En matière de suspension, les Didactiques EndurotribeFullAttack ont traité des bases de la cinématique, de l’assiette, de l’anti-squat, de la progressivité et de sa concrétisation dans le match air vs ressort. Il reste néanmoins des sujets à aborder pour avoir une vision complète des différents paramètres qui entrent en jeu dans sa conception.
L’Anti-rise – autre terme anglophone et barbare fréquemment utilisé – est donc au programme de ce nouveau Didactique Endurotribe. En quoi consiste-t-il ? Comment peut-on le décomposer ? Quand entre-t-il en jeu ? Comment le saisir sur le terrain ? Qu’en retenir ?! Tableau blanc et Velledas virtuels sont une nouvelle fois de sortie pour un article en deux temps qui pose la théorie, et la pratique !
Article du 6 avril 2020, mis à jour le 30/07/2021 > pour favoriser la compréhension du propos et répondre aux attentes exprimées en commentaires 😉
Approche…
Anti-rise. dans sa construction sémantique, le terme est proche d’un autre abordé à travers les articles Endurotribe : Anti-squat. Et pour cause, c’est un peu son pendant ! Quand le second intervient à l’accélération, au coup de pédale, l’Anti-rise intervient à la décélération, au freinage.
En anglais, to rise signifie se lever, augmenter, grandir, monter… L’Anti-rise caractérise donc le comportement de la suspension arrière au freinage : Sa propension à se détendre en phase de décélération. Exprimé en pourcentage, l’Anti-rise apporte des précisions pour peu que l’on sache en interpréter ses courbes et valeurs…
Vu sous cet angle, ça parait relativement simple. Il faut néanmoins saisir les phénomènes qui entrent en jeu. En premier lieu, le transfert des masses qui intervient. Souvenons-nous, on en a parlé il y a peu, dans un Didactique Endurotribe dédié à la Géométrie…
Accélération & décélération
On a eu la remarque, à juste titre, en commentaire du Didactique Endurotribe consacré à l’Anti-Squat : lorsque la vitesse d’un vélo varie, il y a accélération ou décélération, dont il faut tenir compte dans le raisonnement. À VTT, sous propulsion humaine, l’accélération n’est jamais énorme… Mais au freinage – bien aidé par les freins surpuissants de nos jours – le transfert des masses vers l’avant est clairement le phénomène majeur qui entre en jeu…
Modélisation
Entrons maintenant un peu plus dans le détail de ce qui se passe dans cette phase de décélération. Commençons par le cas relativement simple du vélo dépourvu de suspension arrière. Gardons la suspension avant, sous forme de fourche télescopique, pour amplifier les mouvements et bien saisir…
Dans ce cas, on l’a dit précédemment, la suspension avant a tendance à se comprimer sous le transfert de masse d’arrière en avant. Dans ce cas, on peut donc noter que l’ensemble pilote + vélo a tendance à pivoter… Mais autour de quel point ?! Ça dépend notamment du frein qui est actionné en premier. Pour simplifier, et pour coller à la méthode de calcul de l’Anti-rise qui caractérise la suspension arrière, on considère que le frein arrière est actionné en premier, ou du moins qu’il a un effet suffisant dans un premier temps, pour initier le mouvement. On considère également que le freinage est suffisamment puissant pour « solidariser » la roue arrière au triangle arrière. Dans ce cas, c’est autour du point de contact roue arrière/sol que le vélo pivote. Pour saisir la modélisation de l’anti-squat, un second point est important : l’intersection des projections horizontales du centre de gravité, et verticales du point de contact de la roue avant au sol. Entre le point de contact de la roue arrière au sol, et l’intersection des projections précédemment citées, se dessine une droite. C’est la référence qui va nous servir par la suite…
Penchons nous désormais sur le cas de figure d’un vélo pourvu d’une suspension arrière, puisque c’est elle que l’on cherche à caractériser à travers l’Anti-rise…
On l’a tous remarqué, lors du transfert de masse d’arrière en avant, au freinage, la suspension arrière peut avoir tendance à se détendre (rise), tandis que l’avant plonge. On peut donc se demander quel est le mouvement du triangle avant, élément totalement suspendu ? La suspension arrière se détend, la suspension avant plonge, on peut logiquement déduire que le triangle avant pivote. Mais autour de quel point ?! C’est là que le point de pivot principal, parfois virtuel avec certaines cinématiques, entre en jeu. Le triangle avant, articulé au triangle arrière via ce point, pivote notamment autour… Dans ce cas, on peut tracer une nouvelle droite, qui relie cette fois-ci le point de contact de la roue arrière au sol au point de pivot principal de la suspension.
