Pour les plus initiés du milieu, la nouvelle peut avoir le petit effet d’une bombe : Rob Roskopp – créateur de Santa Cruz Bicycles, concurrent direct et particulier de la marque au grand S – intègre le board – conseil d’administration – Specialized, au côté de son meilleur concurrent de toujours, Mike Sinyard, qui l’y a fait entrer… Retour sur cette annonce, et le cheminement qui y a mené, via les deux principaux intéressés !
Petite remise en contexte pour bien saisir… On a déjà eu l’opportunité de vous le rapporter : la côte ouest du continent nord américain pullule d’entreprises qui occupent les devants de la scène MTB. De Vancouver à San Diego, elles sont légion. Il y a donc une certaine atmosphère qui les relie entre elles, d’une manière ou d’une autre. Que ce soit de l’émulation, de la collaboration et/ou de la concurrence… Il s’agit là d’un terreau qui s’entretient et se renouvelle au gré des échanges et/ou des transferts de compétence…
Or, le transfert de compétence dont on parle ici mérite l’attention. Rob Roskopp ! Les plus assidus d’entre nous situent le personnage. Avec son associé Rich Novak, le Californien était à l’origine de Santa Cruz Bicycles. Jusqu’à il y a quelque temps – ça aussi, on vous en avait fait part – il a d’ailleurs incarné l’image et les intentions de la marque, en première ligne. Une première ligne qui avait pour particularité de faire face à celle du voisin et concurrent direct : Specialized ! La marque du pionnier Mike Sinyard, dont le siège est distant d’une soixantaine de kilomètres à peine…
Autant dire que jusqu’ici, Santa Cruz et Specialized – Rob Roskopp et Mike Sinyard – étaient connue pour se livrer une farouche concurrence. Et c’est d’ailleurs toujours le cas pour les deux marques. Il n’est d’ailleurs pas rare d’apprendre en off, que tel ou tel transfert/recrue d’un membre de l’équipe concurrente fait la fierté du moment. Et il en va de même pour les implantations dans les meilleurs magasins de chaque marché… Bref, pour résumer, Santa Cruz se fait toujours un malin plaisir d’empêcher le pionnier, Specilaized, de tourner en rond !
Que ne fût donc pas ma surprise, il y a peu, lorsque – en déplacement outre Atlantique, pour découvrir un nouveau vélo – Mike Sinyard ET Rob Roskopp se sont tous deux présentés à la sélection de journalistes présents sur place, le second, une casquette Specialized rivée sur la tête ! Même effet que si, chez nous, Max Commençal s’était pointé avec un polo Lapierre en compagnie de Gilles, si Kylian MBappé annonçait son transfert au Real à l’OM, ou si Lewis Hamilton avait signé chez Ferrari Red Bull Racing. Petit effet wow !
La logique derrière tout ça n’a pourtant rien d’étonnant si l’on garde à l’esprit que deux personnages tels que Mike Sinyard et Rob Roskopp doivent, avant tout, leurs succès respectifs, à la clairvoyance dont ils savent faire preuve quand il s’agit de parler business. Pendant de nombreuses années, les deux se sont certes fait concurrence. Mais les deux ont donc largement eu l’occasion de se jauger, et de porter en estime les compétences de l’autre. Pour certains, voir Rob Roskopp prendre ses distances avec la marque qu’il a créée aurait pu être un simple soulagement. Pour Mike Sinyard, ça pouvait être une opportunité…
« Depuis quelque temps, Rob et moi avons noué contact, et avons développé une certaine relation – il est devenu mon voisin, et j’ai appris de lui qu’il quittait Pon ! Donc on a commencé à rouler ensembles et en discutant avec lui, j’ai pu constater à quel point il a acquis un bagage intéressant à propos de tous les aspects techniques qui font un bon VTT. J’ai donc jugé intéressant qu’il rejoigne le board Specialized, pour nous apporter son expertise… »
Mike Sinyard, fondateur de Specialized
Une opportunité d’autant plus intéressante, qu’au-delà du profil et des compétences mêmes de Rob Roskopp – qu’il n’est pas question ici de remettre en question – on est certain de la connotation toute particulière de ce recrutement ! Mettre la main sur le créateur emblématique adverse, une fois libéré de tout engagement par le repreneur concurrent, a forcément une saveur particulière…
Rob Roskopp rejoint donc le board Specialized, sur lesquelles l’exécutif peut s’appuyer pour savoir dans quelle direction orienter la marque. Mike Sinyard y siège notamment en bonne place, depuis qu’il a confié le rôle de CEO à Scott Maguire – relayé en mai dernier par Armin Landgraft, un ancien de Cayon et… du groupe Pon ! Si l’on doit partir du principe que ces personnages constituent de grands esprits, vous savez ce que l’on a l’habitude d’en dire… En attendant, c’est avec la simplicité et la verve très californienne que Rob Roskopp résume la situation, pour conclure…
« Pendant des années, j’ai fait partie de la concurrence. Et dans cette posture, Specialized a toujours été à la fois un concurrent logique – car un simple massif nous sépare – et coriace – parce qu’il fallait sans cesse relever les challenges que ça impliquait. Il y en avait d’autres, mais Specialized, c’était clairement la cible ! Bref, j’ai acheté une maison dont Mike est voisin, il y a de ça deux ans et demi. Il sortait ses poubelles, et je devais relever le courrier, un truc comme ça. Il y avait des rumeurs sur mon départ à l’époque. J’ai confirmé que ça risquait de ne plus le faire et quelques temps après, Mike m’a dit que nous devrions discuter. Je suis donc heureux, et fier, d’avoir pu nouer contact avec Mike, de constater que l’on sait parler le même langage. J’ai toujours voulu rester dans l’industrie du VTT. Et je sais que Specialized a la puissance pour faire la différence, surtout dans l’industrie telle qu’elle se porte actuellement. Donc pour faire simple, je fais partie du conseil d’administration, juste pour aider à donner mon avis et à diriger le navire, pour ainsi dire, avec Mike, puis à donner mon avis sur le produit, à le tester et à aider là où je peux… »
Rob Roskopp
