À l’occasion de la cinquième manche du championnat, les Enduro world Series 2016 ont traversé l’Atlantique. Entre mesure et décadence, le gratin mondial y a, une nouvelle fois, goûté à l’Enduro sauce américaine. Une course à part, à bien des égards… Et un tournant que l’on attendait pas forcément. Décryptage « Entre les chiffres » de cette EWS Aspen 2016…
Format de la course
Après les pentes affolantes de La Thuile, le contraste est fort ! À peine débarqués sur le sol américain, les top pilotes mondiaux ont dû prendre la mesure du terrain… Lisse, rapide et plat. C’est, du moins, ce que les images, les commentaires et in-fine, les chiffres, démontrent. Ce que le format de la course confirme !
Il suffit de porter regard sur les pentes moyennes rencontrées ce week-end à Aspen. Sur ce point, le graphique ci-dessus utilise volontairement la même échelle qu’il y a quinze jours, en Italie. L’occasion de constater deux choses essentielles.
Premièrement, qu’il aura fallu attendre la dernière spéciale pour goûter à la pente. avec 180m/km de pente, la spéciale 6 ne dément pas son statut d’ancienne piste de descente utilisée pour les championnats américains des années 2000.
Ensuite, que pour le reste, la pente s’est irrésistiblement fait désirée ! Dernier run mis à part, c’est bien simple : le run le plus pentu (n°5) penche à peine autant que le plus plat d’il y a quinze jours. Pour le reste, les pentes se situent entre celles rencontrées en Irlande et au Chili…
À la différence près qu’ici, les runs sont bien plus longs. Le dernier du samedi (n°3) et le premier du dimanche (n°4) notamment ! 14min30 et 17min15 en moyenne pour chacun d’eux. Le run dominical surtout : le plus long, mais aussi le plus plat du week-end. En prise, à la relance, irrémédiablement.
Deux runs et un week-end de compétition particuliers. Une toute autre manière de dévaler la montagne. « Flat out » comme disent les Américains ! D’autant qu’il y a un paramètre évident en ce sens. Autant les pentes sont irrémédiablement plus plates, autant les vitesses, elles sont stratosphériques !
À quelque chose près, la spéciale 4 – la plus longue et plate du week-end – se fait plus vite que le run le plus rapide de La Thuile. Mieux – ou pire, c’est selon – le record de vitesse moyenne en spéciale est pulvérisé de 10km/h. À presque 38km/h de moyenne, cette EWS Aspen 2016 s’est courue 8km/h plus vite que la plus rapide des précédentes, en Argentine..! Pas étonnant donc que Nicolas Lau, notamment, ait laisser filtrer une vitesse max de 71km/h enregistrée en spéciale à l’issue du premier jour.
Terrain lisse, haute vitesse, pentes douces et longs runs… Le cocktail idéal pour laisser parler la puissance, la finesse et la vitesse. De quoi commencer à saisir comment le couple Jared Graves / Stumpjumper 29 a survolé les débats.
Évolution du classement
D’autant que l’on connaissait la situation de l’Australien avant d’arriver dans le Colorado. En plein questionnement, pour ne pas dire en plein doute. Normal, après un tel début de saison. Dans pareil circonstance, il aurait d’ailleurs pu se démobiliser. Il n’aurait pas été le premier. Pourtant, l’évolution du classement laisse entrevoir une toute autre approche.
Sa courbe, parfaitement plate, au sommet du classement de bout en bout, en dit long. Son étonnement à l’annonce de son premier temps du week-end également. Jared Graves ne s’attendait certainement pas plus à pareil fête. Il semblait d’ailleurs bien plus concentré sur sa tâche, que sur son résultat.
