La 205 GTI du tout-suspendu ?!
Il y a des vélos qui impressionnent par leur technologie, leur complexité, ou leur fiche technique longue comme le bras. Et puis il y a le Production Privée Shan 5, qui prend le contre-pied. Un cadre bi-matériaux certes, mais une cinématique simple, un montage cohérent, et surtout une volonté claire : remettre le pilote au cœur du jeu. Ce n’est pas un vélo qui fait à ta place. C’est un vélo qui te parle, te demande d’être dedans, et qui te le rend bien. Un peu comme une 205 GTI dans un monde de berlines sur-assistées : direct, vivant. Et c’est justement ce qui le rend unique. Voici comment, à l’essai, sur FullAttack !

Production Privée
Shan 5
- All Mountain
- 29 pouces
- 140/150 mm, öhlins RXF36 & TTX2
- Acier & Carbone
- Reach 490 mm (L) & Offset court
- Crankbrothers Synthesis
- High Roller II & Minion DHF 2.3 Exo
- Formula Cura, 200/180mm
- Cadre/rolling châssis, S/M/L/XL, 2299 & 5652 €
- 14,62 kg, (L, sans pédales, TL + Prév.)
- Dispo depuis février 2024
- Fiche sur production-privee.com
Première impression !
Dès les premières sections qui tabassent un peu, là où ça pédale mais où le sol ne fait pas de cadeaux, le Production Privée Shan 5 dévoile une première facette de son caractère. À l’arrière, la sensibilité initiale est correcte, mais il y a ce truc : certains chocs passent sans trop d’histoires, et d’autres réveillent un petit phénomène de rebond suivi d’un enfoncement puis d’un retour à l’équilibre, un peu comme une oscillation amortie mais pas totalement digérée. Ce n’est ni brutal ni désagréable, mais ça se remarque. Comme si le cadre et la suspension entamaient une discussion sur qui doit gérer le choc… Et que ça prenait un ou deux coups de pédale pour tomber d’accord.
À l’avant, en revanche, c’est tout l’inverse. Dès les premières liaisons qui se compliquent, on sent une roue qui lit le terrain avec bienveillance. Zéro remontée sèche dans les bras, pas de roue avant qui accroche ou se coince dans la ligne. Le train avant dégage un feeling de douceur et de tolérance. Ça plane.
Et quand la trace se met à tourner – vite, fort, ou longtemps – le Production Privée Shan 5 change encore de visage. L’agilité dans les enchaînements est bluffante. On passe de gauche à droite sans inertie parasite, presque comme si le vélo prenait l’info à la tête pour la traduire immédiatement sous les pieds. C’est là qu’on se rappelle que Production Privée s’est d’abord illustrée par ses périphériques : cintre, potence, et un certain goût pour la précision. S’ils avaient voulu faire un vélo pour mettre en valeur leurs cockpits, ils ne s’y seraient pas mieux pris.
Et puis il y a ce truc de proportions. À la sensation, soit l’arrière est compact au point de donner de la grandeur à l’avant, soit c’est l’inverse. Ce qui est sûr, c’est qu’on sent une vraie répartition des masses : un arrière ramassé et nerveux, un avant posé, long juste ce qu’il faut pour amener de la confiance. Le genre d’équilibre qui donne envie de pousser plus loin.

D’où ça vient ?
La tolérance du train avant semble venir du choix de matière. Production Privée reste fidèle à l’acier pour le triangle avant, et ça change tout. Cette matière absorbe, filtre et surtout, elle ne “force” pas la roue avant à suivre une trajectoire stricte dictée par le cadre. Le triangle avant laisse respirer le pilotage, ce qui se ressent dans les mains et dans la facilité à placer le vélo sur les appuis.
Quant à l’agilité générale du vélo, elle trouve sa source dans les cotes de géométrie. Avec 490 mm de reach et 832 mm d’empattement avant en taille L, le Production Privée Shan 5 offre un avant long et posé, qui donne de la stabilité et de la confiance à haute vitesse. Et du coup, les bases de 437 mm paraissent courtes, même si elles restent dans la norme. Ce jeu de perception entre l’avant généreux et l’arrière contenu crée un équilibre nerveux, qui répond vite et bien dans les changements d’angle.
À noter que cette sensation évolue selon les tailles : en l’absence de bases ajustées selon le cadre, les tailles plus petites ressentiront un vélo plus équilibré mais peut-être moins tranchant, tandis que la taille XL pourrait pousser encore plus loin ce contraste, et accentuer cette fameuse agilité couplée à un avant posé.
