Le Mont Blanc. Lieu mythique. Lorsqu’on pense au Mont Blanc, on pense au sommet de l’Europe, à la neige éternelle, au berceau de l’alpinisme. On pense rarement à faire du vélo. Encore moins en autonomie, sans le moindre support.
Pourtant c’est le challenge que nous nous sommes donné la semaine avant le confinement, autour d’un bon café pendant une sortie VTTAE entre potes.
Direction le Mont Blanc entre copains au guidon de nos Lapierre GLP2…
Temps de lecture estimé : 11 minutes – Récit : Kieran Page
Tour du Mont Blanc entre potes
L’idée est souvent la chose la plus facile à avoir, la conception et la réalisation d’un projet étant une autre paire de manches. Nous connaissions tous le coin à travers nos voyages ou séjours, le plus souvent en ski, mais ne savions pas comment nous y prendre pour transformer cette idée en voyage mémorable. À travers nos réseaux communs, nous avons recueilli énormément de conseils et d’idées de nos amis pour réussir.
Le fameux confinement a failli avoir raison de notre voyage. Finalement il a servi d’ouverture parfaite car la pause des compétitions a donné à Nico V la liberté de participer, Alexandre et (Nicolas) Pompei ont pu bénéficier de plus de latitude avec leurs vacances et je n’ai eu pour ma part aucun événement à organiser. J’ai donc eu la possibilité de me concentrer sur ce trip.
Nous avons tous pas mal d’expérience dans le domaine du vélo et de la montagne, mais notre TMB présentait certains éléments inconnus. Passer trois jours avec les sacs remplis de batteries, chargeurs, matériel de réparation et secours ainsi que nos vêtements, était une configuration inédite pour certains d’entre nous, plus habitués à avoir une équipe en soutien. Nous ne devions prendre que les essentiels, et certains objets « passe-partout ».
Jour 1 : Courmayeur – Saint Gervais
Ce n’est pas sans une certaine impatience que nous sommes arrivés à Courmayeur.
Devant nous 165km et au moins 8500m de D+ à partager sur trois jours afin de boucler le tour. Tous les conseils et recherches reçus étaient notre seul point de repère face à la haute montagne et l’orage qui nous menaçait dès le départ.
Notre plan était de commencer la boucle avec le Funivia, car qui refuserait d’avoir 500m d’altitude en moins à franchir avec 1000Wh d’autonomie et 3200m D+ pour la journée ? Le gain de temps anticipé s’est finalement envolé lorsque nous sommes sortis de l’appareil et que nous sommes tombés sur Blaise Verien, au restaurant Maison Vieille, chez Giacomo. Quelle hospitalité ! À peine 10h du matin mais le plateau de charcuterie et de fromage du pays, offerts avec un vin blanc, prouvait bien que nous étions partis sur le « Tour des Meilleurs Bars ».
La préparation éclaire du bolide de Pompei a également interrompu le départ à peine 500m plus loin. Car malgré l’attention prêtée à son vélo concernant la mise à jour des batteries et de la programmation moteur, ainsi que les multiples composants cycles, les pneus n’avaient pas été gonflés… Doh !
Une fois les faux départs négociés, nous avons plongé dans le vif du sujet, immergés dans l’ambiance de l’aventure grâce aux paysages sublimes et aux chemins d’anthologie. Le Glacier de la Lex Blanche est sorti du brouillard au moment de notre passage vers le Col de la Seigne et la France. Nous avons attaqué la descente du col vers le refuge des Mottets comme des sauvages, car le chemin était large et lisse mais surtout car nous avions peur de ne pas pouvoir recharger nos powerpacks si nous étions trop en retard.
Le refuge où nous nous sommes arrêtés le midi était vraiment agréable, avec des raviolis maison et une installation électrique moderne. Tout cela a permis de recharger les batteries des pilotes et des VTTAE.
