Trail Tales – La « mission » Aravis de Théo Meuzard

Théo Meuzard, qui a rejoint la rédac’ FullAttack en début d’année pour vous parler de XC suite à sa reconversion professionnelle (à lire ici), est aussi un adepte des longues virées qui mêlent découverte et dépassement de soi. Après le tour du lac d’Annecy par les sommets l’an dernier, Théo s’est attaqué à un nouveau défi qui l’a conduit au pied de la chaîne des Aravis…

« Mission » Aravis

Texte : Théo Meuzard – Photos : Kéno Derleyn

Si depuis quelques années je n’accroche plus de dossards, ou si peu que je peux les compter sur les doigts d’une main, je n’ai probablement jamais passé autant de temps sur un vélo et je suis toujours attiré par le dépassement de soi que nécessite la compétition.

Déjà l’an dernier, je m’étais lancé le défi de faire le tour du lac d’Annecy par les sommets en partant de chez moi. Outre la dimension symbolique du tour, cela m’avait permis de découvrir des chemins près de mon domicile sur lesquels je n’avais jamais mis les roues tout en me dépassant sur le plan physique. Ce parcours m’avait amené à parcourir un peu plus de 100km pour 4900m de dénivelé, et j’avais adoré l’expérience.

C’est donc dans ce même esprit qu’a été pensé le projet de cette année. Initialement, la boucle avait été expérimentée par mon ami et collègue moniteur/guide VTT Antoine Bouqueret l’an dernier. J’ai repris son parcours et l’ai légèrement modifié à ma sauce, afin notamment que la ligne de départ/arrivée soit devant chez moi. J’aime l’idée selon laquelle je peux m’offrir de sacrées aventures en partant du seuil de ma porte. Ce tracé devait m’amener au pied de la chaîne de montagnes des Aravis, mais évidemment entre les deux, il y a quelques difficultés.

Le logiciel Land sur lequel je trace mes itinéraires m’annonçait la bagatelle de 135 km et 5200 m de dénivelé. C’est plus que le tour du lac l’an dernier, mais le parcours, que je connaissais en partie, s’annonçait un petit peu plus roulant tant en montée qu’en descente.

Orbea, qui est mon partenaire vélo, m’a soutenu dans ma démarche en intégrant ce projet au programme Trail Tales. C’est un programme qui vise à promouvoir via des réseaux sociaux dédiés les aventures à VTT en dehors de la compétition.

C’est la raison pour laquelle j’ai été accompagné durant cette journée par le plus français des photographes belges, Kéno Derleyn.

J’ai rencontré Kéno à l’occasion de la coupe du monde XCO de Nove Mesto en mai dernier. Nous avons partagé le voyage ensemble et nous avons de suite sympathisé. Nous avons des valeurs communes sur pas mal de sujets et c’est un photographe que je suis depuis plusieurs années, c’est pourquoi j’étais vraiment content de pouvoir l’associer à ce projet !

Arrivée au sommet du Mont Veyrier en septembre 2022, lors du tour du lac d’Annecy.

Les préparatifs

Même si on n’est probablement jamais assez entraîné pour ce genre de promenade, je considère que ma préparation a été bonne. Sans avoir été non plus méticuleuse et millimétrée, j’ai quand même eu l’occasion de faire pas mal de sorties longues avec du dénivelé, aussi bien en route qu’en cross-country. J’ai aussi fait quelques longues sorties vélo de montagne qui m’ont permis de me remettre dans le bain. Enfin et même si ce n’est pas ma tasse de thé, j’ai inclus quelques séances de renforcement musculaire qui permettent de se sentir mieux sur le vélo et de réduire le risque de blessure.

Durant les jours qui ont précédé, j’ai pris soin de préparer le matériel et d’organiser la logistique. Fort de l’expérience de l’an dernier, cette fois j’ai préparé d’office du bon matériel d’éclairage pour les portions de nuit. Une lampe Ravemen puissante prendrait place sur le cintre tandis qu’une lampe frontale Petzl de trail aurait en charge de casser les ombres de la première et de suivre mon regard. C’est un combo qui fonctionne vraiment bien pour rouler efficacement de nuit.

Je n’ai pas lésiné sur le ravitaillement en emportant boisson d’effort, barres salées, sucrées, pâtes de fruits, sandwichs… Il ne faut manquer de rien. La clé c’est de s’alimenter très régulièrement afin de ne jamais ressentir la sensation de faim ou de soif.

Côté monture, j’ai opté pour mon all mountain Orbea Occam LT. Un vélo de 150 mm de débattement en carbone, avec amortisseur à ressort, roues carbone Duke et pneus Michelin Wild enduro, dans leur version la plus légère. Au niveau de la transmission j’ai utilisé la cassette Shimano d’origine en 10-51 et un pédalier Leonardi Racing avec plateau rond de 32 dents.

L’Occam LT est un vélo qui pédale bien malgré son débattement. L’Occam « classique » en 140 mm et amortisseur à air aurait probablement été encore plus en phase avec cette excursion.

