Les topos d’Alexis Righetti – Peña Montañesa

Après la Punta de los Cavez, Alexis Righetti est de retour pour un nouveau topo inédit sur FullAttack, à l’assaut de la Peña Montañesa .Et cette fois encore, la publication de notre article est synchronisée avec la sortie de sa toute dernière vidéo à retrouver en bas de page. Bon trip !

Peña Montañesa

Localisation

Sierra Ferrera (Espagne)

Altitude

2291 m

Dénivelé

1270 m

100% en portage dont une partie épuisante dans une zone de maquis où le vélo ne passe pas en travers

Type de ride

Vélo de montagne freeride puis trialisant

Intérêt ride

0/10 si on n’aime pas être malmené

9/10 si on aime la grosse difficulté

Beauté

10/10

Niveau d’engagement montagne

7/10

Montagne relativement basse mais terrain complexe et violent

Niveau d’engagement ride

9/10

Il faut s’engager en permanence, sinon ça ne passe pas. Impossible d’y aller « à moitié ». Et chute souvent bien mauvaise…

Itinéraire

Arête sud-est puis voie normale

Départ

Parking avant le monastère de San Victorian

Conditions

Printemps, temps sec

Difficulté

  • Arête sommitale et face est : T5+ / E3+. Alternance de passages techniques, raides, expo et très glissants avec des barres rocheuses NR. La désescalade est toutefois assez facile, attention simplement aux chutes de pierres.
  • Traversée de 300 m horizontale sous les barres du col entre les deux sommets : Non roulable à 80%, quelques sections roulables, mais en E4 (chute mortelle).
  • Plateau jusqu’à la barre rocheuse de la Feixa Mula (1750 m) : T4+ / E2. Single peu pentu mais très cassant et piégeux où certains bouts sont en T5 malgré les apparences. On trouve néanmoins sur cette partie le seul segment un poil clean de la descente, sur environ 200 m.
  • Barre de la Feixa Mula : désescalade sur 20 m, qui peut être délicate en portant le bike.
  • Rampe diagonale jusqu’au pied de la montagne (1350 m) : T5+ / E3. Très haute difficulté sans discontinuer sur 400 m de dénivelé. Aucun relâchement envisageable, même sur 1 m. Single très étroit, ultra cassant, avec des roches piégeuses complexes, nécessitant des placements permanents.
  • Zone de maquis jusqu’à la route (1080 m) : T4+ / E2. Single étroit avec beaucoup d’obstacles piégeux. Difficulté qui reste soutenue. Seule la dernière minute de ride se fait sur un sentier à peu près normal).

D’où qu’on se trouve dans la région de Ainsa en Espagne, on ne voit qu’elle : la Peña Montañesa. Sa silhouette massive et menaçante de château fort domine la région. Et c’est vraiment d’une forteresse qu’il s’agit : toutes ses faces sont barrées par des barres rocheuses de 400 m de hauteur et au-dessus des plateaux suspendus, s’élève le donjon, la cime de la Peña, encore étincelante des restes des dernières neiges. On raconte que des sévices innombrables se sont produits en ces lieux… Et comme on va le voir, ce n’est pas forcément faux…

Bien que cette montagne se trouve au beau milieu d’un des plus célèbres spots d’enduro d’Espagne, la Zona Zero, aucun itinéraire, même non officiel, ne passe par le sommet. En fait rien ne s’en approche ; toutes les traces s’arrêtent aux premiers contreforts verticaux. Ça aurait dû nous mettre la puce à l’oreille… Pourtant, dès qu’on voit ce pic, on n’a qu’une envie : se retrouver en haut.

Je l’avais déjà descendu à vélo fin 2019, en plein hiver, avec un autre coéquipier. Mais « descendre » est un bien grand mot. C’est plutôt nous qui nous étions fait descendre à l’époque. En effet, on avait difficilement réussi à rider 50% du dénivelé. Et quand je dis « rider », ça signifie juste « garder les deux pieds sur les pédales ». J’avais bien précisé ce demi-échec dans la vidéo que j’avais sortie à l’époque.