L’effet « vacances » que nous avons commencé à ressentir a pris un coup lorsque, dès la remise en selle, les averses ont commencé et se sont intensifiées pour finir en orage de haute montagne au bien nommé ce jour, Col de la Sauce. Nous avons passé la Crête des Gittes avec ses parois et ses barres rocheuses de plus de 500m malgré la grêle et le vent violent. J’ai découvert à cet instant que le vertige est une sensation très désagréable ! Le refuge du col de la Croix du Bonhomme a bien porté son nom de « refuge », avec aisément une cinquantaine des personnes à l’abri de la météo capricieuse, en train de déguster de délicieux gâteaux faits maison. Nous avons ensuite profité d’une accalmie pour rejoindre le Col du Bonhomme, un pur régal ! Les pierres et les blocs étaient trempés, mais par miracle, ils accrochaient bien sous nous pneus. Bonjour les block-passes, les fous rires et les trajectoires plus qu’osées. Cela n’a pas changé dans le freeride de la cascade de Balme.
Habituellement la descente sur les Contamines se fait par la piste forestière mais nous avons décidé au dernier moment de l’abandonner au profit d’un chemin parallèle, la Combe Noir. Quelle erreur ! C’est là que pour la première fois en 15 ans, j’ai vu l’impensable : Nico à pied !
Nous avons fini trempés jusqu’à l’os, à la tombée de la nuit, mais la première journée de TMB nous a livré tout ce que nous attendions : de l’aventure, de l’adversité et des chemins de fous !
Jour 2 : Saint-Gervais – Champex
Dans la nuit l’orage a déserté, laissant la place à un soleil de plomb. Fort heureusement la première montée s’est faite à l’ombre, car les 800m d+ en 4km ont vite chauffé les jambes. La récompense était la vue sans obstruction sur le Mont Blanc, l’Aiguille de Midi et toute la vallée de Chamonix. Nous sommes restés figés par la beauté de ce spot un court instant, car la descente sur les Houches nous tendait ses bras, avec en prime un tracé fraîchement taillé pour le bike-park. Nous avons alors vite oublié les 15kg que nous avions sur le dos et attaqué entre les fougères dans les racines et la pente.
A notre arrivée dans la vallée de Chamonix, le rythme a changé car le soleil, les vues et le nombre croissant de randonneurs nous ont imposé une allure plutôt tranquille au bord de L’Arve. L’ambiance estivale était à son comble au centre de Chamonix. Nous avons choisi au hasard le Restaurant Joséphine, sous l’ombre de la statue de Dr Paccard, l’alpiniste qui a conquis le Mont Blanc en 1786. Le plus gros de la journée restant à faire, et n’ayant que la carte et la fleur au fusil, nous nous sommes remis en selle, le ventre et les piles remplis.
L’idée était de rejoindre le Col de Balme et la frontière Suisse via les télésièges du Bike Park de Le Tour, mais, malgré les renseignements que nous avions glanés en amont, le site a interdit le transport des VAE dans les télécabines… Coup du poker obligé car nous n’avions pas assez de marge dans les batteries pour rejoindre Champex sans cette aide. Nous avons fait profil bas et feint l’ignorance, tout en bluff et en charme pour nous faufiler dans un groupe de riders étrangers (bon, des Anglais) afin de passer le Col.
Nicolas Fillippi, qui connait bien les lieux suite de son record du TMB à VTT, nous avait déconseillé la descente directe et conseillé à la place une descente par la Tête de Balme et la Croix de Fer qui restera l’un des moments fort de la semaine. Les 900m de verticale, avalés à tout vitesse en passant par toutes les couches de la montagne, ont cramé une paire des plaquettes pour Pompei et le serrage du plateau du vélo d’Alexandre.
Heureusement que j’avais emmené in extremis la paire des plaquettes de son frein avant que nous avions condamné avant de partir, faute d’un levier tordu. Mais pour l’outil serrage plateau… J’avoue avoir rigolé quand Nico avait suggéré de le prendre, disant que ce n’était que 160 bornes et en bon sudiste d’adoption « çaaaa vaaaa passer« . Je commençais à cet instant à regretter ce petit conseil. Le Leatherman d’Alexandre et l’abondance des cailloux ont donc remplacé l’outillage officiel de chez Bosch pendant le jour et demi à venir.
Après cette mésaventure, nous avons décidé de prendre un « raccourci » pour rejoindre le Col de Forclaz. Nous nous sommes retrouvés dans un chemin déjà pentu, qui s’est transformé en calvaire avec des marches façonnées en ancien travers de chemin de fer. Le poids du sac à dos s’est démultiplié avec le poids de nos VAE. Le panneau de randonnée au Col nous annonçait la fin de journée à 3h à pied, mais il ne nous communiquait rien sur la technicité du chemin à venir. Chacun ses préférences à VAE : personnellement, j’adore les montées techniques. Pour le coup j’ai été servi pour notre ascension jusqu’à le Croix de Portalo. Les leçons durement apprises dans les chemins de la Transvésubienne ont servi dans ce chemin tortueux, afin de garder la lucidité et la souplesse jusqu’au bout.
