Sam Hill, Val di Sole 2008

All or nothin’ ?!

Il y a des moments d’histoire que tout le monde connait, et pourtant… Comme les meilleurs anecdotes, on a beau connaitre la fin, c’est la manière d’y parvenir et plus encore, les émotions qu’elle procure, qui en font la légende ! Le run de Sam Hill, lors des championnats du monde, à Val di Sole, en 2008, en fait définitivement partie.

Mieux, c’est même celui qui vient en premier lorsqu’il s’agit de résumer l’endroit ou le pilote, en une seule anecdote. Ce jour là pourtant, Sam Hill n’a pas remporté un troisième titre mondial consécutif. Ce jour là pourtant, Sam Hill a chuté… Mais clairement ce jour là, Sam Hill a marqué l’histoire de son empreinte, et a écrit la légende..!


Moment d’Histoire est une nouvelle rubrique FullAttack, conçue pour vous faire (re)vivre les émotions des plus grands moments de notre sport. Et ici, rien de mieux qu’un podcast pour frémir ! On vous conseille donc de l’écouter avant toute chose, frissons garantis !

Néanmoins, d’autres apprécieront de retrouver quelques images, le run dans les conditions du direct, ou ne sont tout simplement pas dans des conditions optimales d’écoute. Le verbatim est donc disponible à la suite de cet article 😉



Val di Sole… Au cours de la dernière décennie, ces trois mots se sont fait un nom au panthéon des pistes de coupe du monde de Descente VTT. Chaque année ou presque, cette vallée italienne du Trentin fait partie des noms que l’on scrute pour savoir si l’endroit sera au programme de la saison suivante. À bien des égards, il y a de quoi expliquer que l’endroit soit devenu un mythe…

Le commencement…

En juin 2008, c’est la toute première fois que le versant du Monte Spolverino reçoit le circuit mondiale. Pour une première, la piste italienne fait une entrée par la plus grande porte : les championnats du monde, direct ! Et puisqu’il s’agit d’une année olympique, les worlds interviennent tôt dans la saison – tout juste après la mi-juin.

Direct ?! Pas tout à fait. Les plus avertis savent que cette année-là, Val di Sole accueille un test event début mai, quelques semaines avant la grande échéance. L’occasion pour l’organisation de se faire la main sur une compétition régionale, et pour les pilotes de découvrir les lieux, au milieu des pilotes locaux. Certains des prétendants au titre font donc le déplacement. Le Syndicate – Peat, Minaar & Bryceland – Mondraker –Barel, Payet & Spagnolo – Yeti – Leov & Blenkisop… Et Iron Horse – Sam Hill en personne !

Cette année là, l’Australien est le champion du monde en titre. Au mois de septembre précédent, il a conquis sa seconde couronne dans un autre temple de la Descente mondiale : Fort Williams. Et comme un symbole, les premières et rares images que l’on trouve de ce test event le montre, lui, portant son maillot arc-en-ciel, pied sorti, pleine balle à l’abord du dernier vrai virage de la piste… Tout un symbole !

Black Snake !

La piste, parlons-en. S’il s’agit d’un mythe, c’est parce qu’à bien des égards, elle dénote au milieu des autres. À part Champéry, aucun tracé du moment ne lui arrive à la cheville ! Sur la carte, elle porte le doux nom de Black Snake. Et une évidence saute au yeux : elle n’est pas du genre à courir le long des courbes de niveau ! Elle les prend plein fer, dans l’un de ces endroits où elles ont la fâcheuse tendance à s’empiler les unes sur les autres ! Bref : ça penche, et pas qu’un peu !

Val di Sole est un enfer de roche et de racines qui s’écoule entre les sapins. Un de ces endroits sur terre dont même les meilleurs pilotes peuvent revenir en ayant l’impression de n’avoir pas su faire de vélo ! Une piste qui a clairement broyé les rêves de certains. Crash, conditions dantesques, vélos brisés… Gracia en 2012, Minaar en 2017… Force est de constater que cette piste ne se dompte pas aussi facilement. Greg Minaar lui-même, pourtant, en avait bien saisi la difficulté lors de sa première expérience ici…

Je voulais juste rouler en douceur et j’ai essayé de suivre les lignes que j’avais vues à l’entraînement. J’en ai tenu la moitié et j’ai raté le reste. Je n’avais pas réalisé à quel point ce serait difficile de rester sur les trajectoires, ou même sur la piste !