Pour être tout à fait clair, la Peña Montañesa constitue une sorte d’objectif ultime de vélo de montagne. Avec seulement 2291 m ce n’est pas un haut sommet, mais la totalité de l’itinéraire se situe à la limite permanente de ce qui est faisable en vélo de montagne. S’il n’est pas rare de rencontrer quelques morceaux côtés T5 sur un itinéraire de montagne (T5 étant la cotation de difficulté maximale), sur la Peña, c’est la quasi-intégralité des 1300 m qui sont en T5. Minimum. Il n’y a aucun répit, même sur les zones plates. Que de la violence, que de la surenchère jusqu’à la nausée, un vrai film de Michael Bay. Mais ce qui pousse au crime, c’est que quasiment tout est « théoriquement faisable ». Chaque section peut se franchir. Le défi, c’est donc de réussir à tout enchainer, après une ascension épuisante et surtout, sur un tel dénivelé et sur un itinéraire aussi long, avec des traversées en montée et descente, des passages d’escalade / désescalade et le tout dans une ambiance de montagne impressionnante. Bref, le défi technique pur, se mêle à un défi mental, un défi d’engagement, de concentration et d’endurance.

Mais pourquoi vouloir la refaire, alors ?

Car la descente de 2019 m’avait laissé une sensation d’inachevé. Rider 50% d’une montagne, c’est presque pire que ne rien faire du tout. On est vite taraudé par la question : est-ce qu’on a ouvert la ligne ?… ou est-ce qu’on a tout simplement triché ? Quand a-t-on le droit de dire qu’on a fait un sommet à vélo ?

Le vélo de montagne, ça n’est pas seulement emmener son bike sur un point haut. Comme tous les sports de montagne, c’est adossé à une éthique. En ski de pente raide, le but consiste à descendre le plus possible skis aux pieds. Parfois, quand c’est trop raide ou en glace, on pose un rappel. Mais si on descend toute une face en rappel, on ne peut plus dire qu’on l’a skiée. En alpinisme, c’est pareil avec les passages que l’on franchit avec des techniques artificielles ou « artif » comme on dit. Et en vélo c’est la même chose. Pour moi, faire 50% de la descente à pied, c’était plus un échec qu’une réussite.

Or depuis 2019, plusieurs paramètres ont changé. Paramètre matériel d’abord : je suis passé sur un bike en 29. Sur le genre de terrain de la Peña, avec des blocs et des failles partout, ça a son importance pour pouvoir enchainer proprement, limiter l’épuisement et conserver une (petite) marge. Paramètre technique ensuite : en effet, j’ai pas mal monté en niveau sur les trois dernières années. Je pense pouvoir dire qu’il a presque doublé, ce qui change la donne. Paramètre humain enfin : j’ai maintenant avec moi Pierre, un coéquipier né un guidon entre les mains, adorant le challenge et n’ayant peur de rien. Notre binôme génère une émulation constante en montagne, ce qui permet de repousser les limites. Et on a vraiment besoin de les repousser, pour rider VRAIMENT cet itinéraire !

La semaine précédente, nous avions fait ensemble le Nabain, superbe parcours d’enduro-montagne, mais Pierre s’est vite retrouvé obnubilé par la Peña qui le narguait juste en face. Nous nous sommes donc promis de revenir la tenter très vite. Et 7 jours plus tard, nous voilà donc prêts à démarrer, bikes sur le dos.

Lors de ma première ascension en 2019, je me souviens très bien avoir été porté par un vent d’optimisme et de positivité. Mais aujourd’hui, très vite, une sorte de chappe de plomb s’abat sur nous. Dès le départ, les difficultés et les doutes s’accumulent. Tout d’abord, il fait bien plus chaud que prévu : même si on est encore en mars, il doit faire plus de 20 degrés à 1000 m en ce milieu de matinée ! Or il n’y a pas un poil d’eau sur l’itinéraire. Nous sommes donc exceptionnellement chargés avec chacun plus de 2 litres, mais même en ayant prévu le coup, nous prenons vite peur de ne pas en avoir assez et nous commençons à nous rationner dès le début. Dur pour le moral !