Une évidence quand on l’écrit, une manoeuvre intellectuelle bien plus ardue dans la peau d’un athlète. Le terrain du Colorado, qu’il a si souvent arpenté et apprécié par le passé, a donc pu lui servir. En connaissant la musique, il était plus facile pour lui de se détacher de la partition et laisser aller l’inspiration. Le meilleur moyen de rester en haut du classement, sans réellement cogiter…
D’une certaine manière, Nicolas Lau démontre aussi une certaine aisance sur ce week-end EWS Aspen 2016. Ce paramètre dont il fait part lorsqu’on l’interroge sur son choix de rouler en 29 pouces depuis la mi-saison. Le temps pour lui de laisser passer la fougue de Martin Maes, et le voilà installé au second rang, sans jamais s’en détacher…
Évolution des écarts
C’est, de toute façon, ce que l’évolution des écarts confirme. Sa courbe, comme les autres, subit la loi de Jared Graves. Mais elle surnage mieux !
C’est d’ailleurs ici que l’on voit l’influence des deux longs runs du week-end. C’est bien pour constituer les écarts à l’issue de la spéciale 3, et plus encore à l’issue de la spéciale 4, que les plus forts plongeons sont visibles. Preuve, s’il le fallait, que le monstre physique Jared Graves est de retour…
La dimension physique, parlons en. C’est elle qui semble avoir fait le tri entre les autres prétendants au podium. En partie du moins. Comme en Italie, Jérôme Clementz a mesuré l’opportunité qui s’offrait à lui au début du second jour. Il est celui, et de loin, qui subit le moins la loi de Graves sur la spéciale 4.
L’occasion pour lui de s’extirper du paquet très serré formé avec Curtis Keen, Damien Oton et Rémy Absalon au soir du premier jour… Et de creuser un écart irrattrapable ensuite ! Martin Maes est bien le seul a avoir à peu près tenu la cadence. Avant d’en payer le prix au run suivant.
Jérôme Clementz lui même ne disait-il pas, en préambule du week-end, que les capacités de récupération pendant et entre les spéciales joueraient un rôle capital ?! Heureusement d’ailleurs, qu’il n’a pas baissé les bras après sa crevaison en première spéciale..!
Rythmes en spéciale
Cette physionomie de course se confirme à la lecture des rythmes en spéciale, exprimés en pourcentage d’écart au meilleur temps.
Jérôme Clementz, Josh Carlson, Mitch Ropelato et Jesse Melamed sont bien ceux qui semblent avoir ciblé, et réussi à mettre à profit, la spéciale 4 de cet EWS Aspen 2016.
La lecture des rythmes en spéciale ne s’arrête pas là. Une vue d’ensemble et une valeur particulière valent le détour. Sur les cinq premiers runs, le top 20 n’a jamais été relégué à plus de 6% du meilleur temps. À titre de comparaison, la valeur s’approche plus souvent des 8 à 10% sur les runs les plus stratégiques depuis le début d’année.
Surtout, le dernier run, plus technique, se rapproche de ces valeurs. Certes, Jared Graves a dit s’être relâché pour ce « run de la victoire. » Il n’en reste pas moins que derrière, des places se jouaient encore à quelques secondes près.
Il en convient donc une fois de plus du caractère particulier de cet EWS Aspen 2016. comme les étapes du Colorado les années précédentes, la vitesse et la puissance, au détriment de la technique et du sinueux, poussent à une compétition serrée… Et des prises de risques maximales.
En témoigne la liste des crashs et blessures qui résultent du week-end : Richie Rude (épaule démise au recos), François Bailly-Maitre (avant bras ouvert aux recos), Alex Cure (avant bras ouvert en préambule), Théo Galy (poignet touché le premier jour), Damien Oton, Martin Maes & Cody Kelley (indemnes, en course), Pour ne citer qu’eux…
Plus en détail, avec le Quark
C’est désormais une habitude, l’organisation commence à rendre publiques les données Quark, récoltées via GPS auprès des meilleurs mondiaux. Cette fois-ci, la spéciale 3 nous intéresse particulièrement. Entre chutes et différences creusées, les courbes d’écart entre les cinq meilleurs recoupent certains points pertinents de l’analyse.
