Allez ! Il est l’heure de boucler la séquence des Didactiques Endurotribe dédiés à la géométrie de nos VTT. Non pas qu’on s’interdise d’en produire d’autres, mais plutôt que l’ensemble des précédents chapitres ait été conçu comme un tout, dont voici la dernière pièce…
Celle qui doit finir d’apporter des précisions, et répondre à certaines questions qui restent en suspens au sein des précédents chapitres Didactiques Endurotribe. Pour ce faire, c’est l’angle du tube de selle qui retient cette fois-ci notre attention. Ces derniers temps, il est justement au coeur d’une tendance qui permet de voir plus large qu’il n’y parait…
Au sommaire de cet article :

La tendance du moment
Depuis quelques mois, certains des derniers vélos présentés par l’Industrie partagent un point commun : celui de proposer un tube de selle plus redressé – vertical – qu’auparavant. Pèle-mêle, on peut citer les Yeti SB150, Santa Cruz Hightower, Orbea Occam ou Specialized Enduro… On nous vendrait même ça, comme le dernier grand progrès en matière de géométrie, après l’allongement des vélos.
Pour la petite histoire, et comme souvent, c’est d’abord apparu chez certaines marques exotiques, avant de commencer à se répandre chez les marques plus généralistes. On voyait en effet déjà des Nicolaï, Pole et autres marques dissidentes faire usage d’angles au delà de 76, 77, 78 voir 79°, avant que les sus-nommés, nous en vante les mérites. Quels mérites ?!
Avec l’apparition du 29 pouces, les progrès des suspensions, des freins, des roues et des pneus : nos vélos – et nous avec – vont naturellement plus vite. Il en découle un besoin de stabilité supplémentaire que l’on trouve en allongeant les vélos – reach et empattements notamment. Redresser le tube de selle permettrait de compenser cet allongement, et conserver une bonne ergonomie…
Précisons, en préambule à ce qui suit, que l’on parle, pour simplifier, de l’angle du tube de selle d’une manière générale. On a précisé au chapitre sur les fondamentaux, que les angles de selle réels et effectifs entrent en jeu. La tendance évoquée ici porte d’abord sur l’angle de selle effectif…
Compenser le reach ?!
Vu sous cet angle, ça reste donc simple. Néanmoins, certains raccourcis portent parfois à confusion. C’est là que les Didactiques Endurotribe interviennent. Notamment pour celui qui consiste à dire que le tube de selle se redresse pour compenser l’augmentation du reach. Un raccourci/abus de langage qui mérite d’être précisé pour ne pas créer, une fois de plus, un mauvais amalgame…
On l’a dit au chapitre précédent le concernant : le reach participe à définir la position du pilote lorsqu’il est debout. Or, dans cette situation, la position du tube de selle n’a qu’une importance très limitée. C’est lorsque le pilote est assis sur la selle, au pédalage, que les caractéristiques du tube de selle ont un vrai poids. Et on l’a écrit au chapitre à propos des fondamentaux de la géométrie, dans ce cas c’est plutôt le tube supérieur qui compte. Dans les faits, il y a bien un lien entre reach et tube supérieur. Assez logiquement, quand le premier augmente, le second suit. Et effectivement, c’est ce qu’il s’est passé lorsque pour gagner en situation de pilotage, on a cherché à augmenter le reach des vélos. Sans autre compensation, les longueurs de tube supérieur ont explosé. C’est là que redresser l’angle du tube de selle a son intérêt : en procédant ainsi, on rapporte le tube supérieur horizontal à des valeurs acceptables, sans pour autant modifier le fameux reach.
Pour être plus précis donc, l’angle de selle se redresse pour éviter l’augmentation de tube supérieur, engendrée par l’augmentation du reach. Nuance importante puisque qu’elle permet de constater que jouer sur l’angle de selle permet d’ajuster l’ergonomie au pédalage, sans toucher à celle debout sur les pédales. Une absence de compromis assez rare pour être soulignée, et défendue.
