EWS de Wicklow 2016 : Analyse – Entre les chiffres

entreleschiffres-une-03Pour la troisième étape de la saison 2016, les Enduro World Series ont fait étape à Wicklow – Irlande. Le spot est atypique et, de prime abord, pourrait laisser les plus puristes sur leur faim.

Pourtant, au terme d’une course à rebondissements, plusieurs éléments incontournables d’une bonne compétition d’Enduro répondent à l’appel. À commencer par une règle de base…

Photos : Enduro World Series

Format de la course

À Wicklow, l’unique colline qui constitue le terrain de jeu, culmine à 381m d’altitude et s’étend sur à peine 10 kilomètres carrés de surface. Autant dire que l’exploit des traceurs est ici d’aboutir à 7 spéciales et 45km de course.

Dans ces conditions, normal de trouver des runs de 3 à 5min. Difficile d’envisager plus. C’est là l’une des premières caractéristiques de la course puisque, nécessairement, faire la différence sur si peu est à double tranchant : plus difficile, mais plus gratifiant, de se démarquer de la concurrence.

Sous un autre angle, des pentes et dénivelés d’Argentine (+ de 200m/km & 600m de D-) à ceux de Wicklow (- de 130m/km & 200m de D- max), le contraste est saisissant. Preuve, s’il en fallait, que l’Enduro peut-être une discipline universelle, ou quasiment.

Il lui faut tout de même de la pente, et un terrain de jeu qui offre son lot d’obstacles naturels. En matière d’inclinaison, le tracé de Wicklow se rapproche de ce que les pilotes ont connu en ouverture de la saison, à Corral – Chili. Là-bas, il s’agissait d’une course à l’usure, de par sa longueur…

Moins à Wicklow, puisque la course ne se déroule que sur une journée. Mais quelle journée. Entre l’intensité et l’ambiance, nul doute que l’usure morale ait joué son rôle en lieu et place d’une certaine usure physique. Toujours est-il que les pentes proches des 130m/km semblent donc être une moyenne basse intéressante  en Enduro.

Ici, la lecture des pentes démontre surtout l’intérêt de la pratique : une discipline qui offre aux pilotes de découvrir le territoire sous ses angles les plus subtiles. En l’occurence, la colline de Carrick et ses différents versants.

C’est ainsi que l’on devine le profile de la montagne, parcourue en étoile, depuis le sommet, dans le sens inverse des aiguille d’une montre. Le versant Sud/Est, lieu des spéciales 1, 4, 5, 6 et 7 offrant le plus de pente et de dénivelé, la longueur de la crête Nord/Est mise à profit pour tirer le plus long run du jour, et le versant Nord/Ouest au faible penchant, exploité par le plus plat des tracés, la SP3.

Cette dernière fait justement partie des traces « assassines » du jour : ce sont bien dans les  spéciales 2, et 3 qu’une partie de la course s’est jouée. Après la première spéciale courte et pentue, ces deux spéciales bien plus plates et/ou longue ont tout de suite fait voler en éclat quelques prétentions. Certains pilotes très/trop enthousiastes s’en souviennent encore…

 

 

 

Évolution du classement

L’impact des spéciales 2 et 3 se lit en effet dès que l’on porte attention à l’évolution du classement. 

Dès le second chrono du jour, Richie Rude met sa domination en péril. Une crevaison le pousse de la 1ère à la 34eme place au scratch. S’en suit une irrémédiable remontée sur laquelle nous revenons par la suite.

Outre le leader, c’est aussi dans les spéciales 2 et 3 que d’autres prétendants aux places d’honneur disparaissent des écrans. Pour se donner une idée de l’impact d’une crevaison, Jared Graves est un « bon » exemple : 6eme à la fin de la SP2, il perd pied et finira 155e. Nicolas Vouilloz, Josh Carlson, Martin Maes, entre autres, subissent le même traitement. Voici donc les premiers signes d’une course par élimination, vécue ce week-end à Wicklow.

Dans un tel contexte, où faire la différence est aussi dur que gratifiant, il faut avant tout être présent, tout le temps. C’est le cas d’une bonne partie du top 10 final aux courbes relativement constantes : Théo Galy, Sam Hill et Florian Nicolaï ont d’abord fait preuve de régularité et de vitesse, avant que d’autres fassent preuve de génie…

 

 

 

Évolution des écarts

Car oui, certains ont sû faire preuve de génie pour se démarquer. Non content d’êtres rapides, ils ont sû, à un moment donner, sortir du lot au bon moment, sans hypothéquer leurs chances.

