Objectif JO Paris 2024 – Interview de Loana Lecomte

À l’aube d’une saison de XC qui s’articulera principalement autour des Jeux Olympiques de Paris, nous avons voulu discuter de l’approche de cet évènement singulier avec différents protagonistes du milieu. Parmi eux, des athlètes bien sûr, mais pas que…

C’est Loana Lecomte qui nous fait l’honneur d’ouvrir le bal. L’Annécienne de vingt-quatre ans nous a reçu chez elle autour d’un thé Rooibos et de son chat Twixy. Depuis plusieurs années déjà, Loana tutoie les sommets du XCO mondial et vivra en juillet ses seconds Jeux Olympiques. Pour Fullattack, elle revient sur son expérience aux Jeux de Tokyo, et sur les tumultes provoqués par un résultat en deçà des espérances… des autres.

Propos recueillis le 23/01/2024 par Théo Meuzard

Théo Meuzard : Avant toute chose, comment tu te sens en ce moment, à l’aube de cette nouvelle saison ? Comment tu occupes ton hiver ?

Loana Lecomte : Ça va très bien ! C’est une de mes périodes préférées. On construit vraiment la forme pour la saison, autant sur le plan physique que mental. Je m’occupe bien en hiver, entre les séances de vélo, de ski, de musculation, de course à pied… Je fais également de la natation. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer, je vis ma meilleure vie ! (rires)

On voit pas mal de coureurs s’entraîner en ce moment sous la chaleur de l’Afrique du Sud. Tu préfères le froid de ta Haute-Savoie natale ?

(rires) Je n’irai pas jusqu’à dire que j’aime le froid, mais chaque chose en son temps. C’était un peu précipité de partir au mois de décembre ou janvier au soleil, mais je pars le premier février en Afrique du Sud pour deux semaines avec l’équipe de France. Avant ça j’aime bien profiter de la neige. Je roule parfois dans la neige, même si après une sortie de deux ou trois heures tu as l’impression d’en avoir fait six, ça use ! Une fois de temps en temps, ça ne fait pas de mal. Sinon il y a le home trainer, et d’autres activités. De toute façon l’hiver, on travaille plutôt le volume, il n’y a pas besoin de faire de grosses intensités, donc que ce soit du volume en faisant de la rando à pied, à ski, ou en vélo, c’est pareil, l’important c’est de faire grossir le cœur.

Les JO sont sur toutes les lèvres. Avant de parler de ceux qui arrivent dans quelques mois, revenons sur ceux de Tokyo. Avec le recul, quels souvenirs gardes-tu de cette première expérience olympique, que tu as vécu à seulement 21 ans ?

Avec le recul, je dirais que c’est une course qui ne ressemble à aucune autre. Déjà entre une coupe du monde et les championnats du monde, il y a une différence, on sent qu’il y a plus d’agressivité, mais les Jeux Olympiques c’est encore autre chose. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à vraiment réaliser ce que c’est. Je sais exactement ce que je ressentais à chaque moment, avant la course, pendant et après, mais c’était très étrange. Comme c’était en période de confinement, il n’y avait personne au bord du circuit. Ça faisait à la fois petite course régionale tout en étant la course la plus importante pour notre discipline. C’est une grosse course pour ce qu’elle représente en terme de résultat, mais sur le moment il n’y avait personne, et on sentait que c’était tendu… C’était très particulier. Désormais j’ai envie d’aborder les Jeux autrement, comme une course « normale », comme j’ai pu le faire au test event (qu’elle a remporté en septembre 2023, ndlr), que j’ai abordé avec plus de légèreté. J’avais la volonté de donner le meilleur de moi-même mais sans me faire des nœuds au cerveau. J’avais envie de plus en profiter, car je crois qu’en 2021, je ne maîtrisais pas tout. Je faisais car il fallait faire, mais dans ma tête j’étais un peu perchée au-dessus de tout ça, sans contrôler.

J’ai envie d’aborder les Jeux comme une course « normale », comme j’ai pu le faire au test event que j’ai abordé avec plus de légèreté.

Comment se manifeste la pression médiatique à l’approche d’un tel évènement ? Quels impacts ont sur toi ces sollicitations et comment tu les gères ?

