Après la Cinématique, le Kick-Back, l’Anti-squat, l’Assiette et la Dynamique, les publications Didactiques Endurotribe n’ont jamais été aussi proches de préciser ce qu’est le SAG. Celui auquel tant d’aspects comportementaux sont liés.
Dernière étape avant de s’y pencher : les notions de progressivité et de linéarité. Deux mots utilisés régulièrement lorsqu’il s’agit de décrire le fonctionnement d’une suspension. Et pourtant, il n’est pas toujours évident de s’entendre sur leur significations.
Cet article prend donc le temps de définir chacun, et d’y lier quelques notions importantes. Une approche qui se veut une fois de plus complète mais surtout, accessible au plus grand nombre…
Linéarité
À VTT, nos suspensions sont contrôlées, entre autres, par des ressorts. Ils emmagasinent l’énergie en se comprimant, avant de la restituer, en se détendant. En mécanique, les ressorts peuvent prendre plusieurs formes. Prenons un ressort hélicoïdal. Cette spirale métallique symbole même du ressort.
Pour simplifier, admettons que toutes ses dimensions soient constantes : distance entre spires, diamètre d’enroulement, diamètre du fil. Il existe d’autres cas particuliers, mais ils ne nous intéressent pas pour l’heure. Penchons nous sur le comportement de ce ressort lorsqu’on cherche à le comprimer…
Quelle que soit la course dont le ressort est déjà comprimé, lui faire prendre une nouvelle unité de débattement nécessite donc la même unité d’effort supplémentaire. Si l’on cherche à tracer une courbe décrivant le lien entre les deux grandeurs…
À chaque lieu du débattement, il faut la même nouvelle force pour comprimer le ressort. On constate que pour ce type de ressort, la courbe est droite. C’est une ligne. On dit alors que la relation entre effort subit et débattement est LINÉAIRE. La courbe est inclinée. Elle a une certaine pente – coefficient directeur. On parle de raideur – exprimée en N/m. Plus la pente est raide, plus le ressort est dur, en langage courant.
La plupart des ressorts hélicoïdaux ont un comportement linéaire. Il leur faut des spires à l’espacement variable et/ou un diamètre de fil non constant pour qu’ils adoptent un comportement différent…
Progressivité
On reste sur l’étude du comportement des ressorts. Mais cette fois-ci, prenons un ressort pneumatique…
En lieu et place d’un fil torsadé que l’on presse, c’est une quantité d’air enfermée dans une chambre, que l’on comprime. On y parvient à l’aide d’un piston qui coulisse au bout d’une tige. Au fur et à mesure du débattement que l’on prend, le volume de la chambre diminue.
Si l’on cherche, comme précédemment, à prendre centimètre de débattement par centimètre de débattement, on constate ici un comportement différent…
En début de course, admettons que les caractéristiques du système nécessitent à nouveau d’appliquer une charge d’un kilo pour compresser le ressort d’un centimètre. Plus loin dans le débattement, il ne faudra plus ajouter un kilo, mais plus, pour faire prendre un centimètre de course. Cette fois-ci, peut-être un et demi, ou deux, ou plus !
Comme précédemment, on peut tracer la courbe qui lie l’effort et le débattement. Mais dans ce cas, elle n’a plus le même profil…
Cette fois-ci, la courbe n’est plus plate. Sur la fin du débattement, il faut une force plus importante qu’au début. La courbe n’a donc plus une pente constante. On peut l’assimiler à une parabole. La raideur du ressort n’est donc pas la même à chaque endroit de la course.
La raideur évolue progressivement vers quelque chose de plus important. Il faut, progressivement, un peu plus d’effort pour faire prendre le même débattement supplémentaire au ressort. C’est ce comportement que l’on qualifie de progressif. D’où le terme de progressivité.
Ratio…
Jusqu’ici, le raisonnement s’appuie sur une certaine idée : la valeur dont le ressort est comprimé a un lien direct et constant avec le débattement de la suspension. C’est le cas pour une fourche télescopique classique…
Dans les deux cas, ressorts hélicoïdal ou pneumatique, une fourche télescopique lie directement le mouvement de l’axe de roue à celui qui actionne le ressort.
