Dans le petit monde du VTT, la côte Ouest nord américaine joue une rôle majeur… C’est un fait ! Du rôle revendiqué de berceau du Mountain Bike, il y a quarante ans, à la multitude de marques qui y siègent aujourd’hui, le constat* est sans appel.
Mais pourquoi diable ?! Qu’est-ce qui fait que, de San Diego à Vancouver, tant de marques se sont établies dans les environs ?! Et quelle influence notable a cette particularité sur notre passion ?!
Dans une vie, les occasions de traverser l’Atlantique sont rares, et précieuses. L’opportunité se présentait en ce début d’année 2018 et je ne voulais pas rater l’occasion de rendre mon voyage utile à plus d’un titre ! Me voilà donc dans l’avion pour San Francisco…
Temps de lecture estimé : 12 minutes – Photos : Endurotribe & Santa Cruz / Gary Perkins
Au sommaire de cet article :
- Human flow
- Esprit de conquête…
- Keep pushing…
- Terreau
- Turn Over
- La ruche…
- Santa Cruz Effect
- Le rêve américain…
- Les combats à venir
- Sur le chemin du retour…
- Prochaine étape…
- * Le constat de base
Human flow
Voilà plusieurs heures que mon avion survole les étendues arctiques, sur le chemin du continent nord américain. Elles semblent aussi belles et lumineuses, que froides et inhospitalières. Depuis le départ, les films à disposition du lecteur multimédia m’interpellent. En ces temps de débat sur l’immigration, Human Flow – documentaire sur les réfugiés de par le monde – me trouble. L’oeuvre est-elle à la hauteur du sujet et de ses enjeux ?!
Ai Weiwei – son auteur – semble avoir le chic pour mettre les pieds là où ça dérange. Donner la parole à ceux qui sont inaudibles. Alors que Donald Trump veut bâtir à la frontière mexicaine, que le grillage se dresse à la frontière hongroise et que des bateaux coulent en Méditerranée, leurs propos touchent jusqu’à ma démarche du moment. Ils rappellent, le plus légitimement du monde, que vivre sur terre consiste, logiquement, à s’établir là où l’environnement y est propice
Esprit de conquête…
NorCal, me voilà ! Cette terre verte, fertile et vallonnée… Là où d’autres populations en mouvement se sont installées, il y a quelques centaines d’années. Symboliquement, parmi les pionniers américains, ceux qui se sont établis ici sont ceux qui sont allés le plus loin. Ils ont poussé l’esprit de conquête jusqu’au bout… du monde, la côte Ouest !
Ces jusqu’au bout-istes ont légué cet esprit de conquête à leurs descendants. Ils devaient donc trouver de nouvelles dimensions pour s’exprimer. Deux des universités les plus réputées des environs, en sont des symboles : Caltech – réputées pour ses découvertes en astrophysique et ses bureaux de la Nasa – et Stanford – au cœur de la Silicon Valley, berceau des nouvelles technologies et télécommunications…
Keep pushing…
La Hoover Tower surplombe le campus de Stanford. Elle offre une vue imprenable sur la fameuse Silicon Valley. L’université est deuxième au classement mondial des plus réputées. Elle compte plusieurs Nobel parmi ses professeurs, et a contribué à la naissance de l’Internet, back in the days.
En ce samedi de mars, les lieux sont déserts, ou presque. Au Maple Pavilion, l’équipe de basket universitaire se produit devant 5000 personnes dans un show à l’américaine. En dehors, un seul département ne semble pas connaitre de répit… celui du management et de l’entrepreneuriat !
Le seul endroit où les salles de réunion sont occupées, où les restaurants et bars sont ouverts… Où manifestement, des projets prennent vie au cœur d’œuvres et de messages qui transmettent une culture, une vision, une ambition…
Tout un symbole, et tout un message en soit, qui se concrétise ensuite chez les Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Intel, Tesla, Ebay, Netflix & Co du voisinage, dont les dirigeants sont issus des précédentes promotions….
Terreau
Ok, mais… En quoi le petit monde du VTT serait concerné par ces premières observations ? Un coup d’œil au musée du VTT, au pied du Mont Tamalpais – Marin County, nord de San Francisco – suffit à rappeler qu’un courant fort est à l’origine de notre pratique. Le consensus veut que le VTT soit né ici. Et toute proportion gardée vis-à-vis des migrants actuels, la pratique du VTT est aussi une forme de rapprochement et d’adaptation à notre environnement.