Mon Orbea Occam LT « custom » paré pour l’aventure

Le jour J

Jeudi 27 Juillet, à 3h45 du matin, Kéno me rejoint chez moi alors que je prépare mon petit-déjeuner. Nous avons tous les deux les yeux collés mais nous sommes contents de nous retrouver pour cette aventure. Pendant que je mange, nous peaufinons l’organisation du jour et déterminons les points de rencontre possibles pour faire des photos et le ravitaillement.

Nous sommes tous les deux très bavards mais il s’agit de ne pas trop traîner car la journée s’annonce très longue…

La première ascension doit m’amener au chalet de l’Anglettaz à 1500m d’altitude, sur le massif du Parmelan. C’est une longue montée roulante alternant route, pistes et quelques singles. Après environ deux heures de vélo j’y parviens, et le soleil commence doucement à se lever.

Les heures de vélo de nuit me donnent toujours l’impression de ne pas compter, dans le sens où elles passent très vite et paraissent moins dures… Tant mieux, car des difficultés je n’ai pas fini d’en rencontrer.

Après le chalet de l’Anglettaz, je me dirige vers la première descente qui doit me ramener sur Usillon. Celle-ci ne s’annonce pas fameuse vu la topographie, mais je n’ai que deux options et Antoine m’a déconseillé la première.

Le début de la descente n’est pas très intéressant mais a le mérite d’être roulable, même si le chemin est visiblement peu emprunté. Malheureusement plus je descends, et pire c’est. Par endroits je dois chercher le chemin qui a complètement disparu ou qui a été recouvert d’une végétation épaisse et épineuse qui rend la progression lente et fort désagréable.

Je porte, je pousse, je cherche… bref, je galère. Sur le moment je n’ai même pas le courage de faire une photo pour illustrer mes propos. Je n’ai qu’une envie, sortir de là le plus vite possible.

J’arrive tant bien que mal à Usillon et je remets le moteur en route pour rejoindre le col de l’Enclave où je dois retrouver Kéno.

La première partie en direction de ce dernier n’est pas des plus intéressantes. Je monte des pistes raides dans la forêt jusqu’au parking dit « des Cheneviers ». A partir de là, un chemin roulant et plus sympa permet d’atteindre facilement le col de l’Enclave.

À ce stade, j’ai déjà gravi 2300 m de dénivelé et j’attaque la partie la plus intéressante du tracé. Je rentre aussi dans le « top 100 » des kilomètres restants…

Par la suite enfin le paysage s’ouvre, lorsque je longe les montagnes de Sous-Dine et de la Roche Parnal. J’ai hâte de rejoindre le col du Freu car je connais la descente qu’il y a derrière pour l’avoir faite il y a quelques mois. Cette dernière est très rapide et composée de grands virages relevés naturels, c’est un régal à rouler.

Je rejoins rapidement Le Petit-Bornand où je retrouve Kéno. A cet instant, j’ai parcouru 56km et je suis parti de chez moi 7h auparavant. Je refais le plein d’eau, de nourriture, pour être certain de ne manquer de rien dans l’ascension suivante.

A ce stade, je me sens parfaitement bien physiquement mais mentalement je suis déjà un peu entamé. Ma motivation et mon envie sont déjà un peu émoussées, et je lutte contre moi-même. Paradoxalement, je ne doute pas un seul instant du fait que j’irai au bout de ce périple.

Je reprends ma route en direction des chalets de Mayse, 800m plus hauts en altitude. Le chemin pour m’y rendre est roulant mais bien raide par endroits. Mon corps commence à être bien plus consommateur en eau qu’à la normale. Il en sera d’ailleurs ainsi jusqu’à la fin de l’aventure. J’ai plutôt intérêt à jouer le jeu et à lui fournir ce qu’il me demande si je ne veux pas exploser en plein vol.

Après les chalets de Mayse, la montée se termine par un portage. Heureusement pour moi, il n’est pas très long et ce sera le seul de la journée.

On distingue les chalets de Mayse en contrebas. Point important du parcours car ils symbolisent la moitié du parcours en kilomètres et presque les deux tiers en dénivelé.

Au sommet je distingue enfin et pour la première fois la chaîne des Aravis, même s’il reste un bout de chemin pour arriver aux pieds.

La descente sur le Chinaillon est vraiment top avec des portions rapides et d’autres plus cassantes. Je me sens bien sur le vélo et je peux en profiter à 100%.

Sur le bas, je rejoins Kéno et nous en profitons pour faire quelques photos car le panorama est exceptionnel.

En arrière-plan on voit la chaîne des Aravis que je longerai quelques heures plus tard.
En descente je reste parfaitement lucide, ce qui me permet de jouer avec le terrain.

Après le ravitaillement, je m’élance déterminé vers le col des Annes. J’emprunte d’abord quelques lacets du fameux col de la Colombière, avant de bifurquer sur un chemin qui zigzague à travers les pentes herbeuses des pistes de ski de la station du Grand-Bornand. Le soleil tape mais la chaleur n’est pas insoutenable pour autant.