Mais les choses se compliquent lorsque l’on aborde les suspensions arrières. On l’a vu au chapitre consacré à la Cinématique, le mouvement de la roue arrière est transmis à un organe plus compact : l’amortisseur.
Par la même occasion, le mouvement est aussi modulé. Nos vélos ont en moyenne 150mm de débattement à la roue arrière. Pourtant, les amortisseurs ont autour de 55mm de course. Soit 3 fois moins. C’est ce rapport que l’on nomme ratio…
Bien souvent, ce ratio n’est pas constant à travers le débattement. Cas de figure simple pour bien comprendre…
Prenons le cas de la suspension à point de pivot unique. On pourrait penser qu’elle lie de manière linéaire le mouvement de la roue arrière et celui transmis à l’amortisseur. Pourtant, il existe nécessairement un angle avec lequel le bras de levier actionne l’amortisseur. Cet angle varie en fonction de la position dans le débattement. On choisit ici le cas de figure le plus parlant : en début de course, quand la roue se déplace d’un centimètre dans le débattement, l’amortisseur se comprime d’une certaine valeur. Plus loin dans le débattement, quand la roue arrière se déplace à nouveau d’un centimètre, cette fois-ci l’amortisseur se comprime d’une valeur plus importante.
C’est ainsi que le ratio peut varier à travers le débattement. Il n’est pas constant. On peut tracer une nouvelle courbe pour traduire ce comportement : Course d’amortisseur en fonction du débattement à la roue…
Progressivité cinématique…
Cette variation a deux impacts forts sur le fonctionnement de la suspension. En premier lieu, sur la perception même de la raideur du ressort…
Reprenons le cas de figure précédent. Lorsque la roue arrière se déplace d’un centimètre en début de course, le ressort de l’amortisseur est actionné d’une certaine valeur. Il induit donc un effort d’une certaine intensité. Plus loin dans le débattement, la roue prend à nouveau un centimètre de débattement. Cette fois-ci, le ressort de l’amortisseur est plus compressé que précédement. Il va donc nécessairement opposer un effort plus important qu’en début de course !
De cette manière, la Cinématique même de la suspension engendre une forme de progressivité. Même en montant un ressort linéaire, il est possible d’obtenir une suspension qui, au global, a un comportement progressif.
Cette variation du ratio a un second impact, sur les vitesses de mouvement cette fois-ci…
Toujours le même cas de figure simple > Lorsque la roue arrière se déplace d’un centimètre en début de course, le ressort de l’amortisseur est actionné sur une certaine distance. Tout ceci se passe à une vitesse de déplacement de la roue arrière donnée, et engendre une certaine vitesse de compression de l’amortisseur. Plus loin dans le débattement, la roue se déplace à nouveau de la même manière. Mais puisque le ratio a changé, l’amortisseur doit parcourir plus de distance dans le même laps de temps : la vitesse à laquelle il se comprime augmente.
Pour le même impact, subit à deux endroits différents du débattement, il se peut que des vitesses de compression d’amortisseur différentes soient générées. Et il se peut que dans le premier cas, ce soit le dispositif de compression basses vitesses qui les traite, et que dans l’autre, ce soit le dispositif hautes vitesses.
On ne parle alors plus de progressivité du ressort, ou de variation de ratio, mais de progressivité cinématique…
Courbe de ratio
Parfois, les marques communiquent sur les courbes de ratio de leur suspensions. Elles s’en servent pour étayer leurs propos, ou illustrer leurs travaux.
Bien souvent, elles fournissent une courbe indiquant de combien le débattement de la roue arrière est divisé pour actionner l’amortisseur, en fonction du débattement à la roue arrière. On parle de ratio relatif.
