On l’a promis en conclusion du chapitre précédent des Didactiques Endurotribe, destiné à mettre en lumière la nuance entre rigidité et raideur : il faut maintenant préciser en quoi elle peut nous être utile ! C’est donc l’heure de continuer à se plonger dans les chiffres et courbes dont on peut disposer. Et pas n’importe lesquels..!
Dans ce nouveau chapitre des Didactiques Endurotribe, on se penche sur les courbes de force et raideur des suspensions. Des courbes pas souvent mises en avant par le milieu, mais qui gagnent à être connues, lues, et maitrisées. C’est ce à quoi s’attèle ce nouveau chapitre, avec au bout, souhaitons-le, l’envie d’aller sur le terrain pour lier théorie et pratique 😉
Au sommaire :
- De quoi parle-t-on ?!
- Découpage du débattement
- Interpréter la courbe de force
- Interpréter la courbe de raideur
- Qu’en retenir ?
De quoi parle-t-on ?!
La courbe de force, les plus assidus aux Didactiques Endurotribe en ont déjà entendu parler. On y fait référence dans un chapitre dédié aux suspensions, et justement intitulé lire les courbes cinématiques. La courbe de raideur, par contre, on l’avait jusqu’ici gardée sous le coude, pour l’insérer dans ce chapitre qui lui est dédié ou presque. Elle le mérite… On revient donc ici sur les deux, qui vont de pair !
La force
Pour commencer, il faut préciser qu’en matière de suspension, il s’agit toujours d’une quête d’équilibre…
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De cette manière, le rapprochement est évident : dans le domaine de la suspension, la courbe de force, c’est une courbe de déformation. Pour faire simple, et faire le lien avec ce que l’on a dit au chapitre précédent à propos de rigidité/raideur :
En matière de suspension, la rigidité est liée à la force, exprimée en [N]. Elle influe sur l’assiette et le maintien.
Elle est déterminée, entre autres, par la fonction ressort de la suspension : la pression d’air si l’on utilise un ressort pneumatique, le tarage du ressort, s’il est hélicoïdal. La force, on peut la sentir. Dans ce cas, il suffit – roue au sol – d’appuyer sur la suspension, lentement, et de maintenir l’effort. De combien s’enfonce la suspension ? Ajouter de l’air, par exemple signifie augmenter la rigidité/la force d’une suspension pneumatique.
La raideur
Les suspensions ont ça d’intéressant qu’entre les différents types de ressorts qu’elles utilisent, les concepts utilisés et les cinématiques qui changent d’un modèle à l’autre, il est facile de distinguer ce qui provient de la force, de ce qui provient de la raideur. Au sujet de cette dernière…
En matière de suspension, la raideur, c’est la variation de la force au cour du débattement, exprimée en [N/mm]. Elle influe sur le confort et la perception du terrain.
Pour se faire une idée de ce qu’est la raideur d’une suspension, il suffit de reprendre la même que précédemment, mais cette fois-ci, de frapper la roue au sol. La raideur, c’est à quel point on perçoit l’impact de la roue au sol durant cette manœuvre. Par exemple : on peut très bien avoir une fourche molle – très peu gonflée – mais raide – on perçoit clairement l’impact et ça brasse dans les mains. Ou vice-versa !
La raideur, on peut influer dessus de différentes manières. la plus connue, et la plus évidente, ce sont les spacers et tokens. On dit couramment qu’ils augmentent la progressivité en fin de course. Mais en matière de raideur, leur influence débute plus tôt dans le débattement, au point qu’on puisse facilement sentir ce qu’est la raideur à leur usage…
Trouver les courbes de force & raideur
La courbe de force, on l’obtient assez facilement, lorsque l’on cherche les courbes cinématiques d’un vélo. Généralement, on trouve en premier lieu celles d’anti-squat, d’anti-rise, de ratio, puis parfois, celle de force, la plupart du temps tracée en bleu… Linkage, le logiciel d’étude des cinématiques, permet d’obtenir ce tracé. Dans la vrai vie, c’est un banc de mesure assez simple – mesurant force et distance – qui peut permettre d’obtenir ces courbes.