C’est vrai qu’à bien y regarder, certains spots des environs s’y prêtent tellement ! Les collines y ont des profils et dénivelés juste ce qu’il faut d’ambitieux. La végétation y sculpte un terrain de jeu ce qu’il faut de ludique. Ici, le thermostat semble s’être coincé sur un certain idéal… C’est la seconde fois que je viens ici, à dix ans d’écart. Et cette première impression se confirme…
Ça peut paraître bête à souligner, mais ici comme à de nombreux endroits de la côte Ouest, les trails où l’on roule sont faits par et pour les VTTistes. Le flow, les trajectoires, les appuis et la manière de consommer le dénivelé, à la montée comme à la descente, s’en ressentent. Tellement différents des chemins ancestraux auxquels on doit s’adapter, nous, Européens…
Ce coup-ci, ma venue tombe sur la seule semaine de mousson que l’endroit ait connu depuis de longs mois… Et mon quart Sud Est de la France m’a plutôt habitué à attendre la fin de l’averse pour aller rouler. Mais qu’importe : l’enthousiasme des locaux prêts à me guider est plus fort, tant mieux ! J’y (re)découvre le royaume du 5010, sur les hauteurs de Santa Cruz University, en compagnie de Nic et Zach, du bureau d’étude SCB.
Turn Over
Pour le coup, ce trip me place au coeur d’une des communautés les plus iconiques de la côte Ouest nord américaine. Une paire de collines bordées par Santa Cruz Bicycles, Fox Racing Shox, Specialized, X-Fusion, Giro & Bell pour ne citer qu’eux… Dont les employés se croisent régulièrement au détour d’un trail ou d’un rassemblement.
Dans la vie sociale de tous les jours, ils partagent l’espace et le temps avec les cadres de la Silicone Valley, pour qui l’endroit est devenu un exutoire : à distance idéale pour couper avec le rythme et la pression des GAFAM. Au point que, comme on me le confie chez Giro, le turn over soit monnaie courante…
« C’est ainsi que les mastodontes de la Silicone Valley transpirent chez les autres. »
3 à 5 ans, la durée de carrière constatée chez les GAFAM pour une partie des effectifs. Le temps de s’enrichir d’une expérience et de compléter son CV, avant de revenir à la vie normale. C’est ainsi que les mastodontes de la Silicone Valley transpirent chez les autres. Un brassage permanent qui garantie que chaque entreprise finisse par avoir un ancien de chez… dans ses rangs. Les GAFA comptent d’ailleurs là dessus pour asseoir leurs statuts !
Anecdote exemplaire à ce sujet : l’un des designers des masques Giro de ces dernières années… travaille aujourd’hui sur ceux de réalités augmentés chez Google… Mais il est presque entendu que l’expérience ne durera qu’un temps. Parmi les scénarios possibles : qu’il retrouve sa place au sein de l’équipe Giro, pour partager ce qu’il a appris chez le géant de l’internet.
La ruche…
En quoi consistent les entreprises établies ici ? Quels sont les savoir-faire dont elles disposent ? L’exemple de The Hive – La Ruche – à l’origine de la marque E-Thirteen, est à propos. À ses débuts, plusieurs ingénieurs du milieu animés d’idées pour faire les choses mieux, et autrement, regroupé sous un nom audacieux et imagé.
Dans leur discours, l’étude et l’ingénierie sont finement mêlées à l’amélioration de l’expérience des pilotes. Des propos qui peuvent sonner très marketing, mais que la gamme e-Thirteen ne cesse d’illustrer…
Ça n’a l’air de rien, mais bout à bout, ces petites avancées font la différence. Surtout, elles sont l’occasion de délimiter le cœur de métiers des entreprises de la côte Ouest nord américaine. Les capacités de productions qui restent ici concernent essentiellement le haut de gamme, et/ou la personnalisation et/ou le prototypage.
Le labo carbone chez Santa Cruz Bicycles, la toute petite production qui s’installe chez Ibis, l’atelier de peinture custom chez Specialized, les artisans du coin tels Phil Wood et ses moyeux… Comme en Europe, l’assemblage et le conditionnement des produits reste l’activité ouvrière maîtrisée par celles qui souhaitent garder une activité industrielle dans les environs.