À commencer par Greg Callaghan. Une fois l’agitation des spéciales 2 et 3 derrière lui, il a sû saisir sa chance dans la spéciale 4, pour se constituer un maigre matelas, maitrisé et conservé jusqu’au bout.

À ce petit jeu, on peut surtout lire qu’à la différence des précédentes courses, Richie Rude n’a pas écrasé la course et faire sombrer tout le monde. À la place, la compétition est restée ouverte, et les courbes ne plongent pas inexorablement vers des écarts qui se creusent. D’autant que l’échelle peut être trompeuse : 10s à peine séparent les 5 premiers, Greg Callaghan ne conservant que 3,4 petites secondes d’avance sur Sam Hill au bout des 7 spéciales. Ils étaient encore 5 à pouvoir raisonnablement jouer la gagne au départ de la dernière du jour. Une nouvelle fois, la constance du Top 5 est clairement visible par rapport aux poursuivants, qui semblent avoir davantage accusé le coup en deuxième partie de course.

Pour les malchanceux du jour, éliminés de la course à la victoire, les faits démontrent à quel point la dure règle de base de l’Enduro fait foi : il faut avant toute chose finir, pour espérer briller ! Après avoir creuvé, Jared Graves a mis du temps à réparer, et pointé en retard au départ de la spéciale 4 : 1min de pénalité. Puis, trop endommagée pour continuer, sa roue arrière a dû être changée : 5min de pénalité. 

Même s’il a pointé à l’heure au départ de la spéciale après sa crevaison, Martin Maes a connu un sort similaire : deuxième crevaison, plus rien pour réparer, une spéciale sur la jante et une roue cassée : 5min de pénalité. La dure loi d’une course par élimination…

C’est ici surtout, que l’on peut voir à quel point Richie Rude, qui a beau ne pas avoir gagné la course, reste plus que jamais l’homme à battre. La crevaison et la gestion de ses conséquences font partie de l’Enduro. On a beau chercher à l’éviter, il faut faire avec lorsqu’elle survient. Et Richie l’a fait avec succès : 27s perdues (seulement), une réparation efficace, puis 23s reprises en 5 spéciales. Il parait presque évident qu’avec une spéciale de plus, il aurait pu remporter la course…  

 

 

 

Rythmes en spéciale

Effectivement, les rythmes en spéciale, basés sur les écarts en pourcentage de temps au scratch de chaque spéciale, démontrent bien que le jeune américain, leader du championnat, reste l’homme en forme de ce début de saison.

Sur 7 spéciales, il est celui qui donne le rythme sur 5 d’entre-elles. Mis à part sa crevaison dans la spéciale 2, il faut d’ailleurs toute la maestria de Sam Hill dans la pente de la spéciale 5 pour le détrôner.

De quoi surtout piquet l’américain au vif dans la spéciale suivante : sur le tracé le plus rapide du week-end, sans forte pente, il fait parler sa puissance et sa précision pour mettre tout le monde au pas. Une performance qui peut avoir de quoi impressionner tant elle lui permet de se démarquer. Aucun autre ne s’est permis telle attaque ce jour là…

 

 

 

Places en spéciales

Avec le « local Hero » Greg Callaghan, Richie Rude est donc le seul à avoir une ligne entachée d’un run « off » en tête de liste. Pour les autres – Hill, Galy et Nicolaï en premier lieu – la constance à haute vitesse prime et paye. Pour les suivants – Oton, Barelli, Wolf, Smith et Cure – l’apparition, de plus en plus marquée, de cases claires, démontre que le moindre passage à vide se paie cash… Et que la lutte pour ne pas en connaitre un second donne à la compétition un visage très dur.