Une heure et demi après avoir quitté le Chinaillon, je rejoins le col des Annes. C’est le point le plus éloigné de ma maison. A partir de là, je ne ferai que me rapprocher de chez moi, c’est bon pour le moral ! C’est aussi le point de départ du sentier qui longe les combes des Aravis et qui m’amènera au col du même nom.

La chaîne des Aravis, enfin ! Plus qu’à la longer et rentrer à la maison.

Le début de ce sentier est très joueur et serpente dans un cadre idyllique. Même s’il est en majeure partie descendant, il y quelques remontées qui cassent le rythme avant de rejoindre le lac des Confins. Je longe les combes des Aravis qui nous régalent l’hiver en ski de rando.

Aux Confins, je retrouve Kéno et nous profitons du cadre pour faire quelques photos et un énième ravitaillement. Au compteur, je peux lire 91km et 4300m d’ascension. Les 40km restants seront donc bien moins exigeants. J’avais repéré qu’à partir du km106 environ, il n’y aurait plus que de la descente et du plat pour rejoindre la maison.

Derrière moi, la combe du Grand Crêt qui mène au trou de la mouche.

Il est 18h, le soleil commence à descendre sur l’horizon. L’objectif est de parvenir à faire au moins la dernière descente de jour. L’avant-dernière montée m’amène aux chalets des Juments. Là encore je souffre davantage mentalement que physiquement, ma tête me dit qu’il est temps de rentrer. La descente qui m’amène juste en dessous du col des Aravis fait partie du bikepark de La Clusaz, mais reste très proche d’un sentier naturel. Il y a peu d’aménagements, si ce n’est quelques virages relevés. Les conditions de grip sont excellentes, je peux attaquer et me faire plaisir. Comme à chaque fois depuis le début de l’aventure, les descentes font du bien au moral ! En bas, Kéno s’est posté pour faire des photos. Il est temps d’attaquer l’ultime montée…

Comme souvent lors d’un périple comme celui-ci, la dernière montée n’est pas la pire ! On se sent presque pousser des ailes pour venir à bout de cette dernière difficulté, d’autant plus que le compteur vient de franchir la barre fatidique des 100km. Je monte au col de la Croix Fry par une alternance de routes et de pistes. Les derniers hectomètres de la montée se font sur de beaux tapis de racines. Enfin, j’arrive au point culminant de cette ultime ascension, il est 20h30 et le soleil commence à se coucher.

La dernière descente jusqu’à Thônes est particulièrement belle et longue. Ce n’est pas une découverte car je l’ai déjà faite une première fois il y a quelques mois de ça, mais je suis content de revenir sur ce sentier car il est vraiment fun à rouler. Sur le haut, rapide et légèrement cassant, je suis accompagné par la lumière dorée du soleil couchant alors que je traverse les derniers alpages. L’ambiance et la vue sont grandioses.

Le bas du sentier est super joueur avec une succession d’épingles ni trop ouvertes, ni trop fermées, juste ce qu’il faut pour apporter un peu de technique et garder du flow. J’arrive à Thônes au moment ou la nuit commence à tomber… ouf, je sais qu’à ce stade c’est gagné, je vais venir à bout de ce défi !

Kéno me rejoint dans l’avant-dernier virage et nous attendons qu’il fasse sombre pour faire des photos avec les lampes allumées.

J’entame l’ultime portion du parcours, de loin la plus facile. Il s’agit de 22km presque exclusivement plats, alternants route et chemins très roulants. Je ne suis pas mécontent de faire du « gravel » à ce stade et de voir les kilomètres défilés.

J’ai rarement l’occasion de rouler de nuit, je profite de la fraîcheur du soir et du silence qui m’entourent. Le bruit des crampons sur le gravier me berce et ma présence surprendra quelques animaux au passage. Quelques biches, lapins et autres renards bondiront juste devant moi. J’ai même l’occasion de m’arrêter pour observer une chouette effraie que ma présence ne semble pas perturber outre mesure.

J’arrive chez moi à 23h passé, plus de 18h après avoir donné le coup d’envoi de cette folle aventure. En tout, j’aurais parcouru 139 km, gravi 5870 m de dénivelé en 14h (temps de déplacement). C’est de loin ma plus grosse sortie en « one shot » et je ne souhaite pas faire plus de sitôt ! Mentalement je me sens vidé, et je suis soulagé d’être allé au bout de ce défi.

Kéno, qui n’a pas dormi durant ces vingt-trois dernières heures n’a perdu ni son sourire, ni son sens de l’humour. Après un rapide debriefing de cette rude journée, nous nous saluons et ne tardons pas à céder à l’appel des bras de Morphée. Jamais mon lit ne m’avait semblé si douillet…

Je tiens à remercier Orbea d’avoir soutenu ce projet et bien sûr Kéno pour son travail, son assistance et ses encouragements précieux tout au long de la journée.

Théo

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