Toutes se retrouvent ici pour autre chose. L’implantation de certaines marques internationales en est d’ailleurs la meilleure illustration : elles viennent chercher l’inspiration, les tendances, les bonnes influences pour concevoir leurs produits et leurs gammes. Trek y développe ses suspensions, SRAM une partie de ses transmissions, Giant ses gammes VTT traditionnels alors que la réelle production de tout ceci se fait ailleurs, à des milliers de kilomètres…
Santa Cruz Effect
Chez Giro, je rencontre une équipe créative à l’image même de ce que la côte Ouest américaine peut susciter comme enthousiasme. Dans les échanges, les questions fusent, à propos de tout. L’écoute est totale et les recoupements permanents. Je sens des Brand Managers, Chef Produits et Designers curieux de tout, et sans cesse animés par l’idée d’oser remettre en question, en perspective, pour faire évoluer…
À ma question ces produits sont-ils déjà sur le marché ?! Les réponses sont confuses. Dans leurs têtes, tous sont déjà dans 3 ans. Ils ne savent sincèrement plus à quelle gamme ou millésime seront prêts certains de leurs travaux. Tous semblent simplement profondément animés par cette envie de mettre à profit l’espace créatif qui s’offre à eux…
L’équipe me confie aussi faire régulièrement des voyages d’inspiration, à la rencontre de leurs homologues d’autres marques de l’outdoor… Ou bien au sein d’autres cultures et environnements. Elle en tire des lignes, des textures, des palettes, des motifs… Le poids de l’histoire dans l’architecture européennes la marque, à chaque fois…
« Tout, en Californie, est neuf, récent, tourné vers l’avenir. Nous n’avons pas tous ces reminders qui nous interpellent et pourraient nous freiner. C’est ce qui nous marque à chaque voyage en Europe : ces vieux bâtiments, le poids de l’histoire… »
Quelque part aussi, tout semble très homogène de ce côté ci de l’Atlantique. En matière d’urbanisme et d’architecture, tout peut parfois se ressembler, se confondre, se répéter. Une sorte d’uniformisation qui peut aussi pousser les esprits à être plus créatifs pour s’évader, répondre à une certaine demande, envie, attirance…
Le rêve américain…
Un environnement exempt de barrières et de freins aussi… Dont les règles de marché permettent d’entreprendre librement. Du moins, c’est bien les fondements et promesses du rêve américain. Pour en parler, je rencontre Olivier Guincètre, au 726 Water Street – Santa Cruz. C’est l’adresse du Covewater Paddle Shop, le business qu’il a repris il y a un peu plus de trois ans.
Pour ceux qui ne situent pas le personnage, Olivier a fait partie de la première génération de pilotes VTT français qui ont vécu de leur passion au milieu des années 90. Il a, entre autres, fait partie de cette première génération capable de boucler une Megavalanche.
Dans la continuité, Olivier a traversé l’Atlantique, attiré par ce rêve américain. Vivre de sa passion, être libre d’entreprendre. Ce qui l’a poussé à vivre dans un van avec vue sur le Pacifique, travailler tour à tour chez Santa Cruz Bicycles et Ibis… Avant de s’épanouir dans le Paddle et devenir une référence du secteur.
« Contraste entre libéralisme et protectionnisme, entre économie et société… Un challenge permanent ! »
De ces années, Olivier me confie le paradoxe qu’il retient de la société américaine : contraste marqué entre libéralisme et protectionnisme, entre économie et société. Un challenge permanent. Je le sens, d’une part, reconnaissant de l’opportunité que confère l’esprit d’entreprendre qui anime l’économie américaine. L’opportunité unique que représente le seul marché US, déjà bien fourni pour démarrer une affaire. L’incitation à se lancer et la relative facilité de monter un business qu’offrent les directives économiques du pays…
Mais aussi le regard fraternel du Français d’origine qui continue à briller en lui quand il évoque la dureté du système de carte verte ou le système de santé américain, l’abandon d’une frange de la société à la drogue et à la criminalité, le peu de valeur réelle que peuvent avoir les bâtiments en bois d’ici, comparés à la pierre de chez nous… Un rêve américain qui ne laisse finalement peu de place aux loosers, creuse certaines inégalités et attise des tensions.
Les combats à venir
Sur ce fond de vérité, d’autres observations prennent une toute autre dimension. Ça et là, on me confie que le marché immobilier de Santa Cruz atteint des sommets indécents sous la forte demande des cadres de la Silicone Valley, toute proche. Les loyers s’envolent et l’air de rien, surfer sur la vague n’est pas si évident. Ainsi, le marché du vélo et du VTT ne connait pas les mêmes courbes de croissance et ses acteurs locaux doivent se battre pour suivre le rythme.
C’est ainsi que l’on découvre chez Fox Racing Shox que les bureaux d’étude et ingénieurs ont trouvé repli en Caroline du Nord : où la vie est moins chère, et où les exigences salariales des ingénieurs n’ont pas à concurrencer les conditions offertes par les GAFAM. D’ailleurs, la marque vient même d’officialiser le déménagement de son QG, qui n’est plus en Californie désormais. Chez Santa Cruz Bicycles, même certains cadres de l’entreprise pratiquent la collocation pour alléger les charges et poursuivre le rêve de travailler pour une entreprise du milieu.