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Définitivement, l’Enduro World Series de Wicklow est donc une course à élimination. Ici, la moindre erreur se paie cash, là où parfois, quelques approximations avant de craquer peuvent alerter le pilote et lui offrir une chance de se ressaisir. On est donc loin du format alpin ou de la course à l’usure rencontrée en ouverture de saison. Et pourtant, cette course est à même de grossir certains traits de la discipline pour démontrer qu’il s’agit bien d’un Enduro. Serrée, pointue… Elle demande, plus que jamais, d’être dans le coup et dans le rythme, avant de pouvoir s’octroyer la possibilité de jouer, à quitte ou double… Des qualités stratégiques que l’on doit attendre d’un bon Enduriste. Et ce week-end, ceux qui n’ont pas cherché à miser trop gros – les plus pertinents – ont gagné… C’est le jeu !

Rédac'Chef Adjoint
  1. Rude, c’est un monstre en dh et une bete de physique….je suis desolé, mais de l’avoir vu rouler ce weekend, il est imbattable

  2. Et pourquoi tu es désolé de donner ton avis ? C’est bien franco français ça 🙂
    Surtout une fois que les analyses sont lues, ton avis est plus que jamais dans la réalité des choses.

  3. le désolé veut peut etre dire qu’il va tout gagner et qu’il n’y aura pas de suspense …
    sinon pour le général il est dommage qu’un abandon te fasse perdre autant …

    je me souviens plus dans quelle discipline mais a l’époque il y avait un championnat ou tu comptais que 11 résultats su 12 par exemple … tu avais la « possibilité » d’abandonner une fois sans trop de conséquence ..

  4. @Pierre et Thomas, ça existe effectivement dans certaines disciplines, avec deux utilités possibles :
    – limiter l’impact d’un facteur jugé aléatoire (casse mécanique, difficulté d’application du règlement..)
    – favoriser la performance pure en limitant l’impact de certains aspects physiques et stratégiques
    Pour l’heure, la gestion du matériel et de la stratégie sont considérés comme éléments essentiels de la pratique de l’Enduro en compétition. Faire appel à ce procédé rapprocherait davantage encore, en un sens, l’Enduro de la Descente…

  5. Oui oui, désolé pour mon français un peu émotif….
    Vous verriez le bestiau !!! son dos, il est pas triangulaire, il est rectangulaire tellement il est musclé.
    Ses maillots, çà doit être du XXL mais il les remplit le bougre.
    Plus sérieusement, Rude crève à la 2 je crois de mémoire, il a eu le temps de rentrer au paddock, réparer, remonter au départ de la 3 sans pénalité.
    Lorsqu’il est remonté, il montait tellement vite, que les vélos électriques n’arrivaient pas à le suivre….
    Un truc de ouf et dans la vidéo dans tu le vois passer et venir défoncer l’appui en bas d’une rupture de pente, il y avait une vraie rupture de pente…..
    Je sais même pas si il touche aux freins….Impressionnant en tout cas de les voir rouler ces pro riders…
    Yohann Barelli était aussi ultra impressionnant aux recos, mais d’avoir fais 60 bornes le vendredi et autant le dimanche, les cuisses étaient à mon avis un peu trop entamées pour perfer…..

    Concernant l histoire de Joker sur une course, c’est dommage que çà n’existe pas,
    regarde Nico Vouilloz, il « perd » le général des EWS pour une « simple » crevaison sur une spéciale….
    Si tu veux gagner le général, faut allier tout, la puissance et la gestion de ton matos, à notre niveau, on peut, à leur niveau, la gestion du matos doit pas être facile.
    Au départ de la spé 3, le nombre de mecs qui sont démontés, ou crevés, même cassé des jantes…..

    Un juste milieu pour être devant.

    Perso, j ai géré tout le weekend, pas mis la gueule parterre, rien cassé, tu finis pas trop mal…

  6. Cette course montre surtout que faire l’économie de poids d’une chambre à air et même d’une rustine (si on perce la chambre de remplacement) n’est peut-être pas une si bonne idée que ça. Maintenant plus personne n’a de sac à dos sur le EWS (enfin le top 100). C’est sûr c’est mieux sans sac à dos mais si Maes a peut-être perdu toutes ses chances d’être world champ cette année à cause de ça, c’est peut-être à méditer…

  7. @Johann, attention à ne pas faire l’amalgame > « rouler sans sac » ne veut pas dire « rouler sans matériel de réparation ». Pour avoir enquêté à ce sujet, la plupart des pilotes trouvent quand même le moyen d’avoir sur eux : une chambre à air, un multi-outil, des cartouches ou une mini-pompe, un maillon rapide, des rustines autocollantes, de l’eau et de quoi manger entre les ravitos. C’est d’ailleurs ce que confirme Nicolas Filippi dans sa rubrique « de l’autre côté de la rubalise » à propos de la course :

    https://fullattack.cc/2016/05/ews-de-wicklow-2016-de-lautre-cote-de-la-rubalise-la-course/

