de suivre ce chemin pour actionner la suspension. Lorsqu’un obstacle entre en contact avec la roue arrière, il exerce un effort sur la roue arrière. et pour diverses raisons – freinage, taille de l’obstacle, adhérence… – cet effort peut avoir tendance à se diriger davantage vers l’arrière que vers le haut… Si bien qu’au final, l’écart entre la direction dans laquelle la roue est poussée, et celle vers laquelle elle peut se diriger, est grand. Il y a comme un paradoxe… Par contre, si l’on place le point de pivot plus haut, la trajectoire de roue arrière se dirigera plus volontiers vers l’arrière, et sera davantage dans le sens des efforts transmis.
En tentant de rendre la trajectoire de roue arrière plus proche de la direction des impacts, le point de pivot haut a un effet sur la sensibilité, le déclenchement, le confort de la suspension arrière. Au lieu de buter, en partie, puis de partir à la verticale, la roue arrière recule puis monte, doit avaler davantage l’obstacle dès les premiers instants.

Effets secondaires ?
Oui mais… Il y a toujours un mais… Il n’est pas rare, en jouant d’un paramètre, d’influer sur d’autres. Le concept étudié ici n’échappe pas à ce principe. Il a donc plusieurs autres effets. Mieux, c’est même ces paramètres que certains concepteurs cherchent plutôt à manoeuvrer différemment, via l’opportunité du point de pivot haut…
Allongement des bases
Le premier effet secondaire porte sur la géométrie du vélo. On y a également consacré un didactique : certaines dimensions ont une importance capitale dans le comportement d’un vélo. La longueur des bases – distance entre l’axe de pédalier et l’axe de roue arrière – en fait partie. Plus elles sont courtes, plus le vélo tourne facilement. Plus elles sont longues, plus le vélo est stable…
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La subtilité sur un vélo tout suspendu, c’est que cette distance peut varier en fonction du débattement que prend la suspension arrière. Sur les suspensions à point de pivot classique, cette variation est relativement contenue. De l’ordre du centimètre au maximum, généralement. La plupart du temps, elle n’influe pas significativement. Sur une cinématique à point de pivot haut, l’idée étant justement que la roue arrière parte plus volontiers vers l’arrière, cette variation est plus marquée… Jusqu’à plusieurs centimètres parfois.
Avec l’augmentation de longueur des bases que ça implique, le comportement des vélos qui en sont équipés a un point commun : plus on se situe loin dans le débattement, plus le vélo se stabilise. On peut avoir l’impression que plus le vélo prend de course, plus son assiette s’assagie.
Ça a du sens à la réception de certains sauts, ou lors de sections défoncées. À l’impact, le vélo s’allonge et se pose là où le choc aurait pu désarçonner ou mettre le vélo en travers. Ça peut sauver la vie. Ça nécessite aussi un pilotage particulier en courbe où il faut savoir tasser le boitier à bon escient : fort quand on veut stabiliser le vélo, mais rester léger quand on veut garder un vélo vif et maniable. Parfois contradictoire à moins de travailler les réglages de suspension spécifiquement…
Centres de gravité et point de pivot
L’autre effet secondaire est plus subtil encore. Pour saisir, il faut simplement avoir en tête qu’un vélo, comme tout objet, dispose d’un centre de gravité…
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En matière de pilotage, c’est le point autour duquel il est le plus facile de manoeuvrer le vélo, quelle que soit la direction du mouvement. Sur nos VTT, ils se situent dans une zone centrale qui dépend de l’architecture de chacun… Dans le même esprit, il faut considérer que le pilote dispose d’un centre de gravité. Il joue un rôle clé dans le pilotage. C’est lui qu’il faut garder dans une certaine zone pour éviter de chuter irrémédiablement. La nature est ainsi faite que le deuxième centre de gravité est nécessairement situé au dessus du premier, et qu’en pilotant, on ne fait que jouer constamment sur le positionnement de l’un par rapport à l’autre. Ça restera vrai tant que le pilote prendra place au dessus du vélo, autant dire encore longtemps… Le point de pivot principal du vélo, lui, articule le mouvement de deux ensembles : le train arrière – triangle, roue, dérailleur, étrier de frein… – et l’avant du vélo – triangle avant, pédalier, selle & tige, direction, fourche, roue… Chacun a son propre centre de gravité et ce que l’un fait par rapport à l’autre est strictement défini par la position du point de pivot principal. Et bien, l’air de rien, le point de pivot plus haut peut avoir pour conséquence de placer le point de pivot principal davantage au coeur de la zone entre centre de gravité du vélo et du pilote…
En matière de dynamique, d’inertie et de bras de levier, ça peut jouer. Si lorsque le train arrière débat, le point autour duquel il se déplace est proche du centre de gravité de l’ensemble, la perception est différente de s’il est situé plus bas, ou parfois carrément projeté loin de là via un point de pivot virtuel. C’est une opportunité de travailler sur d’autres équilibres, choix et compromis pour les concepteurs.