Le comportement oscillatoire de la suspension arrière sur terrain cabossé, quand on pédale, peut être lié au choix d’un point de pivot unique, fixe. Un design qui a ses vertus de simplicité et d’entretien, mais qui peut montrer ses limites dans ce cas précis. Tout le poids du pilote repose au-dessus du point de pivot, et par effet de levier, un simple mouvement de sa part, une simple inertie initiée par le terrain peut déclencher une oscillation. Et si l’effet de chaîne n’est pas très marqué, il ne vient pas verrouiller la suspension au pédalage : résultat, ça ondule, comme indiqué précédement. Est-ce un défaut ? Pas forcément. Il faut simplement en tenir compte au moment de régler les suspensions du vélo…
Comment ça se règle ?
Un bon point de départ consiste à viser les 30 % de SAG avant/arrière comme c’est de coutume sur FullAttack. À partir de là, le vélo commence à parler, et ce qu’il dit est assez clair : la détente a un effet direct sur la sensibilité. Rien de surprenant pour qui a déjà passé du temps à régler du Fox, mais c’est plus rare d’observer ça aussi nettement avec des éléments Öhlins. Conclusion : il faut oser ouvrir un peu la détente.
Mais pas trop non plus. Avec un point de pivot unique et une cinématique très simple, le Shan 5 peut vite se mettre à pomper. Dans les trous, les compressions, il y a ce risque de rebonds malvenus dont on a parlé en début d’article. Le compromis se situe quelque part autour des deux tiers ouverts. Là, le vélo gagne franchement en confort, en lecture de terrain, en grip quand on est assis et qu’on appuie sur les pédales.
En descente, il faut affiner encore. Deux points à garder à l’esprit : d’abord, préserver le caractère du châssis, ce fameux mélange entre acier à l’avant et carbone à l’arrière. Si les détentes et compressions sont trop ouvertes, ce caractère est noyé dans le confort et le débattement généreux mais peu contrôlé des suspensions. Ensuite, contrôler l’assiette. Quand le rythme monte, les mouvements parasites se multiplient. Les compressions basses vitesses sont alors nos alliées. Un réglage entre 1/4 et 1/3 fermé depuis la position ouverte stabilise l’assiette, améliore la lecture du terrain, et fait réapparaître le tempérament unique du cadre.
Et si on veut aller plus loin, on peut encore affiner. Retirer 5 PSI dans la fourche et 10 PSI dans l’amortisseur, puis fermer un peu plus les compressions – jusqu’à mi-plage – donne un vélo encore plus homogène, sensible, confortable, stable, capable d’absorber le terrain sans perdre sa dynamique.
La nature mixte des matériaux entre les deux triangles impose aussi une subtilité de plus. Le triangle arrière en carbone, plus rigide, pousse à rouler avec un peu plus de SAG. Juste ce qu’il faut pour ne pas flinguer l’assiette, éviter que le boîtier plonge, tout en profitant de la souplesse. Et si on cherche à retrouver un bon rendement au pédalage, le levier de blocage d’amortisseur entre en jeu. La position intermédiaire, est alors très pertinente. Elle optimise le rendement sans sacrifier la lecture du terrain.
Et là, clairement, on sent que le triangle arrière carbone apporte un vrai plus. Le vélo répond bien à la pédale, il est vif, il dégage une vraie envie d’accélérer.
Enfin, il faut comprendre l’intérêt de jouer sur les compressions basses vitesses. Tout ouvert, on a un vélo moelleux, tout suspendu, mais instable dans son assiette. Plus on ferme, plus le vélo gagne en précision, en tension, et on s’approche du comportement d’un semi-rigide. C’est à ce moment-là qu’on commence vraiment à prendre la mesure du Production Privée Shan 5. Parce qu’on entre dans un jeu de réglages où chaque clic se sent, chaque configuration change le vélo. On adapte au terrain, au style, à l’envie. On maîtrise l’outil.
Avant | Arrière | |
SAG | 30% | 30% |
Détentes | 2/3 ouverte | 2/3 ouverte |
Compressions | 2/3 ouverte | 2/3 ouverte |
Réducteurs de volume | d’origine | d’origine |
Pour un gabarit moyen de 75/80kg. Clics de détente et compression comptés depuis la position la plus vissée des molettes. SAG arrière réalisé assis/selle haute – SAG avant réalisé debout/bras en appui sur le cintre / épaules à l’aplomb du guidon. Voir notre vidéo explicative > https://fullattack.cc/comment-faire-les-sag-la-methode-et-les-conseils-fullattack/
Comment ça se pilote ?