Exemple ici avec la courbe fournie par Intense lors de la présentation du Tracer 2017. Une valeur initiale importante : la roue se déplace beaucoup, mais l’amortisseur très peu. Donc une grande sensibilité supposée, et une gestion de l’assiette du vélo par les compressions/détentes basses vitesses. Puis une valeur de ratio qui diminue progressivement. L’amortisseur se déplace plus. On tend vers une raideur plus importante et une transition vers les hautes vitesses. L’inflexion de la courbe donne une idée de la progressivité : plus elle est creusée, plus il y a des chance que la progressivité soit au rendez-vous. Il faut pour cela que l’écart entre la valeur initiale et la valeur finale donne un bon ordre de grandeur à la progressivité : inférieur à 0,5 le comportement est quasi linéaire. Autour de 1, et au delà, la progressivité est présente.
Lire les courbes est donc un exercice particulier : il faut prêter attention aux valeurs portées en abscisse et en ordonnée. Ici, la courbe de ratio relatif plonge vers le bas, alors que précédemment, les courbes de raideurs de ressorts et de ratios absolus décollaient vers le haut. Pourtant, les deux traduisent une forme de progressivité.
Dégressivité…
On a volontairement choisi les cas de figures précédents pour rendre le résultat progressif : plus on progresse dans le débattement, plus les valeurs augmentent. Mais en matière de cinématique, il est possible de créer l’inverse…
Imaginons par exemple que le l’angle entre basculeur et amortisseur varie différemment. Il s’ouvre désormais au delà de 90°. Au départ, pour un centimètre de débattement à la roue, l’amortisseur est sollicité de manière importante. Plus loin, pour un même centimètre de débattement, il l’est beaucoup moins.
Dans ce cas, la raideur induite et les variations de vitesses de compression à l’amortisseur ont un comportement opposé. Si l’on observe la courbe de ratio absolu, les résultats divergent donc de ce que l’on a pu voir précédemment…
Plutôt que de s’intensifier en fin de course, la pente de la courbe de ratio absolu s’amenuise.
On parle alors de dégressivité comme d’un comportement antagoniste à la progressivité cinématique.
Rendu ?!
Raideur constante ou progressive du ressort, et progressivité/dégressivité cinématiques, sont des caractéristiques essentielles ! Lorsque l’on roule, c’est bien la combinaison de ces facteurs qui donne au vélo une partie de son caractère.
Nos montures s’appuient sur certaines de ces caractéristiques. Parfois l’une, parfois l’autre. Ce sont ces traits particuliers que manipulent les concepteurs de nos montures.
En la matière, nombre de combinaisons sont possibles. Et chaque marque ou presque, a sa vision des choses. Tout du moins, il existe des grandes tendances. On ne va pas ici les cataloguer, la tâche est monumentale.
Juste souligner que ces données font partie de celles scrutées lors de nos essais. Incluses dans nos raisonnements et nos propos lorsque justifier nos propos le nécessite.
Tout juste peut-on, pour attiser les esprits, évoquer les cas de figure suivants : cinématique linéaire + ressort progressif, ressort linéaire + cinématique progressive… Ces deux conceptions différentes peuvent amener à un résultat final progressif, mais pas pour les mêmes raisons. L’un s’appuyant plus sur le ressort, l’autre plus sur l’hydraulique de l’amortisseur.
Avantages et inconvénients…
Mais alors ?! Linéaire ou progressif ?! Quel comportement est le plus avantageux ? Sur ce point, deux mondes s’opposent. Chacun a ses avantages, et ses inconvénients…
Quand tire-t-on profit d’une suspension linéaire ? Lorsqu’un premier obstacle fait prendre une certaine quantité de course à la suspension, et que dans l’instant d’après, sans que la suspension n’ait eu le temps de se détendre, un même obstacle fait à nouveau prendre la même quantité de débattement, sans que l’on ressente que le deuxième impact ait plus tapé que le premier. Le vélo peut sembler avoir un comportement constant, et avoir de la réserve de débattement, comme si l’on n’avait pas consommé sur le premier impact. Reste qu’à ce rythme là, on va finir en bout de course et talonner. Pour l’éviter, on va raidir le ressort linéaire. Mais on raidie également la pente à l’origine. Le début de course est plus dur, moins sensible. C’est ici que la progressivité entre en jeu. Bien manipulée, elle peut permettre d’offrir une pente à l’origine très faible, donc une sensation de grip et de confort important, tout en raidissant davantage en fin de course pour ne pas talonner… Dans ce cas, deux chocs identiques consécutifs auront un rendu différent : le premier passe, le second demande commence à faire savoir que l’on abuse peut-être un peu dans le pilotage.