Nous avons mis pas mal de choses en place pour bien gérer ces sollicitations médiatiques. Même si je sais qu’un mois avant les Jeux tout le monde va s’exciter, j’ai prévenu depuis un moment que je profitais de l’hiver et du début de saison pour répondre aux sollicitations mais qu’à partir d’avril, mai, je serai obligée de refuser les sollicitations de beaucoup de médias. Il y a des médias très important auxquels il faudra que je réponde, c’est aussi grâce à ça qu’on peut vivre (rires). Avant les Jeux de Tokyo, même si j’avais gagné les quatre coupes du monde précédentes, je ne me rendais pas encore trop compte de l’aspect médiatique. Pour moi c’était tout nouveau, ça me faisait plaisir qu’on s’intéresse à moi. Avant les Jeux, c’était cool, c’était fluide, mais juste après, comme j’avais fait une contre-performance aux yeux de beaucoup de médias, tous ceux qui me caressaient dans le sens du poil juste avant m’ont un peu « détruite ». On me demandait « mais qu’est-ce que tu as fait Loana ? » ou encore « On ne s’attendait pas à ça, tu nous as déçu » (rires). Je n’étais pas prête à ça, mais maintenant j’ai les épaules pour encaisser. Peu importe ce que les autres peuvent dire ou penser, je m’en fiche, je le fais avant tout pour moi.

A Tokyo, tu avais rempli l’objectif que tu t’étais fixé en prenant la 6ème place, pourtant la plupart des articles sortis juste après la course soulignaient une « immense déception » et une « contre-performance ». Comment expliquer une telle différence entre ton ressenti et la retranscription qui en a été faite dans les médias ?

C’est bien là tout le problème, et l’aspect négatif des médias. Pour faire de l’audience, il faut des titres accrocheurs. En soi quand on a cherché dans les articles, ils n’étaient pas si méchants, mais moi je me suis arrêté au titre. Il y a eu un article qui s’intitulait « autopsie d’un désastre » quand même ! (rires) Quand j’ai lu ça j’ai eu les larmes aux yeux, c’était horrible. Tu imagines, « autopsie d’un désastre » ? En fait en lisant l’article, ce n’était pas si virulent, mais je me mets à la place de Mr et Mme tout le monde, si je vois ce titre là, dans un journal très connu, je l’achète directement, je veux savoir ce qu’il y a dedans ! (rires)

En fin de compte, c’était le public qui était déçu, pas toi, non ?

C’est exactement ça. On le voit sur la vidéo de l’arrivée. Je passe la ligne avec le sourire, car je savais que je ne pouvais pas faire mieux ce jour-là, j’étais contente. Je fais demi-tour, je croise une personnalité politique de la FFC, et celle-ci me fait comprendre que j’ai déçu la fédération. Ensuite, j’arrive devant les médias, et ils insistent encore plus là-dessus. D’un coup, j’ai perdu toute confiance en moi. Je me suis remise en question, je me suis dit « Je suis contente de moi, mais peut-être que je ne devrais pas ? ». J’étais jeune, et je n’étais pas prête pour ça. Maintenant ça n’arrivera plus, je suis capable de passer au-dessus de ça. Il faut oser en parler car en fin de compte, le journaliste est comme moi. Nous sommes deux êtres humains, il n’est pas au-dessus de moi et n’a pas à juger ce que je fais. C’est important de dire ce qu’on pense.

Le journaliste est comme moi. Nous sommes deux êtres humains, il n’est pas au-dessus de moi et n’a pas à juger ce que je fais. C’est important de dire ce qu’on pense.

Il y a eu des commentaires plutôt négatifs, notamment sur les réseaux sociaux, alors qu’on parle quand même d’une performance aux Jeux Olympiques que peu de personnes seraient en mesure d’accomplir. Est-ce qu’à la lecture de ces commentaires, tu as remis en question ta performance ?

C’est tout à fait ça. C’est vrai que pour ça les réseaux sociaux sont « dangereux » en quelque sorte. Il y a 90% de positif, mais il y a toujours quelques commentaires négatifs. Ce sont les seuls que je vois et que je vais retenir évidemment ! (rires) A ce sujet il y a deux solutions, soit je coupe tout et je confie mes réseaux sociaux à quelqu’un, mais je n’en ai pas forcément envie car je m’en sers aussi par plaisir, soit il faut apprendre à passer au-dessus, et ça, ça ne se fait pas en un claquement de doigts. C’est ce que j’ai travaillé ces trois dernières années. Ça vient aussi avec la maturité je pense. A 20 ans, les réseaux sociaux c’est le centre de la vie ! (rires) Derrière un écran, c’est facile de critiquer. Ça a remis en question pas mal de choses, même si mes proches ou mes amis me disaient qu’ils étaient fiers de moi, ils ne se rendaient pas compte de ce que je pouvais ressentir en tant que sportive de haut niveau. Et ça, il n’y a qu’un sportif de haut niveau ou quelqu’un qui l’a été qui peut le comprendre. Parfois, il y a des remarques de la famille qui peuvent être involontairement blessantes. Par exemple lorsqu’on me dit « c’est dommage », je ne veux pas qu’on me dise que c’est dommage (rires), c’est une course, c’est comme ça. Ce n’est pas valable que pour les JO, parfois ça arrive encore, mais ce n’est pas grave, je leur dis, je leur explique, et ils comprennent.