La plupart du temps, quand on met la main sur la courbe de force d’une suspension, elle a la bonne idée d’être accompagnée par sa courbe de raideur. Sous linkage, et en anglais, c’est celle qui est désignée sous le terme gradient, le plus souvent tracée en rouge. Dans tous les cas, si on a la courbe de force, on peut déduire la courbe de raideur. Comme on l’a dit : il s’agit ni plus, ni moins, que de la dérivée de la courbe de force, par rapport au débattement.
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Bien souvent, c’est donc ce couple de courbe que l’on obtient. En abscisse, le débattement. En ordonnée, côté gauche, l’échelle de force, exprimée en newtons, et sa courbe bleue. En ordonnée, côté droit et de couleur rouge : l’échelle de raideur, exprimée en newtons par millimètre. Il existe toujours des exceptions, mais dans la majorité des cas, il est possible de reconnaitre les courbes de force et de raideur modernes à leur allures et unités. La courbe de force est croissante, en S inversé. La courbe de raideur qui en découle est en forme de U, plus élevée à ses extrémité qu’en son centre…
Découpage du débattement
Voyons désormais à quoi servent ces courbes, les enseignements que l’on peut en tirer. Il faut pour ça commencer par préciser une chose… Quand on parle de suspension, il est bon de découper le débattement en trois portions, qui ont chacune leurs particularités. On en a déjà parlé par le passé, mais le rappel est primordial, notamment pour peaufiner l’approche…
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À longueur d’article, on utilise les termes « début/milieu/fin de course ». Graphiquement, ils se réfèrent à ces trois parties des courbes de force et de raideur. Il est néanmoins important de préciser : ces trois portions ne sont pas égales, elles ne correspondent pas strictement à 3 tiers égaux du débattement. Pour être plus précis, le début de course se situe entre le débattement 0, et le SAG, soit 30 à 40% selon les vélos. Ainsi, étudier ce « début de course », ça revient à étudier le comportement de la suspension quand la roue est en l’air (débattement 0), entre en contact avec le sol (le fameux « toucher ») et rejoint la position d’équilibre au SAG. Ensuite, le milieu de course se situe précisément entre le SAG, et une limite que l’on pousse volontiers jusqu’à 70 à 80% de la course, soit au delà du deuxième tiers « classique » qui se situerait à 66%. Pour terminer, logiquement, la fin de course est constituée de ce qu’il reste de débattement.
En fonction du terrain, du style de pilotage, de la conception et des réglages du vélo, lorsque les deux roues sont au sol, les suspensions travaillent majoritairement entre 20 et 80% du débattement. Lorsque l’on a l’occasion d’observer une acquisition de données, on constate qu’il passe en dessous lors des sauts ou assimilés, et que le nombre de fois où il va au delà se compte sur les doigts d’une main, quand ça se produit.
Interpréter la courbe de force
Avec ce découpage en tête, la courbe de force apporte plusieurs informations…
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La valeur à l’origine est une valeur qui a du sens. Il s’agit de la force qu’il faut pour déclencher la suspension. Il est question de sensibilité, mais pas nécessairement de confort. On y reviendra plus loin. Ici, c’est la valeur et son signe qui peut nous renseigner. Négatif, ça signifie que la suspension ne tient pas tout son débattement, et s’enfonce d’elle-même. C’est le cas lorsqu’il y a trop d’air dans une chambre négative d’un amortisseur ou d’une fourche, par exemple.