Linéaire, le vélo peut donc avoir tendance à être un allier : il prend à sa charge une partie du job, et nous laisse faire le reste. On se concentre sur le choix de trajectoires et sur les endroits où poser nos appuis. Progressif, le vélo est plus une arme de pointe : il restitue plus fidèlement le terrain, et nous fournit toutes les bonnes infos pour adapter la vitesse et la gestuelle. On se concentre plus sur l’engagement et le rythme.
Tokens & spacers
On l’a envisagé précédement : une suspension à cinématique linéaire peut bénéficier du comportement du ressort pour changer le rendu global. Si l’on rend le ressort progressif, l’impression finale le sera tout autant. C’est ici que les tokens, spacers, cales et autres éléments du genre entrent en jeu.
On l’a dit, sans le démontrer : un ressort hélicoïdal est linéaire, un ressort pneumatique est progressif. Pourquoi ?! Parce que physiquement, un fil métallique torsadé ne se comporte pas comme un gaz. Ce dernier, placé dans une chambre fermée se comporte d’une certaine manière, démontrée depuis 1811 : la loi d’état des gaz parfaits, et sa variante de Boyle-Mariotte.
Si la démonstration intéresse les plus curieux, nous pouvons la livrer en commentaires. Mais pour l’heure, on passe sur ses développements pour aller à l’essentiel :
Pression finale = pression initiale x (Volume initial / volume final)
On constate que le volume final de la chambre du ressort pneumatique joue un rôle très important ! Placé au dénominateur, plus sa valeur est faible, plus la pression finale, donc l’effort en bout de course pour prendre le débattement, sera forte…
Sans token, lorsque la suspension arrive en bout de course, il n’est pas rare qu’il reste un certain volume dans la chambre positive. La progressivité de la courbe de raideur est donc relativement faible. En ajoutant des éléments dans la chambre positive, le volume final est réduit. Parfois à une peau de chagrin. À pression initiale équivalente, conséquence directe, la progressivité en fin de course est bien plus prononcée.
Par expérience, réduire énormément le volume final génère une forte progressivité. Sur la majeure partie des vélos essayés depuis que la possibilité existe, cette progressivité de raideur finit par prendre le pas sur le caractère de la cinématique. Que l’initiative soit bonne, ou mauvaise au final.
Que retenir ?!
En voilà des éléments importants ! En une nouvelle publication fournie, la rubrique Didactique Endurotribe fait le tour des éléments principaux pour comprendre les notions de linéarité et de progressivité.
Mais que retenir de l’ensemble de ces propos ? Quelques points clés pour conclure et mieux comprendre nos montures…
- Sur un vélo, plusieurs éléments peuvent être qualifiés de linéaires ou progressifs : la raideur du ressort et la cinématique de la suspension.
- En la matière, plusieurs combinaisons sont possibles : raideur linéaire + cinématique progressive, raideur progressive + cinématique linéaire, etc…
- Au final, c’est bien la combinaison des deux que l’on ressent lorsque l’on roule. Un vélo peut ainsi paraître globalement linéaire ou globalement progressif.
- Faire la part des choses en la matière nécessite d’enquêter : obtenir et lire les courbes de ratio et de raideur d’une part, jouer des réglages de suspension d’autre part et corréler avec les ressentis terrain.
- La tendance actuelle propose de jouer de cales, Tokens, spacers et autres pour jouer sur la progressivité du ressort pneumatique, qui peut finir par prendre le pas sur la cinématique.