Ensuite, l’itinéraire démarre par une longue… très longue… traversée dans un terrain densément boisé, sorte de mélange inextricable de maquis et de forêt. Cette traversée ne doit pas être si longue à pied… Mais le problème est que le sentier n’est pas du tout dégagé et que les bikes en travers s’accrochent dans les arbres en permanence. Nous avons la sensation d’être des tracteurs trainant cinq socs de charrue. Nous sommes obligés de marcher accroupis, en crabe, voûtés, en forçant pour faire passer les roues…

A ce rythme nous nous épuisons à vue d’œil alors même que nous ne sommes pas encore sur les pentes de la montagne. Nous visualisons notre barre d’énergie qui descend, comme dans un jeu vidéo. Dur pour le corps mais surtout très dur pour le mental, une fois de plus ! J’ai heureusement la présence d’esprit de desserrer les potences pour basculer les guidons à 90°. Ça n’est pas magique mais ça fait déjà 50% d’accrochages en moins.

Nous sortons finalement de la zone boisée et amorçons la montée de la grande pente en diagonale qui s’élève au-dessus de la première rangée de barres rocheuses. Plus nous montons, plus nous doutons. Le terrain est pire que dans mon souvenir (peut-être parce que cette fois, j’envisage de vraiment tout passer…). Les rochers ne sont jamais sains : ils sont torturés, vicieux, piégeux… Le calcaire nous montre ce qu’il sait faire de pire, et il est créatif, croyez-moi !

Les passages sont très étroits, n’offrant jamais plusieurs alternatives. Et surtout, l’expo aussi est pire que dans mon souvenir. La présence de végétaux un peu partout donne une fausse impression de sécurité : en vrai, la chute est systématiquement très mauvaise. Bref, on visualise qu’en plus d’être une horreur technique, il ne faut pas se louper. Pour gagner du poids, Pierre n’a pris que les protections minimales : il n’a même pas emporté de genouillères ou coudières et je vois bien que même s’il ne dit rien, il commence à le regretter.

Au bout d’un moment, je réalise qu’on grimpe en silence, l’air préoccupé, un peu comme si nous partions à l’échafaud.

Puis Pierre commence à demander des pauses. Ce qui est une première… Normalement, Pierre a une énergie incroyable et ne se plaint jamais. Je sens qu’il n’a que moyennement envie de monter. Chose rare : la descente nous inquiète. D’habitude, on est enjoués, on regarde les passages en anticipation en s’imaginant rider. Là, dur d’imaginer poser les roues où que ce soit. On finit par lancer ouvertement la question : est-ce que ça vaut le coup ? Ou plus exactement : est-ce qu’on va arriver à faire quelque chose de satisfaisant à la descente ? On est d’accord sur un point : théoriquement, oui, on peut le faire. Mais en pratique… « Théoriquement » : nous avons énormément utilisé ce mot lors de cette sortie… Théoriquement, ça passe.

On s’arrête, on mange une barre, on contemple le paysage… Sur cet aspect, par contre, ça s’améliore. Nous sommes partis dans un vague maquis collinesque mais au fur et à mesure qu’on prend de l’altitude, on pénètre dans un paysage qui rappelle l’ampleur et la brutalité du Vercors ou de la Chartreuse. En prenant pied sur le plateau, le moral remonte.

Le paysage devient complètement surréaliste, avec des zones d’alpages ressemblant à des jardins suspendus tandis que les falaises lacèrent la montagne avec une propreté telle qu’on les croirait artificielles. Au-dessus, les sommets jumeaux de la Peña se dévoilent, avec leur cortège de pénitents rocheux d’un gris tellement désaturé qu’il semble être une couleur à part entière. Au-dessous, la plaine espagnole se déploie ; maintenant qu’on est passés sur les remparts rocheux de 400 m, on a la sensation de voler en planeur. Grisant.