Greg Minaar, après le Test Event, Val di Sole, mai 2008…

Les impressions de Steve Peat sont du même acabit. Celui qui finira pourtant second des championnats du monde de Val di Sole 2008, résume sa prestation par une expression qui ferait tâche au milieu du combat pour l’égalité des sexes d’aujourd’hui.

Sam Hill, lui, remporte ce test event à sa manière. Discret – avec un temps similaire aux autres – lors des qualifications, il éclabousse le reste du plateau par un run dont il a le secret, lors de la finale… 6 secondes sur Steve Peat, son plus proche concurrent. Les autres forment un tir groupé derrière le Britannique. L’Australien a annoncé la couleur et semble avoir un truc… Il en a déjà fait part au monde entier l’année passée, sur les pentes abruptes de Champéry. Un autre moment d’histoire…

Le jour J !

Mais revenons à nos moutons. En ce jour de juin 2008, l’heure de la finale des championnats du monde a sonné. La start-list a de l’allure. Gee Atherton a signé le meilleur temps des qualif’ en 3min24s. Minaar, Leov, Blenkinsop, Pascal, Peat & Fairclough suivent à distance respectable… Comme il y a quelques semaines, Sam Hill est dans le coup, serein. Il a signé le 4e temps mais tout le monde sait une chose : sur ce pan de montagne, quelques semaines plus tôt, il est descendu en 3min19s… Plus vite que tout le monde !

Aujourd’hui pourtant, ce sont les championnats du monde. Un jour toujours très spécial. De ces courses dont la dramaturgie est d’un tout autre calibre. Et il y a une différence fondamentale avec la précédente expérience sur cette piste. Nous ne sommes plus début mai – à la fin de la saison hivernale en montagne – mais en juin. Le 21 précisément. Le jour de l’été, et le jour le plus long de l’année…

Val di Sole. La bien nommée vallée du soleil... L’astre brille, et ce, depuis plusieurs jours. En témoigne la piste qui s’assèche ! Au coeur des bois, les passages successifs en ont fait un tapis de poussière par endroit. La poudre en recouvre certaines racines et certains rochers. Les recoins où l’humidité parvient encore à retenir la terre se font de plus en plus rares. Et ce détail n’a pourtant pas échappé au pilote australien. Lorsqu’il se remémore les instants qui précèdent son run, il relate la chaleur qu’il fait au moment du départ, qu’elle soit ambiante ou dans son esprit…

All or nothin’!

À cette époque, le syndicat des pilotes et la brigade du style n’ont pas encore fait leur révolution. C’est dans une combinaison moulante, d’une pièce, que le tenant du titre se présente dans la cabane de départ. Manches courtes, et tout juste les protections réglementaires sur le dos, rien de plus. Number one on his back ! Aujourd’hui, on dirait à poil ! Pourtant, la tenue aussi, participe à ce moment d’histoire. Elle traduit la confiance et l’assurance du pilote qui maitrise son sujet.

Au moment de s’élancer, les coups de pédales sont conquérants. Les coudes, nus, écartés, qui tiennent le cintre large – signature du style Sam Hill – illustrent parfaitement le ton avec lequel l’Australien entend mener ce run d’anthologie. Et les premiers hectomètres ne trompent pas. Il aurait bien le temps de faire la différence plus loin, dans la pente, mais déjà, Sam Hill met son style en place. Un bunny-up pour survoler le premier trou d’une piste défoncée, et le voilà qui fait voler la poussière dans son sillage en plongeant dans les entrailles de l’enfer !

Antologique…

Que ceux qui se demandent encore ce que ce run a d’anthologique, regardent et re-regardent l’assiette de son vélo, et les signes de freinage, s’ils en trouvent. Il n’y a pas un mouvement qui ne soit pas attendu ou maitrisé, sans pour autant que Sam ne dicte strictement sa loi. C’est fluide, limpide, coulé… Jamais, sa roue arrière ne bloque. Jamais, Sam Hill ne se crispe. Lui seul, ce jour là, semble ne pas craindre la piste…

Ses bras paraissent lui offrir une stabilité indéfectible quand tout le pilotage du jour semble se faire par les jambes. Et, comme toujours, Sam parvient à conserver et entretenir une vitesse qui ce jour là, saute au yeux du monde entier ! Sur Freecaster, Rob Warner entre dans une transe dont il a le secret…

Hoooow, Faaast ! Oooooooooh he looks Faaast ! It looks speeded up ! […] How look at the tiiiime ! LOOOOOOOK AT THE TIIIIIIIME !

