Réalisé et monté par UBAC MEDIA (Julien Ferrandez et Pierre Chauffour), le projet Stone Riders, imaginé par David Rimailho (enduriste et ingénieur géologue depuis plus de 10 ans), repose sur l’idée de proposer une web série de 3 épisodes sur le VTT abordé sous l’angle de la géologie. Après le premier épisode en Ardèche sur le plateau du Coiron, le deuxième épisode nous amène en Savoie au niveau de la crête du Mont Charvet…
Temps de lecture estimé : 6 minutes – Récit : David Rimailho – Images et montage : UBAC Média. Animations : Alexis Benoit
La crête du Mont Charvet
Pour ce second épisode de la série Stone Riders, David Rimailho notre « Jamy » du VTT, vous amène découvrir un des plus beaux singles naturels de la Savoie.
Direction Pralognan-la-Vanoise pour rouler sur la fameuse crête du Mont Charvet. Ce site exceptionnel situé en bordure du Parc National de la Vanoise est totalement atypique en raison de la présence de nombreuses cavités, de ravines et de courtes arêtes très effilées.
Ces perpétuels mouvements de terrain imposent un pilotage fluide et une grosse dose de gestion de ses émotions en raison du côté très aérien de certaines portions. En 2011, lorsque David a découvert ce sentier pour la première fois avec son ami Maxime Di Nardo, David avait balancé :
« Babah ! Relâches toi Max ! Regardes pas sur le côté ! De toute façon, ce n’est pas mortel en cas de chute… »- David
Quelques années plus tard, la sagesse venant à petits pas, force est de constater qu’il y a plusieurs portions où la chute est interdite…
Maxime étant un peu fracassé en ce moment, il a fallu trouver une doublure de choc pour ce deuxième épisode. Un mec capable de mettre du style sur ce terrain vertigineux, un mec prêt à porter son vélo pendant plusieurs heures pour atteindre le sommet, un mec prêt à manger du cailloux pour l’amour de la science !
Bon, il faut avouer que l’on n’a pas trouvé ce pilote… du coup, on s’est rabattu sur un petit jeune nommé Florian Arthus. Il ne tient pas trop mal son cintre par contre et même si il n’en a rien à faire de la science, il est assez dingue pour suivre les délires géologiques de son ancien coach…
Après une petite nuit sous la tente à se croire en discothèque en raison d’un orage au loin sur la frontière italienne, direction la crête du Mont Charvet ! En montant par le col de la Pierre, premier constat immanquable même pour les novices ou les réfractaires à la géologie, c’est la couleur de la roche qui forme cette crête. Le rocher est blanc comme neige !
Au sommet du col, l’arrête se présente devant nous sur plus de 2km. Le sentier serpente entre une multitude de gros trous et passe d’un flanc à l’autre de la crête ainsi qu’au sommet de vastes ravines.
De courtes remontées et passages trialisants interrompent ponctuellement le flow des riders pour faire durer le plaisir. Cela permet également de couper un peu la vitesse, histoire de ne pas se sentir pousser les ailes, ailes qui viendraient à nous manquer en cas d’erreur là où il ne faut pas…
« Mais pourquoi ce relief si particulier ? »- David
Pour répondre à cette question, il faut revenir entre -250 et -200 millions d’années. Rien que ça ! A cette époque nommée le Trias, le climat est très différent du climat actuel, il n’y a pas vraiment de continent (continent unique = « Pangée »), les Alpes n’existent pas encore et les dinosaures se portent encore bien.
En bordure de ce qui deviendra l’Europe, il faut imaginer de grandes étendues marines peu profondes. Comme en Camargue aujourd’hui, il devait y avoir de vastes étangs qui étaient le siège de dépôts par évaporation de l’eau de mer. Et comme les dinosaures n’étaient, a priori, pas très fans de sel pour assaisonner leurs salades ou leurs proies, personne n’a eu l’idée d’exploiter ces marais salants.
Ainsi, le sulfate doublement hydraté de calcium (CaSO4.2H2O pour les fans de chimie), qui constitue le premier dépôts de marais salants a pu s’accumuler sur d’importantes épaisseurs durant des millions d’années. Après consolidation (ou diagenèse pour les puristes = compactage, assèchement, etc. ), ces dépôts progressifs ont formé une roche nommée gypse. Il s’agit donc d’une roche d’origine évaporitique, une forme de sel.
« Pour simplifier, la crête du Mont Charvet n’est donc rien d’autre qu’un grand tas de sel consolidé ! »- David
Et comme tous les sels, le gypse est soluble dans l’eau. A chaque pluie, des particules de gypse passent en solution dans l’eau. L’érosion en est donc largement facilitée. Et vu que cela dure depuis des millions d’années, on observe aujourd’hui des formes érosives peu habituelles.
La forme érosive la plus caractéristique des gypses est la « doline ». Il ne s’agit rien d’autre qu’un trou de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres de diamètre lié à la concentration des eaux de pluie. Au fond du trou, c’est le départ d’un réseau d’écoulements souterrains.
Un grand entonnoir quoi ! Mais alors comment, une roche formée en bord de mer se retrouve aujourd’hui en montagne à plus de 2300 m d’altitude ? Encore une fois, c’est relativement simple. A partir du Trias (de -250 à -200 millions d’années environ), la « Pangée » se morcelle.
Des continents se forment et se déplacent. On parle de tectonique des plaques. Simultanément, le niveau marin augmente en raison des changement climatiques et de la formation de l’océan alpin par éloignement de la micro-plaque adriatique par rapport à la plaque européenne.
Les étangs laissent placent à des mers plus profondes, les conditions de sédimentation sont alors plus propices à la formation de calcaires (dépôts de coquilles de mollusques plus ou moins gros notamment) et les gypses sont progressivement recouverts par plusieurs centaines de mètres d’épaisseur de calcaires et autres roches sédimentaires.
A la faveur d’un changement de sens de déplacement des plaques, la micro-plaque adriatique rentre en collision avec la plaque européenne.
La compression croissante entraîne un phénomène « d’écaillage » des masses rocheuses et par conséquent un « raccourcissement » associé à une augmentation de l’épaisseur de la croûte continentale.
C’est le début de la formation des Alpes (vers -28 millions d’années pour les Alpes française).
Dans ce mécanisme complexe et lent, les gypses ont vraisemblablement joué un rôle important. Vu qu’il s’agit d’une roche « tendre », ils ont fait office de « surface de glissement », un peu comme une couche de savon qui serait coincée entre deux parpaings.
Les gypses sont comme « expulsés » et forment de « petites » accumulations à la limite des massifs géologiques principaux. C’est plus clair maintenant mon Flo ?! 😉
En France, on observe des gypses autour du massif de la Vanoise, dans le Beaufortain, vers le col du Galibier, Montgenèvre et le Col de l’Izoard. Et si vous préférez les remontées mécaniques au portage du vélo, allez donc rouler dans les bike-parks de la Plagne ou Tignes, vous ne serez pas déçus !