Qu’est-ce que tu aurais envie de dire aux gens ou aux médias qui disent que tu es passée à côté de tes premiers JO ?

Je ne suis pas passé à côté, déjà j’ai pris le départ ! (rires) Je ne suis pas passé à côté, car peut-être que sans cette expérience, je n’aurais pas grandi comme j’ai pu grandir aujourd’hui et avoir du recul là-dessus, même si à vingt-quatre ans j’ai encore plein de choses à apprendre. Au contraire, je me dis que c’est une bonne chose de ne pas avoir gagné, ou que je n’ai pas fait un podium, car il y aurait eu moins de challenge ensuite pour aller chercher une performance. Je voudrais juste dire à ces gens qu’ils ont tort ! (rires)

Grâce à l’expérience de Tokyo, tu vas aborder les JO de Paris différemment ?

Oui, un de mes gros objectifs était de devenir imperméable à ces commentaires ou remarques. Je l’ai travaillé un petit peu en préparation mentale, mais ça vient surtout avec l’expérience. Le fait d’avoir pas mal échangé avec Pauline (Ferrand Prévot) m’a aidé aussi. Les médias nous ont mis à dos alors qu’on ne s’est jamais détesté et qu’on n’a jamais eu de conflits. On nous a inventé des histoires de télé réalité, comme disait l’autre jour Quentin Fillon-Maillet (rires), et ça a commencé à jeter un froid entre nous. Cette année on s’est quand même retrouvé et nous avons pu parler. Echanger avec elle m’a permis de grandir plus rapidement puisqu’elle était déjà aux JO de Londres à 20 ans. Niveau médiatisation elle s’y connait, maintenant elle passe au-dessus de tout, elle s’en fiche, elle vit sa vie. De parler avec elle, ça m’a permis de me dire que je n’étais pas toute seule, ça m’a rassuré. Ça m’a fait du bien, vraiment.

De parler avec elle (Pauline Ferrand Prévot), ça m’a permis de me dire que je n’étais pas toute seule, ça m’a rassuré. Ça m’a fait du bien, vraiment.

Toi qui as déjà vécu les Jeux, est-ce que tu considères que ça mérite tout le battage médiatique qu’il y a autour ? Est-ce que tu relativises sur l’ampleur de l’évènement, notamment du fait que la densité de coureurs au départ sera plus faible que sur une coupe du monde ? (Elles seront 36 au départ, et maximum deux par nation. Idem chez les hommes).

Pour nous les athlètes, tout le battage médiatique et politique autour des Jeux n’a pas vraiment d’intérêt, on s’en moque. D’un autre côté, c’est l’opportunité de donner de la visibilité à notre sport et de montrer aux gens ce qu’est le métier de sportif de haut niveau. Ça permet aussi de donner envie aux gens de faire du sport, quand je pense par exemple aux publicités qu’on voit passer en ce moment à la télé. J’ai vu également des petits reportages de quelques minutes sur des athlètes et je trouve que c’est intéressant. Ça parle à tout le monde, aux gens qui s’y connaissent comme aux gens qui ne s’y connaissent pas. On peut tous s’identifier à un ou une sportive. Pour ce qui est de la densité au départ, au final chez les filles il y a tout de même toutes les top pilotes car c’est rare qu’il y ait plus de deux filles par nation qui jouent les avant-postes, à part peut-être en Suisse. Pour les hommes, c’est un peu plus dommage. C’est ingrat comme sélection, car des nations comme la France, la Suisse, l’Allemagne ou l’Italie ont parfois trois ou quatre athlètes capables de ramener une médaille aux JO. Peut-être que ce serait à revoir, mais l’esprit des Jeux c’est aussi de faire participer tout le monde et si les sélections étaient plus larges ça laisserait moins de places aux plus petites nations. Un podium composé de trois athlètes du même pays, ce n’est pas l’esprit Jeux. (C’est ce qui s’est passé sur le XC femmes à Tokyo avec le trio Suisse Jolanda Neff, Sina Frei et Linda Indergand, ndlr).