Rob Warner, aux commentaires sur Freecaster, Val Di Sole, 21 juin 2008

Premier verdict…

Le gimick légendaire est lâché, et le premier intermédiaire livre son verdict. 5 secondes, 36 centièmes d’avance sur le temps de référence, signé Steve Peat. Pourtant, en 3min15s, le Britannique pouvait fonder des espoirs. Avec Fabien Barel, ils sont les deux seuls à avoir battu le précédents record de l’Australien. Et chacun a gratté près de 10s sur ses propres marques.

Mais, Sam Hill aussi est en train de faire une moisson ! Et pas n’importe laquelle. Une de celles dont il a le secret. À l’intermédiaire suivant, son avance a encore grandi : 6 secondes, 35 centièmes. Plus l’Australien descend, plus il semble avoir pris la mesure de la montagne. Et si le début de son run est déjà exemplaire, la suite entre définitivement dans la légende ! Plus il descend, plus il se libère….

Dans une autre dimension !

Sur la fatigue, certains se crispent, ou deviennent plus prudents, appliqués. Sam Hill, ce jour-là, parvient à mettre en oeuvre le strict inverse. Plus ça file, plus il vole. Ses roues semblent de moins en moins en contact avec le sol. Sam joue clairement avec la limite. Ou plutôt, il met à profit le relâchement qui s’impose à lui. On le voit à chaque nouvelle compression, dans lesquelles il entre de plus en plus fort, en ralentissant de moins en moins. Pourtant, il semble continuer à dompter ce moment où l’on se fait embarquer par la vitesse et la pente. Lui en nourrit son run, et ce jour là marque à jamais l’histoire de la Descente.

Son passage dans le dernier bois est surréaliste.

Il vol d’un rocher à l’autre, tenant son vélo d’un côté puis de l’autre sans jamais se faire déborder ou devenir brouillon. La marge de manoeuvre qu’il (s’)autorise, à lui et à son vélo, est fabuleuse. Il bondit, finalement, d’un appui à l’autre pour sortir au grand jour, en pleine lumière, sur le dernier plongeon de la piste… Le plus dur est fait !

Le plus dur est fait ?!

Dans les esprits, l’euphorie prend peu à peu la place de l’étonnement et de l’admiration du début de ce run. Sam Hill est sorti du bois, il est au pied de cette montagne si impressionnante, qu’il a su dominer. Même aux commentaires, Rob Warner marque une pose, comme si les dés en étaient jetés et qu’il s’apprêtait à célébrer un moment d’histoire. À cet instant pourtant, l’histoire telle qu’elle est en train de s’écrire connait un tournant majeur et le silence n’en est que le plus grand des témoignages. Et pour cause…

Sam Hill, lui, continue d’entrecouper la respiration que tout le monde tente de reprendre. Sam Hill n’est pas soulagé d’en arriver là, puisque lui semble ne jamais avoir eu peur. Mieux, il a tout simplement l’intention de ne rien lâcher jusqu’à la ligne d’arrivée. Le clou plus qu’enfoncé !

À cet instant, je ne savais pas si j’étais en train de gagner, mais je savais que j’était en train de faire un très bon run…

Sam Hill, à propos de son run de Val Di Sole en 2008

Quand Sam Hill fait du Sam Hill !

À la sortie de ce bois, en guise de final, la piste de Val di Sole comporte une cassure nette, et sans bavure, qui laisse plusieurs dizaines de mètre pour se poser. Avec le temps, ce saut est devenu un mythe. Comme sur certains passages mythiques du WRC, des panneaux y sont disposés pour marquer la longueur du vol. Ce jour-là, la roue avant de Sam Hill se pose largement plus loin qu’espéré. La marque est à 20 mètre du point d’envole. En l’air, le petit mouvement de piqué en fait frémir plus d’un. Pourtant, l’Australien volant se pose sans encombre.

Dans le virage suivant, Sam Hill fait du Sam Hill.

Contrairement au test event, l’extérieur de la piste offre désormais un appuis sur lequel il aurait pu monter, pour assurer. Mais l’Australien lui, est le roi de l’inter et de la traj’ directe. Tourner plus court que quiconque fait parti de sa signature. Alors, il s’exécute. Braque à gauche…. Toute… L’avant tient bon. L’arrière part en glisse. Foot out, flat out ! Sam Hill, qui a grandi sur une moto, charge la pédale extérieure à mort, et sort le pied. Les deux roues du Iron Horse Sunday reprennent le grip au pied du fameux appui et le vélo se dirige vers la sortie du virage.