C’est donc là que l’on mesure l’impact des chutes en course. Damien Oton – à 2,5km du départ – et Martin Maes – peu avant l’arrivée, ont fait savoir leur mésaventure. Ce n’est pas le cas de Nicolas lau, même si sa courbe en a l’air au bout de 500m de spéciale…
À moins que ce soit le premier coup de cul, négocié tranquillement avant de monter en puissance au fur et à mesure de la spéciale ? Possible. D’autant qu’ensuite, sa prestation au pédalage, sur la portion plate entre le 3ème et le quatrième kilomètre lui donne en partie raison. Il y revient bien… Avant de payer ses efforts dans la pente qui suit.
En la matière, approche différente de la part de Martin Maes. À bloc au début, au train ensuite… Pour mieux gagner du temps dans la pente ensuite. C’est, d’ailleurs, ce que Damien Oton avait très bien fait, sur le premier coup de cul, avant de chuter…
Quoi qu’il en soit, tous ne dérogent pas à la règle. À cette altitude encore plus que d’habitude, la récupération en spéciale est primordiale. Sur de telles durées, il est bien illusoire de penser pouvoir rouler à fond, de bout en bout.
Reste à voir ce que le tempérament, le matériel, la condition du moment et le terrain peuvent offrir comme combinaison possible. C’est bien là, de toute façon, toute l’intelligence de course qui caractérise les meilleurs athlètes.
Places en spéciale
On termine par le traditionnel tableau des places scratch en spéciale. Dernière occasion de mettre en évidence les comportements de certains.
Jared Graves et son « run de la victoire » en premier lieu. Pas de carton plein pour le vainqueur du week-end, qui avouait lui même à l’arrivée avoir rempli son contrat en faisant « un 5/5 » bien suffisant pour la gagne.
Derrière, le tableau permet surtout de se pencher une nouvelle fois sur les capacités de récupération. C’est là, notamment que l’on constate le contraste entre les premiers et seconds jours de Martin Maes et Damien Oton. Chutes dans le troisième run du samedi, ou simple fatigue ? Dans les deux cas, un second jour plus difficile que le premier, à n’en pas douter.
L’occasion, enfin, de parler un peu du retour en forme de Jesse Melamed. Le Canadien avait déjà donné de bons signes à La Thuile. Mais un mauvais run le second jour, l’avait éclipsé des devants de la scène. Cette fois, leçon en partie retenue. S’il a un coup de mou samedi après-midi, il marque des points le lendemain, pour décrocher un top 10 mérité.
Qu’en penser ?!
Une fois de plus, l’analyse « Entre les chiffres » d’une étape Enduro World Series réserve son lot d’apprentissage en matière d’Enduro. Une pratique sportive à part entière, qui repose sur plusieurs qualités intrinsèques.
Ce week-end, le contraste avec l’étape précédente, le dépaysement et l’acclimatation ont d’abord demandé à la plupart des pilotes certaines capacité d’adaptation. Ensuite, l’altitude, la vitesse et la faible pente leur ont demandé une certaine dose d’engagement, sans retenue face aux sensations parfois contradictoires, souvent poussées dans des limites explorées nul part ailleurs. Enfin, l’intensité et les faibles écarts en course ont poussé chacun à affiner sa dépense énergétique, et la fine gestion des temps de récupération.
Dans tous les cas, nombre d’éléments pour expliquer les performances de chacun. Notamment la victoire de Jared Graves sur un Specialized Stumpjumper plus adapté à cette course qu’il pouvait y paraitre au premier abord. La montée en puissance des 29 pouces – 5 dans le top 10 – ensuite, sur ce terrain fuyant où le grip est précieux. Sur ces tracés très rapides, où la moindre perte de vitesse se paie cash, ou à la relance suivante… Synonyme de dépense d’énergie excessive dont il faudra récupérer ensuite.
Bref, une nouvelle fois une dimension stratégique implacable, essence même de l’Enduro et de ses charmes. À chacun ses armes, à chacun ses choix, à chacun sa perf’ ! Vivement la suite !