On a donc tracé deux droites. La première référence et la seconde – droite d’Anti-rise – passant par le point de pivot principal de la suspension. Cette modélisation permet d’avoir une vision graphique de l’Anti-rise…
La droite référence sert de repère : c’est elle qui indique le 100% d’Anti-rise. Pour connaitre la valeur exacte, on calcule le pourcentage entre projection verticale du centre de gravité et projection verticale de l’intersection avec la droite d’anti-rise. Si la droite d’anti-rise est au dessus, l’anti-squat est supérieur à 100%. Si elle est en dessous, comme ici, l’anti-rise est inférieur à 100 %
Mise en application… et mise en garde !
Quand on en arrive à ce point, une question brulante vient à l’esprit : à quoi correspondent ces valeurs de pourcentage ? Comment se traduisent-elles sur le terrain ? Il existe une échelle plutôt communément admise pour classifier les vélos en fonction de leurs valeurs d’Anti-rise :
- Sous les 100%, l’anti-rise est moins important que le rise. La suspension doit donc avoir tendance à se détendre. Et puisqu’elle se détend, l’amortisseur et son ressort sont dans une position de faible contrainte, donc logiquement plus favorable à déclencher. La suspension a tendance à être plus active. Certains y trouvent l’intérêt d’une roue arrière qui accrochent ou garde mieux contact avec le sol au freinage, mais l’assiette du vélo peut varier, et avoir tendance à catapulter le pilote vers l’avant…
- À 100%, l’anti-rise est aussi important que le rise. La suspension n’est pas sensée bouger à cause des transferts de masse. Certains sont tenté de dire qu’elle est indépendantes au freinage. D’autres disent aussi que l’anti-rise favorise la géométrie du vélo, puisqu’il n’engendre pas de mouvements qui viennent la perturber.
- Au delà de 100%, l’anti-rise est plus important que le rise. La suspension va avoir tendance à s’enfoncer. Ce faisant, elle trouve une position d’équilibre plus loin dans le débattement, face à l’amortisseur et son ressort très comprimés, et donc durs à déclencher. La suspension aura tendance à figer davantage. Certains apprécient que le vélo se tasse au freinage et contre le mouvement de plongée vers l’avant. Mais d’autres n’apprécient pas que les impacts au sol soient bien plus perceptibles et moins filtrés.
Avec ces valeurs en tête, on pourrait foncer sur le terrain, et tenter de retrouver ce que les chiffres indiquent sur le papier… Pourtant, une mise en garde importante s’impose ! L’anti-rise tel qu’on l’aborde jusqu’ici, est une anti-rise pur. Comprenez qu’il s’agit avant tout d’une modélisation mathématique, avec ses intérêts, et ses limites. Principale limite justement, elle ne tient pas totalement compte de l’influence des forces de freinage.
