EWS de La Thuile 2016 : Analyse – Entre les chiffres

entreleschiffres-lathuile-02Pour la quatrième étape de l’Enduro World Series 2016, le gratin mondial faisait étape à La Thuile – Italie. Une étape que tous les observateurs ont apprécié à sa juste valeur : peut-être la plus relevée et la plus impressionnante des manches EWS qu’il nous ait été donné d’analyser. Effectivement, au moment de lire « Entre les chiffres » de cette EWS La Thuile 2016, plusieurs éléments forts permettent de classer l’événement parmi l’élite des instants forts de notre discipline émergente…

 

 

 

Format de la course

Après 3 premières épreuves fortes en caractère, pour ne pas dire atypiques, l’Enduro a finalement retrouvé son essence, ses racines. C’est ce que les chiffres et l’analyse de cette EWS La Thuile 2016 démontre clairement. La discipline n’en a pourtant pas perdu en force et en identité. Ce week-end, le circuit mondial a tout bonnement regoûté à la montagne, la vraie !

Il suffit de jeter un œil à la pente rencontrée ce week-end. C’est bien simple, les spéciales les plus pentues de Wicklow – Irlande – ou Corral – Chili – étaient tout juste aussi pentues que les plus plates – spéciale 3 et 4 – de la Thuile. Toutes les autres frôlaient avec la barre des 200m de D- par spéciale, précédemment rencontrée… Sur les pentes du Cerro Cathedral, terrain alpin d’Argentine !

Il existe un autre paramètre qui démontre qu’en ce week-end EWS à La Thuile 2016, l’Enduro a renoué avec la montagne : la durée des spéciales. Non content d’être dans la pente, les pilotes ont dû y tenir, un long moment : 9 à 10min en moyenne ! Soit 2min de plus que les spéciales déjà qualifiées d’alpines du Cerro Catedral argentin. Largement le temps de mettre les organismes à rude épreuve. D’user les plus braves d’entre tous… 

Premier élément tangible pour étayer les qualificatifs du week-end : l’un des plus difficiles, denses et relevés de l’histoire Enduro World Series. 

C’est aussi à ce moment de l’étude de la course que l’on commence à identifier les spéciales qui, de par leurs spécificités, peuvent peser sur la compétition.

À commencer par la première ! Relativement longue, dans la pente et – ce que ne révèle pas le graphique – précédée de la seule liaison à la pédale du week-end… Mais quelle liaison : 900m de D+ à couvrir sur un peu plus de 2h imparties. 

Les spéciales 3 et 4 ensuite. Globalement moins pentues, mais les plus longues – en temps et en distance – du week-end. Et qui dit longueur, dit multiplicité des opportunités pour creuser l’écart, ou prolifération des risques de flancher. 

Dans les deux cas, il est intéressant de noter, on va le voir, que ce soit en grande partie dans ces spéciales que la victoire de Richie Rude se soit jouée. Davantage du moins, que dans les très fortes pentes des spéciales 2, 5 et 6 qui ont eu leurs impacts sur le reste de la concurrence. Comme si, en s’accaparant certaines qualités et opportunités, l’Américain n’avait laissé que des miettes à ses concurrents directs…

 

 

 

There's a smile in that silhouette. Another second place for Sam Hill

Évolution du classement

C’est, du moins, ce que l’évolution du classement laisse présager. À aucun moment, Richie Rude n’a laissé le soin à l’un de ses concurrents d’occuper la première place. En tête de bout en bout, le pilote Yeti/Fox signe ici la plus implacable domination d’un week-end de course depuis le début de saison…

Pour autant, le comportement des poursuivants n’est pas sans intérêt. À commencer par le mano à mano Sam Hill vs Damien Oton. Où comment, malgré un début timide et une fin avec des bras en compote, le Catalan n’a pas démérité et à peine cédé face à la légende australienne. On y reviendra d’ailleurs au moment d’étudier les écarts, mais on perçoit déjà ici le duel qui oppose les deux pilotes sur les spéciales du second jour. Pourtant dominé par un pilote à la renommée sans limite, le pilote Devinci a osé, sans démériter.

Francois was the only man to go inside on this corner and although it may not of paid off here it didn't affect his 4th place today!

C’est aussi l’occasion d’illustrer la prestation de François Bailly-Maitre. Déjà observé, sur le coup, comme engagé et déterminé dans la pente, le Jurassien et sa courbe au classement démontre une belle prestation dans les fortes pentes des spéciales 5 et 6… Là où, de prime abord, nous n’attendions pas celui qui a, avant de briller en Enduro, fait carrière en équipe de France XC. Preuve une fois de plus qu’il est, très certainement, un exemple à suivre pour ceux qui veulent suivre pareil trajectoires… Et qu’un 29 pouces – François utilise le BMC Trailfox 29 –  à sa place dans la pente et sur les terrains techniques.