Anti-rise
Effet secondaire incontournable, justement lié au centre de gravité de l’ensemble vélo + pilote : l’influence sur l’anti-rise, comportement de la suspension arrière au freinage. On l’a vu à travers le didactique dédié à ce sujet, l’anti-rise est clairement défini via la position du point de pivot principal. Si celui-ci vient à changer d’emplacement, l’anti-rise varie forcément !
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Petit rappel : estimer graphiquement l’anti-rise d’un vélo consiste à projeter sur la verticale du point de contact sol/roue avant, l’écart entre l’horizontal au centre de gravité du pilote et l’intersection de la droite définie par le contact roue arrière/sol et le point de pivot principal. Ici, l’anti-rise est inférieur à 100%, la suspension va se détendre au freinage. Et là, cas de figure avec point de pivot haut ! La différence est flagrante ! Ici, ça implique un anti-rise supérieur à 100% – la suspension va se comprimer au freinage – alors qu’il était inférieur à 100% juste avant.
Le point de pivot haut a une influence sur l’anti-rise d’un vélo. Il faut cependant se garder de généraliser. On peut effectivement penser qu’il a tendance à augmenter la valeur d’anti-rise, mais certaines cinématique à base de point de pivot haut peuvent justement tenter de limiter voir même inverser ce phénomène… Attention donc, à ne pas aller trop vite en besogne…

Les subtilités du point de pivot haut…
C’est que le point de pivot haut dispose d’autres subtilités dont il est bon de parler à son sujet, et pour conclure. Ses déclinaisons virtuelles et l’utilité du renvoi de chaine notamment…
Pivot fixe et virtuel
Pour faciliter la compréhension, cet article prend jusqu’ici, pour support, une suspension à point de pivot fixe. C’est pratique et c’est d’ailleurs le principe dont fait usage une partie des vélos qui font usage du point de pivot haut. Néanmoins, certaines cinématiques font usage d’un point de pivot virtuel…
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Le bras arrière est relié au triangle avant par deux biellettes, et le point de pivot autour duquel pivote le bras arrière se situe alors à l’intersection formée par les deux. Il est virtuel, et se déplace en fonction du débattement où la suspensions se situe. Habituellement, ces suspensions sont conçues pour placer le point de pivot virtuel proche du brin supérieur, et donc de maitriser les effets de chaine. Mais on peut très bien placer ces éléments différemment, et projeter le point de pivot plus en hauteur et ainsi créer un point de pivot haut et virtuel… Dans ce cas, le point de pivot haut et virtuel est conçu dans le même esprit que précédemment. Générer une trajectoire de roue qui part vers l’arrière, et tout ce qui s’en suit… Sauf qu’on le voit ici, en procédant ainsi, l’anti-rise du vélo est contenu, ici pour l’exemple, avec une valeur qui reste proche des 100% … Qu’est-ce qu’on disait ?!
Renvoi de chaine
Jusqu’ici, on a plusieurs fois justifié l’usage de point de pivots classiques dans l’axe du brin supérieur de la chaine, pour maitriser l’effet de chaine et ce qu’il implique – kickback & antisquat. Ce qui est juste. Ces paramètres font partis des principaux à dimensionner pour obtenir une suspension de qualité. Et le point de pivot haut n’échappe pas à la règle. Or, que se passe-t-il si le point de pivot est bien plus haut que le brin supérieur ?!
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Dans ce cas, au moindre mouvement de suspension, le brin supérieur de la chaine est étiré, très tendu, et l’effet de chaine est très – trop ! – important. Sans dispositif, la suspension serait tout bonnement parasitée par la chaine, elle-même très fortement sollicitée. Un calvaire de fiabilité et de fonctionnement ! C’est la raison pour laquelle les suspensions à point de pivot haut font usage d’un galet de renvoi. Avec lui, le brin supérieur est à nouveau aligné sur un axe proche du point de pivot principal. De cette manière, les concepteurs peuvent à nouveau ajuster finement l’effet de chaine pour coller à leurs idées. Certains vélos de Descente en coupe du monde disposent même de quoi modifier l’emplacement du galet, pour générer différents effets de chaine en fonction des pistes…
D’une certaine manière, on conclue d’ailleurs volontairement sur le renvoi de chaine. C’est une caractéristique propre au point de pivot haut, qu’il soit fixe ou virtuel. Si bien que son usage répond à la question soulevée en début d’article : à quoi reconnaitre et considérer qu’une suspension est à point de pivot haut ? Notamment par la présence du galet de renvoi qui signifie que la position du point est suffisamment éloignée de la normale pour nécessiter sa présence… La boucle est bouclée, on a fait le tour des points clés d’une cinématique à point de pivot haut !