En matière de suspension, c’est LA tendance du moment. Après une large période de domination de l’air, le ressort hélicoïdal revient… et comment ! Pur argument marketing ou réel intérêt à l’usage ?!
Du Canyon Spectral monté pour le Radon Epic Enduro à l’Orbea Rallon R5, en passant par les Santa Cruz Nomad 4, Giant Reign 2018 et Ace Wit 297 Joker E160, les essais Endurotribe ont offert plusieurs occasions de comparer l’un et l’autre dans des conditions maîtrisées.
De quoi échanger avec les chefs produits et ingénieurs afin mieux saisir le lien entre théorie et pratique. D’où proviennent les différences ? Quelles sont-elles ? Qu’impliquent-elles à l’usage ? Quelles solutions privilégier ? Réponse à travers ce nouveau chapitre Didactique Endurotribe…
Au sommaire de cet article :
- Abus de langage
- De quoi parle-t-on ?
- Pour bien comprendre…
- Début de course
- Milieu de course
- Fin de course
- Question de style…
- Condition sine qua none…
- Et solutions multiples !
Abus de langage
Commençons par lever une approximation. Dans le langage courant comme dans cette article, on parle d’air ou de ressort, mais il s’agit d’un abus de langage. Emmagasiné dans un espace étanche et compressible, l’air lui-même est un ressort… Tandis que parler d’un ressort, sans dire qu’il est hélicoïdal, qualifie la fonction de l’élément sans en définir la nature.
Pour être tout à fait précis, nous devrions parler de ressort pneumatique ou de ressort hélicoïdal…
Ces deux solutions, appelées par commodité Air ou Ressort, assurent donc toutes deux la fonction de ressort de nos suspensions.
De quoi parle-t-on ?
Dans ces dispositifs, le ressort est l’élément auquel on confie une certaine quantité d’énergie – phase de compression – avant qu’il ne la restitue – phase de détente. Si Air ou Ressort assurent tous deux cette fonction, chacun le fait à sa manière, liée à son propre comportement.
On a déjà traité de ces caractéristiques propres dans un précédent chapitre didactique – Linéarité vs Progressivité. On ne revient donc pas ici sur les raisons qui différencient Air ou Ressort. Mais il est tout de même important de s’en saisir pour comprendre les deux courbes qui nous intéressent maintenant…
Pour bien comprendre…
Quand on les comprime, Air ou Ressort n’ont donc pas le même comportement. Pour illustrer ce propos, il suffit de jeter un oeil aux courbes de raideur de ces deux solutions…
En rouge, la courbe de raideur du ressort hélicoïdal. L’effort qu’il oppose à sa compression est directement fonction de la distance dont on le comprime – fonction linéaire. En bleu, la courbe de raideur du ressort pneumatique. La variation d’opposition n’est pas constante : elle est plus ou moins importante en fonction d’où l’on se situe dans le débattement…
À noter que l’on distingue ici le début, le milieu et la fin de course. Pour simplifier, on considère que chacun d’eux correspond à un tiers du total. Ces trois domaines sont importants puisqu’au sein de chacun d’eux se trament les principales différences entre Air ou Ressort…
Début de course
Par facilité, on lie souvent début de course et sensibilité : manière avec laquelle la suspension se déclenche à la moindre aspérité et où les roues entrent en contact avec le sol. Un domaine dans lequel les notions de confort, mais aussi de toucher et de grip entrent en jeu…
En début de course, le ressort pneumatique a une caractéristique propre : sa raideur forme une bosse caractéristique. À contrario, le ressort hélicoïdal a pour lui une raideur plus faible, sous la courbe de l’air. Certains dispositifs – ressorts négatifs sur ressort pneumatique – ont beau tenter de l’annuler, cette différence demeure la plupart du temps.
Ainsi différenciés, Air ou Ressort n’offrent pas les mêmes prestations en début de course :
- Moins raide, c’est ici que le Ressort construit sa légende de solution plus confortable que l’air. C’est vrai qu’en début de course, le ressort peut s’avérer plus sensible, offrir une sensations de grand confort sur les petites vibrations, rendre un toucher velours au sol et assurer une pression de contact au sol plus constante, donc un grip qui suit.
- Plus soutenu, c’est ici que l’Air fait sa réputation de solution dynamique. Le toucher du terrain est plus fidèle et lisible. La roue et par extension le vélo, moins collé(e)s au parquet, sont plus faciles à manœuvrer et à emmener. La suspension, moins encline à suivre le sol, génère des variations de pression de contact qui peuvent rendre l’adhérence plus volatiles.
Milieu de course
Passé ces premiers traits caractéristiques, on aborde le milieu de course. Bien souvent, ici aussi, la facilité l’emporte. La plupart du temps, on parle de maintien et de rendu, un domaine où la dynamique du vélo a tout son mot à dire : à quel point la suspension plonge ou au contraire, porte le pilote…
Le ressort hélicoïdal offre une raideur constante : elle monte de manière régulière en ligne droite. Elle finit donc par croiser le courbe de l’air et se montre, en milieu de course, particulièrement importante. Sur le même secteur, l’air a un tout autre comportement. Passé la bosse du début de course, il livre son vrai visage : la raideur peine à se manifester. Sur toute une partie de la course, l’air se trouve donc moins raide que le ressort.