L’Anti-rise tel qu’il est défini mathématiquement, intègre le fait qu’il y ait décélération d’une masse, et étudie les efforts/mouvements de suspension qu’elle entraine, mais n’intègre pas la provenance, la nature et les spécificités des forces de freinage qui provoque cette décélération. Si bien que par moment, la modélisation en vient même a s’appuyer sur des situations irréalistes. Or, dans la réalité, on ne peut se passer de ces forces à l’origine même de la décélération en question… Et donc des possibles effets parasitaires qu’elles peuvent avoir. Raison pour laquelle ce didactique n’est pas fini…
Influence du freinage
Lorsque l’on actionne le frein arrière, l’étrier de ce dernier exerce nécessairement des efforts sur les éléments auxquels il est relié. Ces forces de freinage ont aussi leur influence sur le fonctionnement de la suspension, et viennent se superposer à l’anti-rise tel que défini précédemment…
Origines des forces de freinage
Sur nos montures, le système de freinage use d’un principe simple : un élément solidaire de la roue en rotation (disque) et un étrier équipé d’éléments qui viennent pincer, donc exercer un effort de freinage…
Par définition, le disque a une forme circulaire, ici centrée autour de l’axe de rotation de la roue. Et pour qu’à tout moment on soit certain que l’étrier pince correctement le disque, il suffit de le maintenir à distance constante de ce même axe de rotation. Ça parait simple dit comme ça, mais ça a une importance captiale. Notamment lorsque la roue arrière est suspendue… Il faut que l’étrier de frein suive les mouvements induits par la suspension ! Pour ça, la très grande majorité des vélos du marché optent pour une solution très simple à réaliser : fixer l’étrier de frein sur l’élément dont la roue arrière est solidaire… Le triangle arrière lorsqu’il est unifié, les haubans lorsqu’ils sont flottants, les bases lorsqu’il s’agit d’un point de pivot fixe…
En mécanique, lorsque l’étrier de frein pince le disque en rotation, on dit que la force de freinage crée un moment. C’est l’aptitude de cette force à influer sur le mouvement de rotation de la roue. La suite en image…
Le moment de freinage est assez facile à concevoir/modéliser si l’on cherche à le localiser sur l’axe de rotation de la roue arrière. Il s’agit de la distance qui sépare l’axe du centre de l’étrier – grosso-modo le rayon du disque – que multiplie la force. Plus la force et/ou le diamètre du disque est important, plus ça freine fort ! Maintenant, mettons certains principes de la mécanique à profit. On commence par changer de référentiel : plutôt que d’imaginer la roue en rotation et l’étrier fixe, imaginons l’inverse ! Dans ce cas, lorsque l’on freine, l’étrier exerce un effort sur l’élément auquel il est fixé. On peut donc même comprendre qu’il ait tendance à faire tourner la pièce à laquelle il est fixé, autour de l’axe de roue arrière par exemple.
Influence du positionnement de l’étrier
Si le freinage a tendance à faire pivoter l’élément sur lequel est fixé l’étrier, et que cet élément fait partie de la cinématique, quel effet sur le fonctionnement de la suspension ?! C’est propre à chaque cinématique, et notamment lié au positionnement de l’étrier de frein…
Pour commencer, prenons le cas de figure simple de la suspension mono-pivot. Ici, l’étrier est positionné « à l’avant du disque ». L’effort qu’il applique au bras arrière est donc orienté vers le bas, ça a donc tendance à détendre la suspension. Même cinématique, mais cette fois-ci l’étrier volontairement presque diamétralement opposé. L’effort de freinage est cette fois-ci orienté vers le haut, ce qui pousse la suspension à se compresser. Entre ces deux positions, une infinité de solutions, dont une qui procure un certain équilibre. Pour la déterminer, il « suffit » d’utiliser la translation du pivot ou formule de Varignon.
