Si vous avez bien suivi la saison de Coupe du Monde et nos parutions à propos de « ce qui se trame dans les paddocks » vous l’avez certainement vu passer : depuis quelques temps, DT Swiss travaille sur une solution qui s’attaque à l’effet de chaine et au kick-back qui en découle. Eh bien même si nos observations et les propos des pilotes laissent supposer que la marque est allée encore plus loin dans ses expériences en matière de degré de liberté, elle officialise aujourd’hui une solution rétro-compatible avec tous ses moyeux VTT à ratchet DEG, dénommée DT Swiss DF – pour Degree of Freedom… Voyez plutôt !
l’effet de chaîne dans le viseur
Depuis quelques années, l’effet de chaîne et son influence sur le travail des suspensions arrières fait partie des grandes obsessions des concepteurs de tout-suspendus. On en parle régulièrement sur FullAttack – le sujet avait même fait l’objet d’un des premiers articles didactiques du magazine – et pour cause : il conditionne directement la liberté qu’a la suspension d’absorber les chocs. Lors d’une visite chez DT Swiss l’an passé, une petite phrase entendue dans les couloirs m’a marqué : « Ici, tu ne peux pas lancer un caillou sans tomber sur un ingénieur. »Elle résume bien l’esprit de la maison. Si un phénomène sur un vélo peut être analysé et décortiqué, il y a de fortes chances que quelqu’un, là-bas, se mette à cogiter pour trouver une solution. L’effet de chaîne en fait partie. Et s’il est d’abord lié à la cinématique des cadres, les roues et les moyeux DT Swiss y prennent part malgré eux.
Concrètement, l’effet de chaîne naît de la tension exercée sur la transmission quand la suspension arrière se comprime. La roue arrière peut avoir tendance à s’éloigner et donc à modifier la distance entre pédalier et cassette. Résultat : le brin supérieur de la chaine veut s’allonger ou se tend, les manivelles peuvent en venir à tourner vers l’arrière, et si le pilote les bloque de tout son poids, la suspension se trouve bridée, incapable de travailler librement. En conception, ce phénomène est traduit en deux notions-clés : l’anti-squat, qui décrit la réaction de la cinématique au pédalage et au transfert de masse, et le kick-back, autrement dit la rotation arrière imposée au pédalier quand la suspension s’enfonce. C’est ce dernier paramètre qui nous intéresse ici. Car sur le terrain, ces retours dans les pédales viennent brouiller les sensations du pilote et accentuer la perception des chocs. De quoi compliquer certains passages plus qu’il n’y paraît. L’idée est donc claire : réduire ce kick-back. Et DT Swiss pense avoir une carte à jouer…
DT Swiss DF : Degrees of Freedom contre le kick-back
Le DT Swiss DF, pour Degrees of Freedom (Degrés de Liberté), est une technologie pensée pour agir comme un système anti-pedal kickback. En clair, il s’agit d’offrir un peu de marge de manœuvre pour éviter que les retours de manivelles ne viennent polluer le travail de la suspension.
Concrètement, le DT Swiss DF permet au corps de roue libre de tourner sur une plage définie avant d’enclencher. Cette rotation libre autorise la cassette à avancer légèrement dans le sens du pédalage, ce qui doit compenser l’allongement/la tension de la chaîne quand la suspension s’enfonce. Ainsi, le coup de raquette dans les manivelles est évité.
Mais une fois cette liberté consommée, comment le système se remet-il en place ? Tout simplement grâce à la roue libre elle-même : la pression des ressorts qui ramènent progressivement le ratchet dans sa position d’origine quand les dents inclinées coulissent les unes sur les autres. Et grâce àla rotation du corps du moyeu, sur l’élan, alors que le ratchet est plutôt solidaire de son voisin, le temps qu’il revienne à sa position d’origine…
Pas besoin de ressorts supplémentaires ni de mécanisme complexe : les pièces évoluent, mais leurs fonctions restent les mêmes, et l’ingénierie se contente d’adapter un système éprouvé plutôt que d’en inventer un nouveau, avec les zones d’ombre que cela peut impliquer. On reste en terrain connu, ajusté aux exigences spécifiques d’une pratique. Mais laquelle ?!