L’occasion enfin de noter à quel point, les deux profils de spéciale qui se sont succédés – Enduro sur les SP 3& 4, Descente sur les SP 5& 6 – ont eu leur incidence sur la course. À l’exception de Curtis Keen et Jérôme Clementz, tous ont eu des courbes relativement planes – ou du moins à la tendance claire et continue – jusqu’à la spéciale 4… Avant que l’enchaînement vers les spéciales 5 et 6 perturbe l’ordre établi et redistribue les cartes.

Un indice, si ce n’est un signe tangible, de ce qui fait l’essence d’un bon enduriste : sa capacité à s’adapter aux différences dans l’enchaînement des spéciales. C’est ce qui a promu François Bailly-Maitre, sauvé Florian Nicolaï, et maintenu Joe Barnes dans le top 10, contre vents et marrées.

La pente, c’est ce qui, visiblement, n’a pas réussi à Jesse Melamed, pourtant bien en vue ce week-end, puisque après la spéciale 4, le Canadien occupait la 4ème place scratch. Seul lui, saurait nous dire s’il en a trop donné au pédalage du premier run de ce dimanche, Et/ou si la pente a eu raison de lui par la suite.

 

 

 

Évolution des écarts

Toujours est-il que tout au long du week-end, l’ensemble des pilotes a subit la loi de Richie Rude. Il n’y à qu’à voir la forte tendance de l’évolution des écarts. Inexorablement, tous les pilotes ont plongé sous sa domination.

Tout juste pouvons nous mesurer l’impact que peut avoir la rivalité sur les pilotes les plus en verve. Sam Hill et Damien Oton, en l’occurrence. C’est ici que l’on voit que leur compétition dans la compétition a élevé leur niveau par rapport au reste du plateau. À tel point que – Richie Rude mettant à profit son avantage pour contrôler la course – les deux hommes ont hissé leur niveau et fait presque jeu égal avec le leader du moment. 

Autre phénomène intéressant, on perçoit clairement les deux options stratégiques qui s’offraient aux pilotes. Attaquer au pédalage de la spéciale 4, ou garder de la fraîcheur pour tirer partie de la pente des spéciales 5 et 6. Jesse Melamed, Florian Nicolaï, François Bailly-Maitre et Curtis Keen ont joué la première option. Mais au final, on l’a vu précédemment, seuls ceux qui ont réussi à maintenir leurs efforts dans la pente, FMB et Florian Nicolaï – que l’on sait à l’aise dans ce cas de figure – en ont réellement tiré parti. 

Fabien had a mechanical on the first stage followed by two top 10 results!Enfin, ceux qui se posaient la question de la véritable valeur du retour de Fabien Barel trouvent ici leur réponse. Il suffit de relever sa courbe de l’écart de 1min10s env. constitué dès la première spéciale – sur casse mécanique – pour se faire une idée de sa prestation.

Notamment pour constater que le bagage technique du Niçois lui permet de rester assurément dans le coup. Les analyses vidéo que l’on vous proposera plus tard, issues d’images réalisées lors de cette EWS La Thuile 2016, en seront d’ailleurs l’illustration !

Fabien barel n’étale pas son talent que pour des leçons de pilotage éclair sur les réseaux sociaux, il ose en faire usage en compétition… Avec brio ! Il n’y a qu’à voir à quel point son aisance dans la pente étriquée des spéciales 5 et 6 lui ont permis de tirer partie de la situation, et finir par revenir dans le jeu… Le top 20 en l’occurrence !

 

 

 

 

 

 

Rythme en spéciale

Une fois de plus, le rythme instauré en spéciale est l’outil idéal pour illustrer comment Richie Rude domine son sujet. C’est bien simple, c’est lui – dont la courbe est en haut en permanence – qui impose le rythme ! Surtout, d’un point de vue stratégique, c’est lui qui cible les spéciales, et décide d’où il tue la course… Il n’y a qu’à voir le comportement tortueux des courbes de tous ses adversaires. Illustration parfaite de ce que l’on appelle littéralement « se faire tordre ! »

Cette fois-ci, les spéciales 1 et 3 ! Et dans l’ambiance pesante qui peut entourer ces prestations, les chiffres ont leur importance. Au rythme : 3% plus rapide dans la première, 5% dans la seconde. Des valeurs proches de ce que Blenkisop, Maes, Frereiro et Rude étaient déjà capable de coller à la concurrence, dans la pente, de bon matin ou en fin d’après-midi, en Argentine.

Mais surtout, un ton au dessus là où il y a le plus à gagner ! 3 à 5% plus rapide constitue un matelas plus important sur ces spéciales longues qui approchent les 10min, que sur les plus courtes du week-end. De tels efforts auraient ainsi eu moins d’impact s’ils avaient été portés sur les spéciales 2 et 6…

Un signe d’intelligence de course importante si l’on garde en tête ce que l’on connait des spéciales 1 et 3. Longue, pentue et truffée de changement de rythme dans la première. Rapide, en prise et ponctuée de section de pédalage pour la troisième. Typiquement le terrain où la puissance, la force et la solidité du bonhomme peuvent s’exprimer et surtout, offrir un retour sur investissement de premier plan.