Ici aussi, Air ou Ressort n’offrent pas les mêmes prestations. Globalement, en milieu de course :
- Plus raide en milieu de course, le Ressort peut offrir un maintien plus ferme. Sur les appuis -courts et vifs, compressions – les gestes du pilote parviennent de manière plus fidèles aux roues et pneus, donc au sol. Le vélo gagne en vivacité dans les virages secs, et s’avère une arme quand il faut pumper et jouer du terrain pour générer de la vitesse.
- Plus tendre en milieu de course, l’Air offre une sensation de réserve et de débattement plus importante. Même déjà avancé dans la course, la suspension reste « souple » et ne s’oppose pas à un nouveau choc. Un atout dont jouer sur terrain défoncé pour tenir une courbe, ou s’affranchir d’alléger le vélo pour tenir une ligne ou un appui.
Fin de course
Dans le dernier tiers de débattement, la plupart des attentions se focalisent sur le phénomène de talonnage : utilise-t-on tout le débattement ? Perçoit-on quand on y parvient ? En la matière, les deux solution, Air ou Ressort, s’y distingue à nouveau de belle manière…
Pour la dernière fois, les courbes de raideur Air ou Ressort sont susceptibles de se croiser en fin de course. Passé le « trou » du milieu de débattement, le ressort pneumatique fait preuve de progressivité. plus la fin approche, plus sa raideur a tendance à augmenter. À contrario, la raideur constante du ressort hélicoïdal ne change pas d’objectif et continue en direction de la valeur finale à laquelle il finit sa course.
Une fois encore, Air ou ressort se distinguent. Globalement, en fin de course :
- L’air rampe davantage. Sa progressivité naturelle peut avoir tendance à limiter la sensation de talonnage : la suspension va jusqu’au bout, mais on ne perçoit pas forcément l’impact.
- Dans les même conditions, le ressort hélicoïdal a tendance à mener plus directement à l’issue de fond de course : le talonnage, qu’il rend plus clairement perceptible.
Question de style…
Une fois les trois phases du débattement passées en revue, il est plus aisé de comprendre les apports et limites de chaque solution, Air ou Ressort. Il est surtout plus facile de comprendre la perception que chacun de nous peut en avoir.
Elle dépend directement du tempérament et du style de chaque pilote. Certains apprécient tellement le gain d’adhérence apporté par le début de course du Ressort qu’ils en acceptent le plus faible rendement au pédalage.
D’autre apprécient tant la tolérance du milieu de course de l’Air qu’ils n’ont que faire du possible maintien apporté par le ressort dans ces conditions. Enfin, si nous aspirons tous à consommer le débattement de nos suspensions comme il se doit, nous ne sommes pas tous du même avis concernant la perception du talonnage en fin de course…
Condition sine qua none…
Dans tous les cas, on l’a déjà vu à maintes reprises à travers les publications Didactique Endurotribe : le comportement d’une suspension est le fruit d’une combinaison de paramètres. La courbe de raideur du ressort en est un. D’autres peuvent avoir autant, voir plus d’influence.
En clair, le jeu de la comparaison Air ou Ressort tenu ici n’est valable qu’à certaines conditions. Ceux d’entre nous qui souhaiterait s’y essayer doivent donc respecter que :
- Les propos tenus ici partent du principe que les deux types de ressort sont mis à l’épreuve sur un seul et même vélo, dont la cinématique est strictement la même. Ainsi, anti-squat, kick-back, anti-rise et courbe de ratio n’interfèrent pas dans les différences perçues.
- La comparaison tenue ici considère également que les deux amortisseurs mis à profit font usage des mêmes caractéristiques d’amortissement hydraulique, en compression et en détente.
- Les observations avancées dans cet article partent du principe que les ressorts sont ajustés pour rouler à un SAG identique autour de 30%. Tarage et précontrainte du ressort hélicoïdal d’une part, pression d’air de l’autre sont ajustés en conséquence.
Et solutions multiples !
De même, les caractéristiques propres à chaque type de ressort sont une chose. Reste que d’autres paramètres de suspension peuvent servir à en corriger ou ajuster les traits. Pour ne citer que quelques exemples :
- de la compression basse vitesse peut réduire l’effet pataud du ressort au pédalage. C’est ce que font, à l’extrême, les plateforme et blocage dont disposent certains amortisseurs.
- Les compressions basses vitesses peuvent apporter du maintien à un amortisseur pneumatique un peu creux en milieu de course.
- Un réducteur de volume en moins peut permettre à l’air d’aller plus loin dans sa course avant de ramper sur sa progressivité
- Un peu de compression haute vitesse peut parfois limiter le talonnage d’un amortisseur équipé d’un ressort faiblement taré…
- Bien souvent même, d’autres carcasses ou gommes de pneu peuvent rattraper le grip fuyant d’un amortisseur à air capricieux dans ce domaine…
En la matière, les solutions sont donc multiples et chacun a sa préférence. C’est d’ailleurs tout le métier des manufacturiers de suspension d’une part, et des chefs produit/ingénieurs des marques de vélo de l’autre… Ou bien des préparateurs ensuite, c’est selon. Dans tous les cas, c’est bien une part importante du caractère propre à chaque vélo/marque.
Mais c’est aussi et surtout, in fine, notre jeu à nous, pilotes, une fois le vélo entre les mains et le sentier sous les yeux. Il n’est pas rare de pouvoir discuter de ça avec les top-pilotes de coupe du monde lorsqu’ils sont en dehors du stress de la course.
Pas forcément avec les mêmes objectifs ou exigences, mais de manière toute aussi passionnée, certains d’entre nous ont aussi certainement des questions ou des témoignages à ce sujet. Poursuivons les échanges à ce sujet en commentaire, ci-dessous 😉