Cette formule est un classique en mécanique, autrement appelée BABAR. Elle permet de déterminer à quel endroit précis l’étrier peut ne pas influer le fonctionnement de la suspension, ou avoir le moins d’influence. Au moment de concevoir le vélo, on peut néanmoins souhaiter qu’il aide ou contre le fonctionnement de la suspension…
Influence de la cinématique
On vient de le voir avec la formule de Varignon, l’influence du freinage sur la suspension dépend de la position du point de pivot principal. Or, certaines suspension ont un point de pivot virtuel, comme on l’a vu dans un précédent Didactique Endurotribe…
Localiser ce point de pivot virtuel est assez facile : il se situe à l’intersection des biellettes qui suspendent le bras arrière. Ici, le point de pivot se situe de telle manière que le bras va plutôt pivoter en détendant la suspension. Inversement, ici, la suspension va plutôt avoir tendance à prendre le débattement. La particularité des suspensions à point de pivot virtuel tient aussi au fait que le point de pivot peut être amené à se déplacer énormément du début à la fin du débattement. Ce déplacement engendre une variation de la distance entre le point de pivot et l’étrier. Or cette distance entre dans le calcul qui détermine l’équilibre ou le mouvement du bras arrière sous l’influence des forces de freinage…
Avec un point de pivot virtuel, on peut donc avoir une suspension sur laquelle le freinage a une influence qui varie en fonction de l’endroit où l’on se trouve dans le débattement. C’est là, toute une subtilité dans la conception d’un VTT moderne…
Étrier flottant et articulation bases/haubans
Arrivé à ce stade, les plus perspicaces d’entre nous peuvent avoir une objection : tout ceci est valable si l’on fixe l’étrier sur le bras arrière, mais n’y a-t-il pas d’autres solutions ? Oui, c’est le cas des étriers montés flottants ou de certaines cinématiques très spécifiques…
Dans le cas de l’étrier monté flottant, un dispositif articulé permet à l’étrier de rester à distance constante de l’axe de la roue arrière, mais d’avoir un mouvement différent de celui du bras arrière. Dans ce cas, l’effet des forces de freinage n’est pas totalement annulé, mais modulé différemment. Ce dispositif est peu répandu en Enduro, mais parfois utilisé sur certains vélos de Descente. Il y a quelques temps, on en apercevait un sur le vélo de Danny Hart, en Coupe du Monde de Descente. Autre solution, faire usage d’une cinématique qui place l’articulation entre bases et haubans sur l’axe de rotation de la roue arrière. C’est le cas des Orbea, Trek et Devinci – entre autres – en ce début d’années 2020. En fixant l’étrier sur les haubans, le triangle arrière dans son ensemble est utilisé comme un système le faisant « flotter ». En fonction de la position dans le débattement, la résultante des forces de freinage n’a plus la même orientation et donc fait varier l’Anti-rise au cours du débattement.
Qu’en penser ?!
On le voit au cours de cet article en deux temps. Mathématiquement, l’anti-rise défini un phénomène purement lié à un transfert de masse. Il a un effet sur le mouvement de la suspension, et sur sa capacité à rester active ou non. Mais dans la réalité, les raisons de ce transfert s’y superposent, et viennent troubler la perception que l’on peut en avoir.
Globalement donc, on peut retenir qu’un anti-rise inférieur à 100% aura tendance à détendre et laisser active la suspension, alors q’un anti-rise supérieur à 100% aura tendance à la tasser et la figer. L’anti-rise donne une tendance. au freinage, le transfert de masse qu’il tente de caractériser est l’effet majeur qui entre en jeu. Il peut néanmoins être encouragée ou contrecarrée par l’influence des forces de freinage qui viennent s’y superposer. Si bien que ce que l’on perçoit dans la réalité n’est que la résultante des deux phénomènes.
Si par abus de langage, on dit donc facilement que ce que l’on ressent correspond à l’Anti-rise, ça n’est pas tout à fait juste et peut participer à la confusion. On tente d’y veiller dans nos parutions et nos échanges, mais il faut nécessairement parfois s’accorder. Lorsque l’on parle d’Anti-rise, certains pensent transfert de masse, d’autres influence du freinage. Dans tous les cas, ça amène bien à une suspension qui se comprime ou se détend et/ou à plus ou moins de sensibilité. Anti-rise est donc un terme riche qui peut englober plusieurs aspects, c’est tout l’objet de cet article que de le mettre en lumière…
Curieux ?! D’autres chapitres Didactiques Endurotribe sont disponibles. Ils sont tous regroupés, par thèmes, à la page suivante > https://fullattack.cc/categorie/matos/didactique/