Des propos qui concordent avec les données Quark – pour la première fois rendues publiques par l’organisation – collectées au cœur de la spéciale 3, la plus rentable pour Richie Rude.

Elles permettent en effet d’accéder à un nouveau niveau de lecture, au cœur même de la spéciale. On y voit notamment qu’il n’y a pas de secteur clé au sein duquel Richie Rude gagne du temps par rapport à ses concurrents.

Certes, la forte pente en fin de spéciale, démontre qu’effectivement, il gagne 5s sur tous ses adversaires au dernier pédalage. Là-même où Curtis Keene prend un tire, Jared Graves, et Damien Oton se défendent particulièrement bien, et où Sam Hill s’offre le droit d’espérer faire fort le lendemain.

Sans, ça, c’est bien simple, Richie est surtout plus rapide, partout ailleurs, plus tôt dans la spéciale. Il gagne des fractions de seconde dès que l’occasion se présente. Il a gagné 5 seconde de plus que tous les autres sur le dernier coup de cul. Mais il l’a très certainement abordé plus frais que tous le monde.

Avant ça, il a su bien mieux tirer parti de la moindre impulsion, de la moindre attaque de freinage, du moindre centimètre de trajectoire ouvert ou arrondi, du moindre appuis plus amorti ou marqué en fonction du terrain et de l’élan du moment, du moindre quart de coup de pédale mis à profit entre deux gestes techniques…

C’est l’illustration parfaite de cette notion que l’Enduro met en évidence : le rythme. Non pas un temps gagné à pédaler plus fort au pédalage, ou en usant d’une trajectoire plus courte que les autres. Non, cette capacité à générer de la vitesse, à la garder et à la bonifier au fur et à mesure de la spéciale, sans jamais s’effondrer, mais au contraire, permettant de franchir les obstacles en dépensant moins d’énergie.  Les anglo-saxon parlent de « momentun ». Savoir le maîtriser et en jouer n’est pas donné… Quelque part, il ne suffit pas de pousser plus fort pour aller vite. Parfois, à l’inverse, à un certain niveau, aller plus vite rend les choses plus faciles. Ça rejoint, quelque part, l’état d’osmose dont parle Yoann Barelli dans l’excellent Instantané Endurotribe, paru en début d’année…

Toujours est-il que ce graphique permet de lire à quel point le jeune Américain a fait preuve de sang froid et de pertinence. Il a su tirer profit de ses qualités là où le terrain s’y prêtait, a pu frapper fort lorsqu’il le fallait, et contrôler ensuite pour s’imposer. Une intelligence de course qu’aucune suspicion ne peut lui enlever. Une fabuleuse dimension stratégique mise en évidence et qui contribue à caractériser l’Enduro en tant que discipline sportive à part entière.

 

 

 

Champagne as the sun goes down

Place en spéciale

Après de tels propos, l’étude des places en spéciale en deviendrait presque anecdotique. Elle permet tout de même de faire une nouvelle allusion au match Enduriste vs Descendeur que la pente italienne a favorisé.

Ou comment Sam Hill est totalement passé à travers la spéciale 4 – dans laquelle il a chuté, en voulant conserver un maximum de vitesse sur la section la plus plate et défavorable – avant de frapper fort dans les spéciales 5 et 6. À l’inverse, comment, au courage et sur le métier, Jérome Clementz a sauvé le week-end en faisant parler la poudre dans la spéciale 4. Comment Fereiro, Brosnan, Blenkinsop et Barel, tous descendeurs dans l’âme, ont subitement pris les devants de la spéciale 5 aux faux airs de World Cup sur toute sa partie basse.

Enfin, on terminera sur une note spéciale : celle de Damien Oton ! En commentaires de l’analyse statistique de l’EWS Cerro Catedral d’Argentine, le pilote catalan avait salué le travail d’analyse de la rubrique « Entre les chiffres ». Il espérait alors voir plus de case foncées sur son profil à l’avenir. C’est chose faite Damien 😉

Et pas n’importe comment. Sur un événement hors norme, du moins moteur et formateur à bien des égards.  Nul doute qu’avec l’ensemble des éléments apportés par cette nouvelle étape EWS La Thuile 2016, le petit monde de l’Enduro et de ses pilotes de premier plan va s’en donner à cœur joie. Entre analyse, questionnement, supposition et pistes de progression, un tel événement n’a pas fini d’inspirer, ou d’influer, c’est selon.

Analyse des parcours, maîtrise de ses capacités propres, sens stratégique, compétences d’exécution… Quelque part, finalement, la compétition ne se cantonne pas à la suspicion. Ce week-end, elle se situait aussi sur des plans intrinsèques à la pratique. Une manche EWS qui, à bien égard, pourrait faire date. Un instant fondateur pour un sport qui, l’air de rien, entre d’une certaine manière définitivement dans son ère moderne…?!