Tu nous disais dans une interview pleine d’émotion (lien) à l’arrivée de la coupe de France de Marseille en mars 2023 que tu étais à nouveau heureuse et épanouie dans ta vie. Comment tu te sentais avant ça et quel a été le déclic pour que ça change ?

Juste après les Jeux de Tokyo, je n’étais pas loin de la dépression. J’étais maussade, je me remettais en question, je manquais un petit peu de confiance en moi. Je n’étais pas épanouie. Comme d’autres filles j’étais un peu tombée dans le culte de la finesse et de l’affûtage. Je faisais tout le temps très attention à ce que je mangeais, je ne voulais plus trop sortir pour aller au restaurant par exemple. Je n’avais pas non plus des troubles du comportement alimentaire mais c’était source de prise de tête. Déjà que j’ai tendance à être très exigeante, là c’était encore pire. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est d’en parler avec Yvan Clolus (le sélectionneur national élite), Marie Laure Brunet, ma préparatrice mentale, et mon entraîneur Philippe Chanteau. Ils m’ont pris entre quatre yeux pour me dire ce qui n’allait pas et il y a eu un déclic lorsque je me suis rendu compte qu’ils voyaient tout ça et que je n’étais pas toute seule. J’ai pris conscience que j’allais être accompagné, que j’avais des gens qui me soutenaient et ça m’a fait du bien. Je me suis également fait accompagner par un psychologue et un nutritionniste. Il y a l’aspect mental dans le sport mais pour être performant il faut être équilibré dans la vie de tous les jours. Le déclic s’est fait à Marseille (première manche de la coupe de France 2023). Je me suis retrouvée, Loana, en bonne santé, heureuse sur le vélo et dans ma vie. Je ne veux pas que le vélo ait un impact sur ma santé mentale ou physique. J’ai réussi à rééquilibrer tout ça.

Je me suis retrouvée, Loana, en bonne santé, heureuse sur le vélo et dans ma vie. Je ne veux pas que le vélo ait un impact sur ma santé mentale ou physique. J’ai réussi à rééquilibrer tout ça.

Et aujourd’hui, tu es heureuse ?

Oui complètement ! Je sais ce que je fais, je sais pourquoi je suis là et je fais ce qui me plait. Je m’écoute et je me prends moins la tête. Il faut savoir s’écouter et pour cela il faut avoir confiance en soi et ça ce n’est pas évident. Il y a des personnes chez qui c’est inné et ça peut paraître surprenant mais j’admire ceux qui sont tout le temps sûrs d’eux. C’est donc un gros travail qu’on a fait en préparation mentale. Quand on a confiance en soi on est bien avec les autres. Quand on arrive à s’aimer, on peut ensuite donner de l’amour à ceux qui nous entourent.

Est-ce que ta saison 2024 sera centrée uniquement sur les JO ?

Les Jeux sont un gros objectif, mais il y a également les championnats du monde qui me tiennent à cœur. Je vais me préparer pour les coupes du monde mais le général ne sera pas un objectif. Chaque chose en son temps, j’ai déjà gagné le général en 2021, là je vais me concentrer sur deux courses d’un jour. Je vais faire les coupes du monde à fond, on verra bien ce qui se passe à la fin.

Quelle sera ta course de rentrée ?

La coupe de France de Marseille (17 mars 2024). Tous les ans, la question de démarrer en février se pose, mais je préfère m’entraîner tranquillement. L’an dernier j’ai participé à la course de Banyoles en février mais je suis tombée au bout de 50m ! (rires). Je suis quelqu’un qui met beaucoup d’énergie sur les courses, donc j’aime bien me concentrer sur les épreuves importantes. Commencer au mois de février pour finir en octobre… ça fait une longue saison quand même. Je préfère garder de la fraicheur pour la fin de saison.

Est-ce que les jeux occupent toute la place dans ta tête du soir au matin ou est-ce qu’il y a de la place pour autre chose ?

Pas du tout ! (rires) Les Jeux, je n’y pense pas tant que ça, ou en tout cas pas plus que n’importe quelle autre course. Ce sera dans ma tête deux semaines avant. Je me prépare comme avant chaque saison pour être la plus performante possible sur les courses que j’ai choisies. Quoi qu’il arrive je respecte ma planification d’entraînement, je suis un peu psychorigide là-dessus.

Est-ce que Twixy est un bon colocataire ? 

Non, c’est le pire des chats ! (rires) Il est hyper ingrat, c’est le démon incarné. Il ne se laisse caresser que quand il l’a décidé. On se déteste autant qu’on s’aime !

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