S’il fallait résumer les propos tenus jusqu’ici, et n’en retenir qu’une seule chose, ce serait celle qui fini par établir qu’un Production Privée Shan 5, c’est un vélo quelque part à mi-chemin entre le simple semi-rigide et le tout suspendu archi travaillé des temps modernes. Comment ça se traduit sur le terrain, à l’usage ? Réponses…
À la pédale…
Ça gicle bien au premier coup de pédale... Le Production Privée Shan 5 dégage une belle légèreté, et surtout une réactivité immédiate au coup de pédale. La relance est franche, nette, sans inertie excessive. On appuie, ça part. Ça vient sans doute en partie des roues carbone montées sur notre montage d’essai, mais la suspension arrière y est pour beaucoup : elle se tient, encaisse sans s’affaisser, et restitue bien l’énergie une fois les bons réglages trouvés. À tel point qu’il faut, aussi, enrouler le terrain pour conserver la constance du grip, et ne pas se faire brasser.
Ce comportement donne au vélo un petit côté joueur dès qu’on se met en danseuse ou qu’on pousse fort sur les manivelles. On sent que le vélo veut avancer, veut grimper, veut sortir du virage avec élan.
Seule nuance, subtile, mais présente : quand on force franchement sur les rapports les plus hauts, on sent que l’effet de chaîne entre en jeu. Le système se verrouille. C’est à peine perceptible, mais pour les plus pointilleux, ça peut se sentir comme un petit grain dans la fluidité. L’instant où il faut être de toute façon plus dynamique dans son placement, dans son attitude. Ne pas rester assis en selle, au risque d’être chahuté. Rien de gênant dans l’absolu, mais il faut savoir en tenir compte pour ne pas être perturbé le moment venu. Il faut un peu de métier…
En l’air ?!
Ce qui se passe au moment de l’appel reflète parfaitement ce qu’on a décrit plus tôt sur la répartition des masses et la cinématique. L’avant long et posé agit comme un levier efficace, qui permet de charger la roue avant, puis de la délester au bon moment. Lever l’avant devient intuitif, presque naturel, et inscrire le vélo dans l’appel se fait sans forcer. C’est d’autant plus vrai quand on a du rythme et qu’on engage un peu : la géométrie généreuse travaille pour vous.
Mais attention : la cinématique très simple du vélo impose de soigner les appels. Sur les décollages creusés, courts, ou mal taillés, le vélo peut avoir tendance à se « plier » au niveau du boîtier. Ce n’est pas violent, mais ça demande un minimum de vigilance pour éviter de perdre l’assiette et/ou se faire raquetter. Encore une fois, tout est affaire de réglage et d’adaptation au terrain.
Même logique à l’atterrissage. Si la suspension n’est pas bien réglée, l’assiette peut s’effondrer à la réception, avec cette sensation de vélo qui « se plie » au centre, plutôt que de rester homogène et stable. Ce n’est pas une faiblesse structurelle, c’est juste un manque de tenue des suspensions face à un effort violent.
Si tel est le cas, ça signifie qu’il faut repasser par la case réglages, et mieux faire. Parce qu’une fois les bons clics trouvés, le comportement s’assagit, et la suspension reprend tout son intérêt. On retrouve ce mélange de contrôle et de vivacité typique des produits Öhlins qui équipent le Production Privée Shan 5 : ça encaisse sans se tasser, ça reste vif sans devenir sec. Bref il faut avoir un peu de métier, comme on dit…
En courbe
Je l’ai dit en début d’article, et ça mérite d’être rappelé ici : les enfilades, c’est là que le Production Privée Shan 5 s’exprime le mieux. Ce mot colle parfaitement, parce qu’on se retrouve à enchaîner les virages avec une précision de lecture qui passe directement par le cintre. Le vélo se pilote par les mains, et on peut corriger l’inclinaison ou ajuster la ligne avec une simple impulsion du guidon. Un vrai bonheur pour jouer avec l’angle, lâcher, retenir, relancer, toujours avec ce lien direct au cockpit.
Le triangle avant en acier joue ici un rôle clé. On n’a pas besoin de charger exagérément l’avant pour avoir du grip. Pour les pilotes qui n’ont pas ce réflexe, c’est même une aubaine : le toucher de terrain est là, la roue avant y reste collée.
Mais cette tolérance a un revers : ça peut sortir un peu plus large que prévu. Est-ce dû à la Crankbrothers à l’avant, à son travail particulier de la jante ? En partie, mais pas totalement, vérification faite avec une autre roue dont je suis certain qu’elle ne provoque habituellement pas ce phénomène. Mais comme au volant d’une Ferrari F40 avec son turbo parfois latent, ce petit caractère s’apprend, se dompte. Et dans la logique de chaîne de rigidité, l’accord entre la tolérance du triangle avant et la souplesse de la roue fonctionne.
Enfin, cette agilité permet de garder les manivelles à plat. Pas besoin de forcer avec les jambes, le vélo change de bord naturellement, sans qu’on doive sortir le pied ou forcer le bassin. On reste dans l’axe, et ça passe.