Recentrage des masses
Il n’y a pas qu’en matière d’ergonomie que redresser l’angle de selle a son intérêt. Ça l’est également en matière de répartition des masses…
Sans jouer de l’angle de selle, la première initiative a été de modifier les longueurs de potences pour compenser un reach plus important… Mais on l’a écrit au chapitre concernant l’offset : jouer sur la longueur de potence influe sur le comportement de la direction. Et dans ce cas, en matière de répartition des masses, le pilote se retrouve « assis sur la roue arrière ». Au sol, les appuis sont plus importants sous le pilote, que loin devant lui. Ça peut poser différents soucis, notamment en montée, où la roue avant se déleste plus facilement, demandant au pilote de se coucher plus que de raison sur le vélo. Au pédalage aussi, en fonction de la position du point de pivot de la suspension et de l’effet de pompage que ça peut favoriser. Tout dépend ici précisément de la conception du vélo d’un point de vue cinématique. Dans tous les cas, redresser le tube de selle a pour effet de recentrer la position du centre de gravité du pilote au pédalage. En la matière, c’est plus raisonnable et équilibré pour affronter les liaisons et les ascensions les plus pentues.
On note qu’ici aussi, redresser l’angle de selle permet de jouer sur la répartition des masses en position assise, sans toucher à celle en position debout. Ergonomie et équilibre du vélo peuvent donc clairement être optimisés dans chaque situation, sans que l’une n’interfère trop sur l’autre. Une liberté de conception qu’il est bon d’explorer…

Intérêts
Quels en sont donc les intérêts ?! À vrai dire, ils sont multiples. Ou du moins, différents points de vue convergent pour justifier que l’angle de selle redressé soit à propos, au delà même de la logique de compensation d’allongement dont on vient de parler. Les voici, point par point…
Contrer l’effet pédalo
Qu’est-ce que l’effet pédalo ?! Le terme est apparu dans nos colonnes à force d’essayer différents vélos dont l’angle de selle était précisément trop déporté vers l’arrière. À un point tel qu’au pédalage, la sensation était d’avoir le boitier de pédalier trop en avant, et d’avoir à appuyer trop vers l’avant, comme sur un pédalo. Une position d’autant plus inconfortable que le cintre, lui, était très loin devant.
Une situation d’autant plus périlleuse quand ça tangue… Comprenons ici : quand ça pompe. Pneu et/ou suspension arrière, avec le centre de gravité du bonhomme directement affalé dessus, n’aiment pas ça. C’est cette situation que l’on appelle « effet pédalo ». Et comme on vient de le détailler : en retravaillant l’ergonomie et la répartition des masses au pédalage, l’angle de selle redressé contribue à l’éviter.
Attention cependant à une nuance importante : pour que cet effet soit clairement réduit, il ne suffit pas que l’angle de selle effectif soit redressé. Ça aide, mais pour ceux qui ont de grandes jambes et une sortie de selle importante, il faut aussi que l’angle réel soit concerné. En fonction des conceptions, ça reste à préciser, au cas par cas…
Dissocier hauteur de selle & tube supérieur
Si l’on revient sur ce qui caractérise la position du cycliste au pédalage, l’angle de selle redressé a un autre impact intéressant en matière de longueur du tube supérieur…
Que se passe-t-il, avec un tube de selle très incliné, lorsque l’on monte la selle ?! Plus la tige sort du tube, plus la selle est déportées vers l’arrière. Dans un premier temps, ça peut paraitre logique : plus on monte la selle, plus le pilote est grand, donc plus un tube supérieur long est à propos… C’était notamment à propos lorsque les marques proposaient majoritairement trois tailles de cadre par vélo. Sauf que nous ne sommes pas tous fait pareil ! Pour preuve, deux pilotes de la même taille peuvent avoir des entrejambes, et donc des hauteurs de selle, différentes ! Dans ce cas, celui qui a les jambes les plus longues, et donc le buste le plus court, se retrouve avec le tube supérieur le plus long… Ouch ! Maintenant, les marques proposent 4 voir 5 tailles par vélo. Le tube de selle plus redressé peut permettre à ceux qui ont la même longueur de buste d’utiliser des longueurs de tube supérieur plus proches, quelle que soit la hauteur de selle.
L’air de rien, fini le choix d’un vélo de manière traditionnelle, en fonction de la hauteur de son entrejambe et du tube de selle. Désormais, c’est davantage en fonction de son buste et du reach/tube supérieur que ça peut aussi se faire.