Avec des si…

À cet instant précis, les chronos sont formels. Sam Hill est en train de pulvériser son monde. Il compte 10 secondes d’avance sur Steve Peat. Il aurait remporté la course avec 7 secondes sur Gee Atherton. Après les 14 secondes collées à tout le monde en qualif’ à Champéry l’année d’avant. Et alors qu’il est double tenant du titre… Dans les chiffres, on n’avais jamais vu ça depuis le départ en retraite d’un certain Nicolas Vouilloz (ou les 14s d’un certain Kovarik à Fort William en 2002, NDLR). On pensait même un telle domination impossible désormais, avec la modernisation de la discipline et des écarts resserrés…

Possible ou pas ? La question restera à jamais en suspend. Alors qu’il est au coeur de la courbe, l’impensable advient. Après la glisse, Sam Hill a remis ses deux pieds sur les pédales. Mais aussi soudain qu’inattendu : Sam Hill perd l’avant… Après l’appui, la piste est en dévers. Sam file vers l’inter’ qu’il maitrise d’habitude comme personne ! Et au moment où il lève la tête pour apercevoir le dernier sprint, la roue avant se dérobe. Pied sorti trop tard, appui qui s’effondrent sous le bonhomme. Sam Hill est à terre…

Épilogue

Val di Sole, 21 juin 2008, jour du solstice d’été. Le sort en est jeté. À l’intérieur de ce virage maudit, le soleil a fait son oeuvre. Jamais cette section de la piste n’aura été aussi sèche, chaude et brassée par les passages précédents. Même Sam Hill, la légende australienne qui a grandi dans la peuf ocre et sèche downunder, n’aura su dompter ces quelques mètres carrés, qui ne paraissent rien au regard de ce qui précède.

Pour la petite histoire, Sam Hill trouvera sa manivelle gauche tordue, frottant sur le triangle arrière, lorsqu’il remonte sur le vélo. Déterminé comme toujours, il n’aura perdu qu’une petite dizaine de secondes dans la chute. Celle qu’il possédait sur Steve Peat. Après un dernier sprint entamé sur le bas de cassette, il coupe la ligne à une demi-seconde du britannique. Gee Atherton l’emportera pour 3 secondes…

Et comme un symbole, Sam Hill sera finalement médaille de Bronze, troisième de cette course… Comme à Champéry, l’année d’avant, où, auteur d’un run du même calibre, il avait déjà éclaboussé la course sans la gagner. Dans les deux cas, comme si l’univers lui-même, et non ses semblables, s’était dressé devant lui. L’orage d’un jour, la poussière et la chaleur d’un autre. Comme si dans ces instants, Sam Hill avait fait fi de ce bas monde, pour entrer dans une autre dimension… Avant d’en revenir, plus humain que jamais. C’est tout ce qui fait la beauté de ce moment d’histoire, et participe définitivement comme un des plus grands, si ce n’est le plus grand, moment de la légende Sam Hill…

Mon titre venait de s’envoler. Ciao, on se reverra plus tard ! J’étais assez ému à ce sujet, assez boulversé. J’avais le sentiment de m’être abandonné, d’avoir laissé tombé mon équipe, mon pays…

Sam Hill, légende humaine

Rédac'Chef Adjoint
  1. Merci pour ce moment de légende. Super bien raconté. J’ai encore les même frissons qu’à l’époque
    Ca fait trop du bien de revoir Sam rider 😉
    Aller je vais matter Champery.

  2. C’est d’une tristesse.Chaque fois que je le reregarde j’ai les boules, ce titre était tellement mérité, tellement pour lui.
    Personnellement Gee n’est pas champion du monde sur cette course! à la limite il n’y a pas de vainqueur, mais c’est pas Gee c’est sûr.

    1. C’est vrai qu’il y a polémique sur Gee Atherton. J’ai d’ailleurs failli en parler, mais j’ai passé en revue tous les résultats de l’époque en préparant cet article. Et en fait Gee gagnait des manches de coupe Val Di Sole 2008, et démontre par la suite en jouant plusieurs fois le général, qu’il a sa place parmis l’élite. Son titre n’est pas non plus un hold-up.

  3. C’est clair qu’il a fait un run de ouf, avec une speed de malade dans un secteur, Oh look at the time look at the time , he is fast ….

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