Ajustabilité : trois positions, plusieurs pratiques
Se demander à quelle pratique s’adresse le DT Swiss DF, c’est aussi l’occasion d’aller plus loin dans la compréhension du système. La technologie Degrees of Freedom propose en effet trois options de réglage du degré de rotation libre : 0º, 10º et 20º. Sur le papier, DT Swiss trace des repères clairs :
- 0º, qui maintient l’angle d’engagement classique d’un moyeu Ratchet DEG, est pensé pour le Cross Country, où la réactivité prime.
- 10º réduit le pedal kickback de façon intermédiaire, ce qui colle bien à un programme All Mountain.
- 20º offre la marge maximale et vise clairement les pratiques Enduro et Descente.
Dit comme ça, ça paraît limpide. Et dans les grandes lignes, c’est pertinent. Mais dans la vraie vie, au cas par cas, le choix optimal peut demander plus de finesse. Sur FullAttack, on sait que pour exploiter tout le potentiel du concept, il faut se pencher sur les valeurs de kickback de son propre vélo – au SAG et en fin de course – et observer la courbe de ce paramètre. C’est en fonction de ces données que le réglage prend tout son sens.
À noter que sur la position 0°, c’est toujours le nombre de dents des ratchets qui détermine l’angle d’engagement classique du corps de roue libre. à ce propos, deux versions du DT Swiss DF existent : la version VTT, avec des ratchets de 90 dents et donc un engagement à 4° ; et la version Hybrid (VTTAE), équipée de 60 dents plus massives pour encaisser le couple, ce qui implique un engagement à 6°. Cette version, pour des raisons de robustesse, se limite aux positions 0° et 10° : pas de 20° sur les e-bikes.
Dans tous les cas, le DT Swiss DF n’est compatible qu’avec les moyeux Ratchet DEG, dernière évolution en date du système maison. On se souvient qu’en réponse à la course au « moins de degrés » d’engagement initiée par la concurrence, DT avait fait le choix d’augmenter le diamètre des ratchets. La logique est la même ici : moins de dents actives entre le ratchet et la couronne du corps de moyeu implique des contraintes plus fortes, et plus le diamètre est grand, moins chaque dent transmet d’effort. Sans certitude que ce soit infaisable avec les anciens ratchets plus petits, on comprend en tout cas que le format DEG ait ouvert la voie à l’existence du système DF, qu’il s’y soit en tout cas montré favorable…
Versus la concurrence, et les questions qui restent
DT Swiss n’est pas la première à s’attaquer au pedal kickback. Avant elle, on a vu passer l’O-Chain et son étoile active, l’E-Thirteen Side-Kick, un moyeu spécifique au Canyon Sender, ou encore le système HXR, qui produisait presque par accident un effet secondaire finalement désirable. Chacun a eu son moment d’attention, sur FullAttack. Mais sur le papier, la solution DF a des arguments solides.
D’abord, elle ne pèse rien de plus. Un détail ? Pas vraiment, quand la concurrence ajoute au minimum quelques grammes, parfois plusieurs dizaines, voire centaines. Ensuite, elle est rétro-compatible avec une partie du parc déjà en circulation – à condition de rouler en Ratchet DEG dernière génération. Pas les précédents, certes, mais c’est toujours mieux que les alternatives qui imposent de changer complètement de moyeu ou d’ajouter un composant supplémentaire au vélo. Enfin, le système permet de comparer facilement avec ou sans l’anti-kickback, pour mesurer sa pertinence et choisir la position qui convient le mieux.

Pour l’heure, DT Swiss présente le DF comme un upgrade disponible en kit (avec l’outil de montage de l’anneau sur le corps de moyeu) à 129,90€. Le nombre de pièces reste identique avec ou sans la solution, et si les usinages nécessaires semblent un peu plus complexes, on sait que DT a les reins solides pour industrialiser le process et maintenir un niveau de prestation élevé. De là à imaginer que ce dispositif soit intégré de série sur les moyeux haut de gamme Ratchet DEG dans un certain futur ? L’avenir nous le dira.
En attendant, sur le papier, le DT Swiss DFc’est malin. Mais sur le terrain, il reste des questions. Est-ce que trois positions (0/10/20°) suffisent, ou d’autres valeurs pourraient affiner l’ajustement ? Est-ce aussi facile à monter/régler qu’il n’y parait ? Et puis, quel bruit ça fait ? Aussi bien lors du retour du ratchet en place, que lorsqu’il finit par accrocher après avoir profité de son degré de liberté. Autant de points qui ne trouveront réponse qu’en roulant… On va donc forcément, à un moment ou un autre, se pencher sur la question. À très vite, sur FullAttack !