Quand ça brasse…
Dans les zones vraiment défoncées, où le terrain tape dans tous les sens, un petit trait de caractère du Shan 5 refait surface. Le fameux “si l’avant passe, le reste suit” ne se vérifie pas toujours, et c’est là qu’on comprend l’influence directe de la construction du cadre. Le triangle avant en acier encaisse, filtre, absorbe. Il temporise les coups, parfois au point de faire croire que le passage est plus lisse qu’il ne l’est en réalité. Sauf que l’arrière, en carbone, est un peu plus raide, plus franc dans sa lecture du terrain.
Résultat : une forme de désynchronisation peut apparaître. L’avant plane mais l’arrière réagit plus sèchement, comme s’il lui fallait une demi-seconde de plus pour suivre la cadence. Ce n’est jamais critique, ni dangereux, le vélo ne décroche pas, ne surprend pas violemment. Mais c’est un caractère à comprendre, à intégrer dans son pilotage.
Adopter un pilotage fluide, légèrement en appui sur l’arrière plutôt que l’avant, permet justement de tirer le meilleur de cette configuration. C’est en comprenant cette dynamique propre au Shan 5 qu’on en extrait vraiment le plaisir, celui de jouer avec les matériaux, de profiter de leurs contrastes plutôt que de les subir. Pas forcément donné à tout le monde, mais c’est là que le Production Privée Shan 5 fini de révéler son plein caractère…
Pour qui ? Pour quoi faire ?
Le Shan 5, c’est un vélo à l’ancienne. Pas dans le mauvais sens du terme. Plutôt comme une voiture sportive d’avant l’ère numérique : quatre roues, un moteur atmo, un châssis rigide, et zéro assistance électronique. Tout est là, mécanique, lisible, sain. Pas d’ABS, pas d’ESP. Juste toi, la piste, et la machine. C’est brut, honnête, et ça t’oblige à être présent, dans l’instant.
S’il fallait le résumer en une image, ce serait celle-là : rouler en Production Privée Shan 5, c’est un peu s’offrir une 205 GTI. Un truc affûté, sportif, exigeant mais gratifiant, qui parle à ceux qui aiment l’art de piloter. Pas la dernière Porsche bardée d’électronique, qui certes procure son lot de sensation, mais peut te fait croire que tu es bon. Non. Là, c’est du pur pilotage. Une alchimie à trouver entre le terrain, le pilote et ce qu’il y a entre les deux : le Production Privée Shan 5.
Ce vélo s’adresse à celles et ceux qui aiment comprendre ce qu’ils pilotent. À ceux qui ont envie d’un tout suspendu, mais sans tomber dans le piège des cinématiques ultra-complexes, ou de la maintenance chronophage. C’est aussi, quelque part, un semi-rigide à temps partiel. Un vélo parfait pour celles et ceux qui viennent du hardtail, mais qui, pour des raisons de confort, de dos fatigué, ou simplement de curiosité, veulent passer au tout suspendu sans perdre cette sensation de nerf, de simplicité, de ligne directe entre le terrain et le pilote.
Le Shan 5 ne t’assiste pas. Il traduit, à sa manière. C’est un interprète du terrain. Il ne masque rien, mais il donne certains outils pour aller vite, longtemps, et avec le sourire, si tant est qu’on prenne le temps de comprendre son langage.

La concurrence ?!

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas vis-à-vis de certains modèles de marques concurrentes que je place le Production Privée Shan 5. Notamment parce que quelque part, je ne lui ai pas véritablement trouvé de concurrent direct parmi les vélos roulés jusqu’ici. Peut-être en trouverez-vous, auquel cas, on en parle volontiers en commentaires à la suite de cet article. Par contre, il m’a été donné de comparer ce Shan 5 au Shan GT Classic, le semi-rigide phare de la gamme andorrane. C’est de là que proviennent forcément les impressions au sujet de l’apport de la suspension, de la conception bi-matériaux, de la géométrie généreuse de ce tout suspendu… Mais aussi des traits de caractères communs qui font qu’un Production Privée Shan 5, c’est peut-être le meilleur vélo qu’il m’ait été donné de rouler, à conseiller à ceux qui, à la base, sont fervents pilotes de semi-rigide, mais qui voudraient se laisser tenter par le tout suspendu sans y perdre leur âme.

Un vélo comme le Production Privée Shan 5, ça te remet au centre du jeu. C’est un peu comme une 205 GTI : ça te parle, te répond et t’oblige à être dedans – et c’est là que le plaisir prend racine. Quelque chose à l’opposé de certaines solutions ultramodernes du moment, qui peuvent éloigner de l’essence même de notre pratique ?!