Nous poursuivons la traversée qui devient aérienne, redescendant parfois.

Puis on enchaine la montée finale sur la grande face excentrée du pic avant d’enfin atteindre le sommet, sous l’œil médusé de quelques randonneurs qui s’y sont installés pour déjeuner.

Nous ne sommes pas plus heureux que ça de nous retrouver en haut, car notre attention est entièrement focalisée sur la descente. D’ordinaire, se retrouver sur le pic est libérateur : on est empli d’une sorte d’ivresse, on se sent léger, on va enfin pouvoir rider ! Là, nous avons plus l’impression de nous être volontairement mis au plus profond d’un piège et maintenant, de devoir en sortir. En plus de se retrouver sur une dent rocheuse abrupte, on se visualise clairement au fond d’une mâchoire.

Alors que nous économisons l’eau depuis le début, nous comptons également les barres énergétiques qui nous restent. A ce moment, un couple de randonneurs français qui pique-nique juste à côté nous prend en pitié et nous offre un peu de leur pitance. Nous avons alors droit à du pain, du jambon, du camembert… Un festin ! Nous ne sommes clairement pas habitués, merci à eux !

Reste la question cruciale : à ce stade, nous n’avons toujours pas décidé par où descendre… En 2019 j’avais ridé la partie sommitale par la voie normale. Mais ce sentier s’avère fort peu intéressant à descendre et qui plus est, très peu esthétique : une simple traversée de grosses pierres anguleuses « qui secouent », pour rejoindre un plateau d’altitude peu pentu, pour ensuite retraverser et remonter une série de barres… Bref, laborieux. L’arête sud-est, bien plus directe, nous semble plus attirante… Mais elle semble aussi bien plus raide, plus expo et plus technique. On dirait même qu’elle est quasi impossible, il faut être honnête.

Nous envoyons le drone en reco dans la face et parvenons à trouver les trois goulets que l’on doit joindre successivement pour passer les diverses strates de barres rocheuses. Derrière l’écran du drone, impossible d’évaluer si la forme et la taille des pierres sont bonnes. La raideur est également à la limite de ce qui est faisable à vélo. De ce côté, la moyenne de la pente doit être à 30° – 35° (75%) avec des passages à 40° et quelques bouts de désescalade. Une telle pente, sans aucune trace propre (sans aucune trace tout court en fait), avec juste du pierrier et des enchainements rocheux, c’est totalement limite, on le sait bien. Mais la ligne est sacrément tentante… Et pour le coup, très esthétique !

On décide donc d’ouvrir cette face, avec la très nette sensation de lancer un pari. En se préparant, on parle peu. Dans ces conditions, avec autant de préoccupations en tête, dur de filmer. Mais nous relançons quand même le drone… et heureusement !

Le départ est juste parfait : un enchainement magnifique sur la ligne de crète sommitale. Dommage que ce soit si court, il faut immédiatement plonger dans la face, vertigineuse. La première surprise est positive : les cailloux sont suffisamment petits pour ne pas éjecter le bike, et permettent donc de descendre. Ouf ! Le second constat est problématique : nous n’avons absolument aucun grip sur ce terrain. Impossible de prendre des appuis pour effectuer des nose turns, on ne peut que descendre prudemment en contrôle, enfin si l’on appelle « contrôle » le fait de se trouver en permanence à la limite entre l’OTB et la perte d’adhérence.

Nous parvenons tout de même au premier goulet que nous passons sur 10 m à pied.
La partie suivante est plus accueillante : il s’agit d’une grande pente de liaison pour rejoindre une croupe.