On dit aussi de certains vélos de descente réputés qu’ils SAGent sous leur propre poids. Et ça en fait fantasmer plus d’un… Ensuite, c’est en comparant plusieurs courbes de forces, issues de différentes suspensions concurrentes, que des informations intéressantes apparaissent…
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La courbe de force « inclut » les caractéristiques du type de ressort utilisé. Air et hélicoïdale ne donnent donc pas les mêmes résultats. C’est ici que s’illustre parfaitement l’idée qu’un vélo avec un ressort a un rendu plus « linéaire », quand le même vélo doté d’un ressort pneumatique sera plus « progressif ». Outre les allures, les valeurs donnent des ordres de grandeur intéressants. Notamment la différence, passé le SAG, autour de la mi-course. Quand on dit que le ressort y offre plus de maintien que l’air : de combien ?! C’est clairement lisible ici. N’oublions pas > grosso-modo > 10N = 1kg… C’est cet écart qui explique qu’avec un ressort, quand on pumpe le terrain, le vélo est plus vivace, a plus de « pop », rend mieux. Ensuite, quand on parle de fin de course, on parle souvent de progressivité ou d’anti-talonnage. Et on se focalise souvent sur la forme de la courbe. La valeur finale, celle qu’il faut atteindre pour consommer tout le débattement, a tout autant d’intérêt. À amortisseur équivalent, d’un vélo à l’autre, il y a parfois plusieurs centaines de N d’écart, soit plusieurs dizaines de kilos…
Exemple concret
Pour exemple, voici un focus sur les courbes de forces de la RockShox Lyrik, avec l’ancien et le nouveau Debonair présenté au printemps 2020.
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Quand on écrit que le maintien en début de course est plus présent..! À SAG équivalent, la courbe jaune est clairement au dessus… Et la valeur à l’origine, (qui reste faible) démontre que la fourche ne consomme plus de débattement par elle même. On comprend donc ici qu’une fois en dynamique, quand la fourche a tendance à se détendre avant le SAG (trou, allègement, oscillations) on peut appuyer sur le cintre, il ne « fuit » plus sous l’appui. Elle est plus présente. Se tient davantage, reste plus haute. Passé le SAG, c’est l’inverse. On disait des RockShox qu’elles étaient un peut trop « béton » sur la deuxième partie du débattement, montant trop en pression et sollicitant trop les détentes. On illustre ici parfaitement que la mise à jour DebonAir y fait effet.
Autre exemple, le MegNeg, passé à l’essai. Si l’on reprend les propos de Tom, on note qu’il prend soin de parler de maintien, et de raideur… Pas un hasard !
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À propos du début de course, il indique que le maintien est supérieur, et la raideur plus faible. Voici une ébauche des courbes correspondantes. Ici, la force… Là, la raideur. Vous y retrouvez ses propos ?
Interpréter la courbe de raideur
Voilà pour la courbe de force. Reste néanmoins qu’on n’a pas abordé certaines notions. Toucher, lecture du terrain, confort… Et pour cause, c’est sur la courbe de raideur qu’elles se mettent en évidence !
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C’est assez clairement la valeur à débattement nul qui nous intéresse ici. Plus elle est faible, plus on parle d’un toucher « plush », « velours ». Il n’est plus ici question de sensibilité, mais de confort. C’est ça la raideur en début de course. À l’inverse, lorsqu’elle est plus élevée, on parle d’un toucher plus franc, plus précis. On perçoit mieux quand la roue entre en contact avec le sol, et la maîtrise du grip que l’on peut avoir. À mi-course, la raideur a une autre utilité. Deux, précisément. La première, c’est le confort du vélo, lorsqu’on laisse filer, en descente, sur une portion qui doit nous permettre de nous reposer. Avec une faible raideur, le vélo avale et ne restitue pas les impacts. La pierre ou le trou caché dans les herbes, la racine que l’on a pas vu, la pierre qui a traversé sous nos roues sont « filtrés »… L’autre utilité, c’est à la pédale, en côte, assis sur la selle, au train, quand le terrain est un peu chaotique. Une forte raideur fait que le vélo n’avalera pas les aspérités. Il faudra se lever, ou du moins jouer du bassin, pour accompagner le vélo, lui faire franchir. Une raideur plus faible, par contre, permet au vélo de faire le tracteur. On reste posé sur la selle, on pédale tranquillement, et le vélo accommode du terrain, avale et compense, nous laissant bien posés…
Bien entendu, pour ce dernier cas de figure, l’anti-squat et son effet de chaine entrent en jeu. Il se trouve justement que de par leur présence, ils génèrent une force supplémentaire à la roue arrière, qui peut être quantifiée en fonction de la puissance au pédalage, et intégrée à la courbe de force, et donc de raideur. Quand on dit que ces courbes méritent à être reconnues à leur juste valeur…
Exemples concrets
Ici aussi, les plus perspicaces l’auront saisi, on vient aussi de parler du match air vs ressort : leurs raideurs en début et à mi-course, passé le SAG, s’entrecroisent.