Dégager de l’espace derrière la selle
On a écrit plus haut que redresser l’angle de selle permet de jouer sur la position au pédalage, sans influer lorsque l’on est debout sur les pédales… C’est vrai d’une manière directe, mais ça a un effet indirect. On sait tous que debout sur les pédales, la selle peut parfois gêner. Sans ça, les tiges de selle télescopiques ne seraient pas devenues indispensables sur nos montures.
Dans tous les cas, un tube de selle redressé rapporte la selle vers l’avant… Et dégage donc de l’espace à l’arrière. Un degré de liberté supplémentaire qui est bien venu lorsqu’il s’agit de passer le bassin au dessus de la roue arrière pour différents cas de figures bien connus des enduristes : sauter une marche, plonger dans la pente, pumper…
Bref, l’angle de selle redressé ne fait pas tout, mais effectivement, il participe à plus de liberté de mouvement, et évite d’accrocher le short – ou pire – dans la selle…
Dans la pente
L’air de rien, on vient donc de glisser qu’un tube de selle redressé aide dans la pente, en dégageant de la liberté de mouvement pour contrebalancer la bascule du vélo… C’est donc là que l’on peut compléter les propos des chapitres précédents en matière de répartition des masses, d’angle de direction et d’offset courts.
On y a effectivement beaucoup parlé de l’influence de ces dimensions en matière de comportement de la direction, de répartition des masses et d’ergonomie, sans nécessairement évoquer un cas important où tout ceci apporte des progrès significatifs : quand c’est pentu ! Et ce, aussi bien à la descente, qu’à la montée.
Reprenons quelque peu le raisonnement. L’allongement des vélos et l’angle de direction couché peuvent avoir un effet : celui de placer naturellement le pilote plus à l’arrière du vélo, et lui offrir l’opportunité de se « planquer » derrière le cintre. Dans ce cas, l’angle de selle redressé peut permettre de se placer plus facilement en arrière. Une aubaine, lorsqu’il s’agit de descendre une portion pentue, puisqu’il évite de se rapprocher trop vite et dangereusement du point de bascule, celui qui ferait passer par dessus le guidon. Dans l’autre sens, sans tube de selle redressé et quand ça monte fort, la situation peut être franchement inconfortable. L’effet pédalo évoqué précédemment, poussé à son paroxysme. Heureusement, c’est là que l’angle de selle redressé permet de corriger la position au pédalage, pour que les liaisons se passent bien…
Antéversion/rétroversion du bassin
D’un point de vue bio-mécanique, le redressement de l’angle de tube de selle a un effet sur le positionnement du bassin au pédalage…
D’un point de vue bio-mécanique, le redressement de l’angle de tube de selle a un effet sur le positionnement du bassin au pédalage…
Globalement, la position au pédalage repose sur un principe initial assez connu : il est plus aisé de développer la puissance maximale lorsque l’on penche le buste vers l’avant. C’est ce que la position des routiers, pistards et tri-athlètes suggère à longueur de temps. Or, d’un point de vue bio-mécanique, différents muscles participent à cette position et au cycle de pédalage. Notamment le quadriceps – sur le dessus de la cuisse – les iscio-jambiers – derrière la cuisse – le psoas – au coeur du bassin – et les fessiers – que l’on ne présente pas. À la longue, la sollicitation répétée de ces différents muscles peut créer des tensions qui vérouillent un peu le bassin, elles mêmes à l’origine de douleurs lombaires. Notamment lorsque la position très couchée sur le vélo est maintenue longtemps. Au moment de descendre du vélo, nous voilà cambrés et/ou parfois avec la « barre » au bas du dos. De ce point de vue, les vélos d’Enduro ont une particularité : par rapport aux vélos traditionnels, le cintre est nécessairement plus haut que sur un vélo de XC ou de route. Il nous faut affronter la pente et avoir le débattement de suspension avant nécessaire pour « lisser » le sol qui nous attend. La position y est donc déjà naturellement moins couchée. Le tube de selle redressé participe encore à ce phénomène, au point d’offrir une position qui rappelle celle des vélos de salle de muscu.