Derrière, ça bascule dans le vide, impossible de voir. Les sensations se rapprochent de celles du ski extrême, ça devient jouissif. Cette conscience d’être engagé dans une face, de devoir trouver la ligne de faiblesse pour en sortir. Cette acuité prononcée pour lire le terrain et se visualiser soi-même dans la face, comme si on sortait de son propre corps pour prendre du recul sur les décisions. Se rappeler comment est constituée la montagne sur la carte, sur les vues drones et imaginer à quoi doivent ressembler les obstacles (pierriers, rochers, falaises, croupes, couloirs…) vus depuis notre position, de telle sorte à prendre la bonne décision d’itinéraire. On ressent à la fois un frisson d’excitation et d’inquiétude. Ça semble aisé quand on voit la ligne sur la photo, mais en réalité, même sur une « petite » face de 400 m seulement, ça ne l’est pas.

Pierre reste très serein, préoccupé surtout par le style de ses nouveaux gants de deux couleurs différents qui vont avec ses grips, également de deux couleurs. Il dit qu’il essaie de lancer une tendance. Il y parviendra probablement.

Nous enchainons la traversée, prenons pied (ou roue plutôt…) sur la croupe. Ça descend plein fer droit sur des falaises, on oblique légèrement sur la gauche et de là, nous visualisons enfin le passage clef : un entrelac de goulottes rocheuses et de dalles qui semble infranchissable… Mais à bien étudier le terrain, un passage semble possible à l’extrême gauche. Nous y trouvons effectivement une rampe, très raide, mais avec un grip d’enfer.

Passage mémorable. On pourrait croire qu’on a fait exprès d’aller là pour l’image : pas du tout ! C’était juste le seul passage envisageable.

Le vrai freeride de montagne n’est pas « free » du tout : il consiste juste à trouver la ligne qui passe. Le « free » concerne l’état d’esprit : il faut avoir un état d’esprit ouvert pour partir là-dedans. Ouvert aux éléments, aux interrogations, au terrain…

Cette rampe nous permet de rejoindre le bas d’une goulotte. Nous franchissons une barre de 3 m en portage puis reprenons le ride entre les parois rocheuses puis sur une vire qui traverse une combe suspendue.

De là, nous avons une vue sur le goulet final, qui permet (en théorie, toujours) de s’échapper de la face. Encore une fois, impossible de dire si ça passe. Depuis le début nous sommes en permanence coincés sur un bout de pente, avec le vide qui se déploie en contrebas, sans jamais de visibilité complète sur la suite. C’est certes inquiétant, mais aussi tellement grisant.

La barre rocheuse sous la vire se franchit « au culot », en lançant son bike en force et en faisant confiance aux suspat’. C’est la spécialité de Pierre.

Puis, on enchaine sur le goulet final, extrêmement raide. Pierre veut également le passer en force. Je le lui déconseille. Sur cette hauteur, il ne pourra probablement pas s’arrêter. On l’enchaine donc sagement, en zig zag.

Au final, on aura ridé 80% de la hauteur de la face sommitale, bon ratio vu le terrain ! Mais on est très loin d’être au bout des difficultés. Tout d’abord, il nous faut rejoindre le plateau par une trace étroite au milieu de barres rocheuses, ou pour être exact, de pentes de genêts scorpion si raides qu’il s’agit des véritables falaises végétales. Mais peu importe, l’expo est la même.

Au bout de 300 m de traversée épuisante, nous prenons pied sur le plateau de El Picon. On passe brutalement d’un univers vertical à un univers horizontal, presque bucolique.

La pression redescend et on en profite pour se reposer un peu. Mais je sais qu’elle va remonter très vite… En effet, une fois le plateau traversé, nous allons devoir engager la section la plus violente. Pas la section la plus impressionnante visuellement, mais assurément la plus violente techniquement. Dès que le plateau commencera à s’incliner, on engagera 600 m de dénivelé de T5 presque sans interruption. Et on est déjà crevés, évidemment…

En attendant, nous traversons la partie plate, grandiose, comme si nous étions dans un désert suspendu au-dessus du vide. Sur la Peña, même les zones plates, même les zones larges, donnent une impression vertigineuse.

