C’est devenue une habitude au fil des essais Endurotribe : au fur et à mesure que l’on expérimente, vérifie et valide des notions et des concepts, on veille à prendre le temps de les partager plus largement. C’est tout l’objet des Didactiques Endurotribe, dont voici une nouvelle lignée…
Après avoir parlé suspensions et géométrie, nous pourrions poursuivre ou bien parler transmission, freinage, pneumatiques… C’est pourtant une toute autre voie que l’on explore aujourd’hui. Un sujet moins connu, certainement moins vendeur aussi… Pourtant, il est certain qu’au fur et à mesure de la lecture, il parlera à tout le monde.
Place aux Didactiques dédiés à la rigidité et sa dérivée, la raideur ! Deux notions synonymes à la base, mais distinguées par une nuance qui fait mouche lorsqu’il s’agit de mieux comprendre, et mieux expliquer, comment se comporte un VTT… Pas encore tout à fait convaincu ? Entrons dans le vif du sujet !
Dans le dico…
Quand on parle d’un mot, il est toujours bon de jeter un oeil à sa définition. Dans le Larousse comme dans le Robert, la langue française dans son ensemble est formelle : rigidité et raideur sont synonymes. Et avouons-le : jusqu’à il y a peu, c’est comme ça que nous faisions usage des deux mots dans nos articles.
À peine existe-t-il une nuance entre rigide – qui ne plie pas – et raide – sans souplesse. On pourrait croire que le second est une réduction du premier. Qu’on parle de gentille raideur pour ne pas parler de la vilaine rigidité. Un euphémisme en quelques sortes…
Pourtant, il n’en est rien. Ou plutôt, une autre distinction est intéressante. Attention, on dit bien ici qu’il s’agit d’une distinction utile et nécessaire pour préciser des ressentis, et mieux caractériser le fonctionnement d’un VTT. On prend donc, effectivement, la liberté de préciser et compléter, les définitions usuelles et communes de ces deux mots…
La rigidité…
Honneur au terme le plus couramment utilisé : la rigidité ! Tant utilisé qu’il en est devenu connoté. Tantôt positivement, pour caractériser un vélo précis qui met au rebut les vieux vélos trop mous et fragiles. Tantôt négativement, ces derniers temps certains produits trop rigides ayant défrayé la chronique. Ça, c’est quand on cherche à résumer en un mot plutôt qu’en cent, quelque chose de plus subtile qu’il n’y parait. Mais qu’est-ce vraiment, que la rigidité ?!
« La rigidité, c’est la quantité déformation sous un certain effort. Elle se mesure en millimètres. »
Pour bien saisir, il est assez facile de se représenter ce qu’est la rigidité. Pour prendre un exemple très simple, que tout le monde a eu un jour en main, c’est la règle d’écolier, qui nous sert ici… Vous savez, celle qui a servit un temps à taper sur les doigts, lancer des boulettes de papier, faire ddooiiiiiiiinng et quand même aussi, tracer des traits…
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Grosso-modo, on tire de cette approche de la rigidité une règle essentielle : moins un élément se déforme sous un effort donné, plus il est rigide… Soyons bien clair, on part ici du principe que l’effort est mesuré, et que la déformation peut-être maintenue un certain temps, mais reste temporaire. Une fois l’effort disparu, la pièce retrouve sa forme d’origine. En science des matériaux, on dit qu’on reste dans le domaine élastique.
…Et au delà…
Dans tous les cas, il peut y avoir différentes manières d’être rigide. Reprenons l’exemple de la règle. On peut jouer sur sa forme ou sur la matière, qui la compose, pour limiter sa déformation à une certaine valeur, sous un certain effort. Après tout, c’est bien l’objectif d’un ingénieur quand on lui confie un cahier des charges à respecter. Pour en revenir aux courbes de déformation, il y a alors quelque chose d’intéressant à observer…
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… La raideur !
Mais alors, qu’est-ce qui diffère entre les deux objets pourtant tout aussi rigides en un point donné ? Leur raideur, précisément ! De quoi s’agirait-il ?! Pour tenter de mettre des mots simples sur ce concept…
« La raideur, c’est comment varie la déformation »
En mathématique, il y a un outil utile pour étudier une variation : c’est la dérivée. étudier la raideur, c’est faire la dérivée de la courbe de déformation précédemment évoquée pour caractériser la rigidité… Bref, pour simplifier encore, la raideur, c’est la dérivée de la rigidité. Une dérivée ?! N’éteignez pas l’écran, on peut saisir ça simplement. Il suffit de rester très visuel dans l’explication 😉
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Nous voilà donc avec deux courbes pour le prix d’une… On nous parlait de simplifier les choses, voilà qu’on les complexifie ! L’utilité de tout ça, c’est qu’avec deux courbes, on évite de se mélanger les pinceaux, superposer les commentaires, et on peut mieux cibler les propos. Revenons à ce cas de figure où les deux règles sont déformées de la même manière, sous le même effort, mais que l’une parait plus raide que l’autre…
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En pratique, c’est la manière avec laquelle on sollicite les deux règles autour de ce point qui nous en dit plus… Pour amener les règles à cette déformation, on sollicite leurs rigidités, et en oscillant légèrement autour de ce point, on sollicite leurs raideurs.