À la longue, en liaison, cette position peut avoir du bon. Elle offre une alternative intéressante dans la mesure où la position est plus confortable, moins recroquevillé sur soi. Certes, la puissance maximale développable est moins importante, mais ce n’est pas l’objectif des liaisons en Enduro, effectuées à un rythme raisonnable pour sauver de l’énergie en vue de la prochaine spéciale.
Qui plus est, cette position rapporte aussi le pilote vers l’avant, plus à l’aplomb du pédalier. Or, certains vélos de contre la montre – interdits par les règlements – ont démontré par le passé qu’être porté vers l’avant favorise le développement de la puissance au pédalage. Perd-t-on d’un côté ce que l’on récupère de l’autre ?! Possible ! Dans tous les cas, le tube de selle redressé, un peu à l’image des pédales plates, engendre une répartition différente de l’usage des muscles au pédalage, notamment un effet perceptible sur le quadriceps…
Encombrements
Il ne faut pas oublier qu’avant d’arriver sur le marché, nos vélos sont conçus au sein de bureaux d’études dont les préoccupations sont nombreuses. Notamment celle des encombrements des pièces et des interférences qui peuvent voir le jour entre certaines.
Ça a été le cas au moment de caser une roue arrière de 29 pouces au sein d’un cadre et de sa cinématique de suspension. Entre autre interaction problématique, celle qui faisait entrer la roue et les pontets en contact du tube de selle…
En matière de suspension, lorsque l’on parle de débattement, il s’agit de la distance que peut parcourir la roue arrière de manière relativement verticale. Or, le tube de selle peut constituer une limite à ce débattement. Tout comme un diamètre de roue arrière plus important. À un moment donné, le pneu vient frotter, si ce ne sont pas les pontets liants les haubans ou la biellette, qui entrent en collision avec le tube de selle ! Ici aussi, le tube de selle redressé est une solution intéressante pour dégager quelques précieux millimètres…
Une solution qui a néanmoins ses propres limites : devant le tube de selle, la place n’est pas non plus folle. Entre les portes bidons revenus à la mode et l’amortisseur qui se réfugie souvent dans le triangle avant, la marge de manoeuvre reste contenue.
Qu’a cela ne tienne, de toute façon, puisqu’il existe certainement une limite ergonomique à l’angle de selle redressé. À l’instar des tri-athlètes, pour l’heure on s’imagine mal avec un boitier de pédalier trop en arrière. Le chemin commencerait à se faire long au moment de se placer en arrière pour faire contre-poids…
Qu’en conclure ?!
L’air de rien, ça fait plusieurs minutes que ce chapitre des Didactiques Endurotribe fait de l’angle de selle redressé, un symbole d’une certaine modernité. Celle de boucler une approche de la géométrie plus en phase avec la pratique de l’Enduro et ses spécificité. Ici, précisément, permettre d’optimiser la position du pilote en liaison – à la pédale – et en spéciale – debout dessus.
Libérer les choix de répartition des masses lorsque le pilote est debout des contraintes de l’ergonomie au pédalage, pour donner du caractère au vélo lorsqu’il s’agit de piloter. Permettre l’allongement nécessaire de vélos naturellement toujours plus efficaces et rapides. Dégager de la place derrière la selle pour s’y positionner dans la pente. Favoriser la récupération et le confort au pédalage, en liaison…
« Des vélos qui, petit à petit, collent de mieux en mieux à notre pratique… »
Quelque part, ça permet donc de concevoir des vélos qui, petit à petit, collent de mieux en mieux à l’esprit spécifique de l’Enduro. Alors, l’angle de selle redressé doit-il se généraliser ?! La tendance est bonne, mais attention. D’une part, on a soulevé qu’une certaine liberté soit possible dans le choix de sa valeur. Évitons donc de la brider en exigeant une valeur de référence, comme c’est trop souvent le cas.
D’autant qu’on l’a dit : la bonne répartition des masses peut aussi être liée aux choix de cinématique de suspension. Un lien qui à lui seul pourrait justifier que deux vélos aux angles de selle différents sur le papier, soient aussi efficaces à l’usage. Bref, on ne le répétera jamais assez : un vélo est un assemblage complexe, d’éléments simples. On continue donc de veiller à en saisir les subtilités à longueur d’essai, avec, désormais, l’ensemble des Didactiques Endurotribe à portée de main !