Puis ça bascule… Doucement d’abord, le plateau s’incline, les pierres apparaissent… On peut enchainer rapidement à travers les genêts… puis moins vite… puis des marches énormes commencent à barrer la route… Le paysage autour semble inchangé, mais le terrain sous les roues est devenu un enfer de VTTiste. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions… Peut-être, mais il est surtout pavé de gros blocs calcaire piégeux remplis de failles et de trous chaotiques.

On doit désescalader un bout de barre rocheuse délicate. L’itinéraire étant en traversée, le meilleur moyen de passer consiste à porter le bike à bout de bras du côté du vide pour ne pas qu’il touche la paroi… Devoir ainsi tenir ainsi le vélo à la seule force des muscles, pendant plus de 2 minutes ininterrompues et dans notre état d’épuisement, relève de la torture… Heureusement, le pied de la falaise est totalement bucolique, une petite clairière qui ressemble à un green de golf. Nouveau repos. Puis on repart.

A présent, on attaque le vrai gros morceau. A partir de là, il n’y a plus le moindre mètre de répit. Tout n’est qu’un enchainement ralenti de placements, replacements, nose turns, passages sans grip dans des cailloux énormes qui font ripper les roues, goulots rocheux, failles pour piéger les roues, dents acérées, single en ornières ultra étroites et ultra profondes avec un fond rocheux chaotique… Et souvent, une combinaison de tout ça. Même visionner la vidéo de cette section s’avère fatiguant ! Et je n’ai mis dans le film qu’un petit morceau, en vrai il y a 600 mètres de dénivelés dans ces conditions… une bonne demi-heure de ride.

Tout en descendant progressivement cette immense rampe rocheuse, on discute avec Pierre et on se demande comment le corps, comment les muscles et le cerveau parviennent à gérer notre bike sur un tel terrain. Quand on y réfléchit, c’est hallucinant : les yeux analysent le chaos rocheux illisible deux mètres en amont, le cerveau parvient en une fraction de seconde à décider de passer à tel ou tel endroit, de telle manière dans et quand une seconde plus tard, on se retrouve effectivement à cet endroit, les muscles font placer le bike automatiquement, au centimètre près, en gardant un équilibre précaire constant, malgré le terrain qui déstabilise en permanence, jouant avec les stop and go, alors que dans le même temps, l’esprit est déjà concentré sur les deux mètres suivants… ça semble impossible. On n’est pas encore prêt de créer des robots capables de faire ça…

Certains ne comprendront pas qu’on se soit volontairement mis là-dedans. Ils diront qu’il n’y a aucun plaisir de ride, aucun flow. Et ils auront raison, c’est juste atroce. Mais le plaisir est ailleurs : tous les 10 mètres, on ressent la satisfaction et la fierté d’avoir réussi à passer cette section, puis la suivante, puis encore… Le tout mélangé aux bouffées d’adrénaline. Notre satisfaction ne se trouve pas dans le plaisir de sentir mordre les roues dans le virage relevé d’un single ; la satisfaction est intellectuelle. Purement intellectuelle. C’est ce que je disais au début de la vidéo : on valide une ligne. On passe successivement les niveaux d’un jeu vidéo ultra difficile, tout en sachant qu’on n’a qu’un essai, qu’une vie.

Seuls les 100 derniers mètres (de longueur, pas de dénivelé) du single sont constitués d’une trace normale pour le VTT. On débouche enfin sur le parking, accueillis par les « olé ! » des randonneurs espagnols qu’on a croisés sur l’itinéraire.

Au final, on aura ridé à peu près 90% de l’itinéraire. Ce qui est un ratio plus que correct en vélo de montagne. Cette fois, on l’a faite.

On retire les casques et c’est alors que Pierre me demande : « Je suis tellement content d’y être arrivé… Mais toi… pourquoi as-tu voulu y retourner ? »

Peña Montañesa – Le film

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