En pratique ?!
La question, dans ce cas, c’est : est-on capable de faire la même distinction à vélo ?! Oui, puisque sinon, on ne prendrait pas la peine d’écrire cet article. Il reste néanmoins à préciser comment. Voici donc, pour chaque notion, une première mise en application, et des axes d’observation pour saisir ce qui relève de la rigidité, et ce qui relève de la raideur…
La rigidité, en pratique
On l’a dit, la rigidité, c’est la déformation sous un effort donné. On n’a pas parlé de vitesse ou autre et pour cause, la rigidité, c’est plutôt lent. Voir statique, sur, parfois, de grandes amplitudes. C’est par exemple ce que l’on perçoit lorsque l’on applique un effort au vélo, et qu’on doit le tenir :
- quand on appuie sur le cintre au freinage, et que l’on perçoit plutôt des appuis qui ne bougent pas et/ou peu de débattement consommé, ou bien au contraire qui louvoient et travaillent, et/ou que l’on va loin dans le débattement
- quand on charge une pédale en courbe ou en dévers, et que le cadre ne bouge pas, ou au contraire, que le boitier de pédalier se déporte un peu vers le sol ou que les roues ne se suivent plus
- quand on tire sur le cintre pour faire un manual et que le vélo monte d’un bloc, ou au contraire qu’il y a quelque chose qui plie dans la manoeuvre : cintre, suspension, pneu ou roue arrière…
- quand on joue du cintre pour incliner le vélo, si le vélo suit le mouvement, où si l’on en vient à vriller quelque chose en cours de route
- quand on appuie, tranquillement, sa roue avant au sol et que l’on maintient le poids dessus, que la fourche prend peu de débattement, ou au contraire trouve son équilibre plus loin dans sa course…
Globalement, pour un vélo, la rigidité c’est savoir si, lorsqu’on le sollicite, s’il se déforme ou non. Physiquement, c’est quelque chose qui peut mettre le gainage à mal, ou à profit, c’est selon…
La raideur, en pratique
À l’inverse – même si je n’aime pas ce terme – la raideur, c’est la variation, c’est dynamique, et c’est localisé. Globalement, c’est tout ce qui a trait avec les vibrations, les impacts et les percussions. C’est davantage ce que l’on perçoit dans des laps de temps très courts, et/ou répétés, sur de faibles amplitudes. Je reprends volontairement les cas de figure précédents pour bien marquer la différence :
- au freinage, la raideur, c’est quand ça tape, ça vibre, ça brasse, ou au contraire ça filtre, ça absorbe, c’est velours
- quand on charge une pédale en courbe ou en dévers, c’est sentir si le vélo rebondit, vibre, chasse, si l’on perçoit les moindres aspérités du terrain, ou si certaines disparaissent du ressenti, et lesquelles…
- Idem quand on tire sur le cintre pour sauter, si le vélo suit dans l’instant et réagit au poil, ou s’il manque quelque chose dans la perception du micro-appel dont on espérait tirer parti
- quand on joue du cintre pour incliner le vélo, si l’on a le sentiment de percevoir la limite du grip au sol et que la moindre sollicitation que l’on met a une influence dessus, ou si au contraire, on a le sentiment de manquer d’infos
- quand on frappe sa roue avant au sol, si l’impact est important dans les mains, ou bien qu’il est mesuré et amorti, et sur quel débattement ?!
Globalement, la raideur d’un vélo, c’est savoir de quelle manière il restitue le terrain; quelle lecture il en offre. Est-ce qu’il vibre, est-ce qu’il filtre ? Où se situe-t-il entre les deux ?! Physiquement, c’est quelque chose qui parle au sensoriel, et peut mettre la poigne à l’épreuve.
Qu’en conclure ?!
Voilà, pour une première approche. Entre rigidité et raideur, il y a donc plus qu’une relation de synonyme. Il y a une nuance importante. Alors, forcément, certains diront qu’il y a un lien. Oui, bien sûr, puisque l’une est la dérivée de l’autre. Il n’empêche que faire la distinction entre les deux permet de préciser les choses. Ce que l’on ressent dans un cas précis, c’est plutôt de l’ordre de la rigidité ou de la raideur ?!
Les deux prochains chapitres de cette série de Didactiques Endurotribe consacrés à la rigidité et à la raideur doivent préciser : en prenant les suspensions comme exemple, puis en parlant des chaines de rigidité/raideur qui existent sur un vélo. C’est là, notamment, que l’on peut saisir ce qui est rigide mais pas spécialement raide, ce qui est raide, mais pas si rigide, en quoi la raideur influe nos suspensions, etc…
Avant ça, on se quitte momentanément sur l’idée que l’on ne devrait pas parler de rigidité et de raideur, mais de déformation et de raideur. Mais puisque le marketing est passé par là, et qu’à un moment donné, quelque chose de dur était plus vendeur que quelque chose de mou, on fait avec ce mot et l’affront à la langue française que ça implique 😉