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Quand on entend dire que le ressort est plus confortable, plush, velours, c’est que l’on parle du tout début de course, du toucher de terrain. Parce qu’ensuite, c’est l’inverse. Bien souvent, à SAG équivalent, l’air devient moins raide, donc plus tolérant et confortable à mi-course…
Et pour revenir sur les Lyrik, la mise à jour du DebonAir, et le MegNeg dont l’esprit est proche, là aussi, les courbes de raideurs expliquent les ressentis et précisent les choses…
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Quand on dit que malgré plus de maintien en début de course – quitte à perdre en sensibilité – la mise à jour DebonAir ou le MegNeg n’en sont pas moins confortables pour autant… C’est criant au regard des courbes de raideurs. On est clairement moins raide, donc moins brutale, sur l’ensemble du débattement avec les dernières évolutions du marché… C’est à la vue de ces courbes que l’argument « ça se rapproche du ressort » montre ses limites. Oui en début de course, non passé le SAG..!
Qu’en retenir ?
Bref, nous voilà au bout de cette mise en pratique de la distinction entre rigidité et raideur, appliquée aux suspensions. Enfin, pas tout à fait. C’est la fin de ce nouveau chapitre des Didactiques Endurotribe… Mais pour tout dire, on se prête au jeu à chaque nouvel essai. Et je ne doute pas que l’on ait l’occasion d’évoquer bien d’autres cas pratiques dans les commentaires de cet article.
On peut néanmoins garder une idée clé en tête : de la force et de la raideur, il en faut, et biens placés ! On pourrait penser qu’il existe un absolu, pour être le plus performant sur un run donné. Et donc penser qu’il existe un meilleur vélo au monde, et espérer trouver, ou être, le pilote qui ait la capacité de le piloter à cette vitesse. La probabilité que ça match est si faible… Ou bien, se contenter d’un vélo qu’on pense moins bon, parce qu’on est soit-même pas un cador. Dommage ! On peut par contre imaginer qu’en maîtrisant force et raideur, comme d’autres paramètres, on puisse mieux faire en sorte que le trio terrain/vélo/pilote fonctionnent de concert. Ça élargie le champs des possibles, et l’esprit. Les probabilité que ça match sont déjà plus élevées…
Trouver un optimum, plutôt qu’un idéal, est la clé !
On l’a vu, le style et l’engagement du pilote sont clairement liés à la force. Il s’agit d’en tirer le maintien et l’assiette nécessaire en faisant les bons réglages. En matière de raideur, c’est une question de compromis. Sans : aucune lecture de terrain, aucun retour. Trop : ça brasse, ça vibre, ça parait intenable. Tout dépend des attentes de chacun. Notamment parce que la raideur peut participer à l’élaboration de la confiance. Certains apprécient une raideur faible : ça participe au sentiment que le vélo fait un bon job, et ça permet de se concentrer sur l’essentiel. D’autres veulent plus de ressenti, une lecture précise du terrain, pour être sûr d’avoir les bonnes infos, prendre les bonnes décisions, et plus d’initiatives.
Dans tous les cas, trouver chaussure à son pied, ça peut passer par la maîtrise des courbes de force et raideur évoquées ici. Quelque part, elles gagnent à être connues parce qu’elles sont en lien direct avec la réalité, le ressenti. Des outils précieux. Maintenant, ceux qui auront lu cet article jusqu’ici n’on plus le choix : plus question de demander c’est quoi le meilleur ?! Et se contenter de dire que c’est rigide sans chercher à préciser s’il s’agit en faire de force ou de raideur. Petit mémo pour conclure…
- Sensibilité = faible force en début de course
- Toucher confortable = faible raideur en début de course
- Toucher précis = raideur un peu plus élevée en début de course
- Bonne assiette = force élevée là où il faut, début et/ou milieu de course
- Anti-talonnage = force élevée en fin de course
- Vélo qui pumpe bien = force élevée après le SAG
- Vélo qui avale le terrain, assis sur la selle, à la pédale = faible raideur après le SAG
- Vélo qui repose son pilote en laissant filer, debout et passif = faible raideur passé le SAG