Après une telle montée, nous étions assez éparpillés, mais une fois réunis, c’est la descente sur Champex qui nous préoccupait. Elle avait intérêt à être bonne après le purgatoire de la montée depuis le Forclaz, et encore une fois, ce saut dans l’inconnu ne nous pas déçus. Alpages rapides et larges se sont rétrécis en chemins caillouteux puis en passages dans de multiples ruisseaux remplis de gros blocs plutôt « trialisant ». Une fois que le chemin ait rejoint la piste forestière en bas, nous avons crié de joie en nous racontant nos passages vraiment trop proches de la correction, au désagrément des pauvres campeurs installant leur tente dans un champ tranquille jusqu’à là.
La tranquillité de Champex-Lac, qui signalait la fin de la deuxième journée, a été la bienvenue après une journée bien chargée sur tous les fronts.
Jour 3 : Champex – Courmayeur
Dès les premiers tours de roues, nous avons brisé le silence et la tranquillité des lieux avec une descente au cours de laquelle nous avons vraiment pu lâcher les freins sur les 400m de D- pour rejoindre le hameau d’Issert. Derrière, nous avons attaqué une longue ascension de plus de 1500m de D+ en direction du Grand Col Ferret et de l’Italie. Là encore, les paysages et la variété des terrains nous ont séduit et, sachant que l’étape était la plus courte, nous en avons profité pour nous offrir des pauses photos et des ascension défis à la moindre opportunité.
La contrepartie de faire le TMB, surtout en week-end, est la quantité de personnes que l’on peut croiser sur les chemins. Pour nous ce n’est pas problématique de ralentir quand nous les croisons, mais pour certains d’entre eux, c’est effrayant de voir des VTTistes débouler dans un nuage de poussière sur un chemin où ils ont déjà du mal à évoluer, surtout lorsqu’ils gravissaient la vertigineuse pente qui finissait pour nous au Refuge Elena. Heureusement pour ma part, avec Alexandre et Nico en éclaireurs, les randonneurs étaient déjà largement avertis que j’arrivais.
La suite de la descente pour rejoindre Chalet Val Ferret s’est faite dans l’esprit tifosi italien : les randonneurs du dimanche nous applaudissaient et filmaient même notre passage. Des freinages de plus en plus tardifs, couplés à des trajectoires ambitieuses, ont contribué à leur plaisir !
Pour la première fois depuis le départ, nous étions ce jour dans le timing, et nous avons fêté cela avec du gibier local cuisiné à l’italienne. Il n y’a rien de mieux qu’un bon plat de cerf à la daube pour empêcher l’organisme de repartir, et pourtant, la discussion de midi a surmotivé nos esprits qui avaient du mal à communiquer avec nos jambes. A ce moment-là, nous avons encore remercié nos vélos pour l’assistance qu’ils nous portaient. Le chemin en balcon sur La Doire de Ferret était d’une telle beauté que nous avons oublié les pauses fréquentes que nous devions effectuer pour céder le passage aux randonneurs. Nous les remercions même, car avec le Mont Blanc en arrière-plan, il aurait été tellement facile d’être distrait et de frôler la correction si près du but.
Une dernière halte en altitude s’imposait au Refuge Bertone, afin de profiter de cette magnifique vue et de réfléchir à tout ce que nous avions vécu pendant ces mini vacances entre potes. Bon ok, réellement, nous attendions surtout que les randonneurs passent pour profiter de la dernière descente et rejoindre Courmayeur 600m plus bas. Mais la fatigue accumulée et le terrain cassant nous ont rapidement rappelé qui était le boss en haute montagne. L’envie d’une bonne bière fraîche et de gelati nous a aidé à maintenir malgré tout une allure soutenue.
Enfin nous voila de nouveau au point départ de notre aventure, plus soudés que jamais, et avec des images qui dansaient devant nos yeux et qui resteront gravées pour la vie. Après l’avoir côtoyé quelques jours, nous comprenons mieux l’addiction des aventuriers de tous disciplines pour ce massif. Nous reviendrons, c’est une certitude.
Kieran