Ici, Santa Cruz Bicycles met à disposition des vestiaires, des douches, un service de lingerie, des serviettes propres, des avantages sur les modèles de la gamme. Une initiative pour inciter le plus de monde à pratiquer, se prendre de passion ou l’entretenir… Et avoir une autre bonne raison de continuer l’aventure dans ces murs, plutôt qu’ailleurs. Une dimension sociale qui a visiblement son poids dans les débats du moment.
Ailleurs, où des dispositions n’ont pas été prises, la pratique du VTT s’invite jusque dans les couloirs, entre les bureaux. Comme si elle tentait de retenir ceux qui sont encore là. Les dernières initiatives de la présidence américaine laissent d’ailleurs perplexe. Les taxes sur les produits importés de Chine pouvant avoir des effets sur le marché américain, et le business des entreprises locales…
Sur le chemin du retour…
Pourquoi évoquer tout ça ? Qu’en retenir ? Qu’en conclure ?! Loin de moi l’idée de trouver des excuses à quiconque ou de tirer des conclusions hâtives après quelques jours à l’autre bout du monde. Mais au delà d’une énième présentation presse, je voulais aller plus loin dans la rencontre, la découverte, l’analyse…
Bien sûr, toutes les entreprises observées à l’occasion de cette enquête sont intrinsèquement Marketing, au sens premier du terme. Comment révolutionner le monde sans se demander à qui ça s’adresse ? D’ailleurs, pas la peine de se voiler la face, des gens qui s’interrogent sur comment faire pour que le bon objet trouve le bon utilisateur, il en faut ! Les commentaires auxquels je réponds chaque matin ne font que m’en convaincre.
« Fruits, parfois, d’une fuite vers l’avant ?! »
C’est en soit, déjà, une observation importante pour qualifier les entreprises du milieu qui ont un pied sur la côte Ouest nord américaine. Mais c’est aussi le contexte, pretty challenging, que je retiens. Dans un monde ultra-compétitif, où la remise en question est permanente, je comprends mieux pourquoi les produits en provenance de ce coin du monde me paraissent souvent innovants, mais pas nécessairement aboutis… Fruits, parfois, d’une fuite vers l’avant ?!
Je comprends mieux aussi dans quel contexte ils naissent, et quelles convictions peuvent pousser leurs auteurs à vouloir nous imposer leurs vision, nous transmettre leur conception. Des situations d’autant plus cocasses parfois, qu’en ce qui concerne Endurotribe et VTTAE.fr, l’Enduro et le VTT à assistance électrique sont deux pratiques qui sont, pour le coup, purement nées en Europe et qui ne semblent pas toujours si évidentes à cerner, vues de l’autre bout du monde…
Prochaine étape…
En tant que journaliste, j’ai le sentiment d’avoir l’opportunité d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses à chaque voyage… Mais celui-là plus que d’autres me revient en tête à chaque nouvel essai, à chaque nouvel article.
Je pense, d’ailleurs, que j’y ferai référence un petit paquet de fois… Le voyage date déjà de quelques mois et depuis, j’ai déjà tant de fois eu envie d’y faire allusion que cet article a fini par s’imposer de lui-même, à défaut de s’être écrit tout seul.
« L’opportunité d’entreprendre le prochain voyage de la même trempe… »
Reste que je ne considère pas cette opportunité comme une fin en soit. Là bas, j’ai aussi confirmé une autre impression tenace. Tout aussi entreprenants et indépendants puissent-ils vouloir être, les Nord Américains sont pour l’heure liés à un autre continent.
J’attends donc patiemment l’opportunité d’entreprendre le prochain voyage de la même trempe : mettre le cap sur l’autre côté de la planète qui influe tant notre milieu. Cette zone que certains décrivent comme la fabrique du monde… L’Asie..!
* Le constat de base
Il serait difficile de dresser une liste complète des entreprises du VTT qui ont un pied sur la côte Ouest américaine. Mais d’un premier jet, du Nord au Sud, on retient déjà certaines des plus évidentes ou connues de notre côté de l’Atlantique…
Chromag, Rocky Mountain, Race Face, Norco, Transition, Marin, E-Thirteen, Specialized, X-Fusion, Santa Cruz, Giro, Bell, Phil Wood, Fox Racing Shox, SRAM, Lezyn, Trek, Troy Lee Designs, Intense, Crankbrothers, 661, 100%, Giant, DVO, Fox Racing, Felt…
On en oublie forcément mais le coup d’œil en vaut la peine. Notamment pour constater que certaines sont des multi-nationales qui possèdent d’autres sièges, ailleurs dans le monde… Mais que la plupart y ont au moins un bureau marketing et parfois des ingénieurs… Bref des têtes pensantes à même de s’imprégner de la tendance des lieux.