    De plus, à Wicklow, une air d’assistance neutre était à disposition des pilotes à mi-liaison. Martin Maes avait de quoi réparer une crevaison. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait… Sauf qu’il a crevé une seconde fois alors qu’il avait épuisé son stock. En biathlon, Martin Fourcade dit souvent que pour jouer la gagne, on peut rater une cible, mais qu’à la deuxième, la victoire s’envole… C’est un peu ce que le duel Rude/Maes nous confirme ce week-end 😉

  8. @Pierre, c’est un question de choix de carcasse de pneu. Théo Galy en parle justement dans le récit de sa course :

    > https://fullattack.cc/2016/05/ews-de-wicklow-theo-galy-nous-raconte-sa-course/

    En tubeless, certains ont fait le choix d’utiliser des carcasses légères (type EXO…) relativement fragiles mais plus dynamique au pédalage. D’autres sont resté sur l’usage de carcasses lourdes (DH Casing) très robustes, mais qui pénalisent à la relance. À ce niveau, et sur une course aussi serrée, ces détails revêtent une importance capitale. D’où l’idée que certains ont pris des risques, misé gros, et que ce n’a pas forcément payé 😉

  9. c’est bizarre qu’ils soient allé cherché 400 gr sur le pneu arrière vu l’enjeu d’une crevaison, à l’époque des ES, tout le monde roulait en carcasse DH .

  10. @Guile, à l’époque des ES, le niveau n’était pas aussi resserré que maintenant, et les pneus autres que carcasse DH étaient vraiment fragiles. En dix ans les pilotes et le matériel ont évolué. Les carcasses légères sont plus robustes, même si elles n’atteignent pas la résistance des carcasses DH.
    Rapide calcul : si 400gr sur le pneu arrière peuvent faire gagner ne serait-ce qu’une dixième de seconde par relance, à 10 relances importantes par spéciale, on est déjà à 1s de différence par chrono… 7 runs dans la journée, 7s d’écart. Quand on sait que la gagne se joue pour 3,6s…

  11. Ce passage de Rude dans le défoncé est trés impressionnant: y a rien qui bronche, tout est gainé á mort, c’est une vraie bûche. Ça, + du talent, + ce qui semble souvent improbable sur des gros gabarits comme lui: de l’endurance ! C’est exceptionnel.

  12. Antoine, chapeau bas pour toutes ces explications et le travail que tu fais…..
    Je suis fan !!!!!!!!!!!!

    Si je reviens aussi sur les crevaisons :
    tous les poissards ont crevé exactement au même endroit !!! 3 mètres après le départ de la spé 2…..une flaque de merde avec au fond des cailloux tranchants….
    perso, plus JAMAIS je reviendrai sur des carcasses autre que DH, comme tu dis Antoine, c’est un peu plus lourd, du temps, mais non, le peuple, on veut juste arriver en bas 😉

  13. Merci @Bucheron25. En même temps, c’est d’une certaine manière plutôt facile pour moi > je me régal 😉
    D’un point de vue plus personnel, je te rejoins en partie sur les carcasses DH > je n’ai pour l’heure pas testé de carcasses plus légères capables de rivaliser en terme de résistance… Il faut donc effectivement, pour l’heure, se rendre à l’évidence : en la matière, le produit miracle léger et résistant n’existe pas.
    Et pour ma part, il n’y a eu qu’en de rares occasions de très grandes formes et confiance que j’ai osé monter plus léger, pour tenter un coup et mettre toutes les chances de mon côté. Ça a peut-être porté ses fruits 3 fois en quinze ans de compétition 😉 Le reste du temps, une petite approximation sur une once de fatigue ou un petit imprévu dans la roue d’un autre a toujours eu raison des carcasses légères… Alors que les carcasses DH pardonnent et permettent de finir…
    Mais tout ceci reste un vécu individuel et personnel. Je conçois que certains plus talentueux et mieux préparé puissent s’offrir ce luxe… Ces choix font partie de la compétition, et exceller en ce domaine fait partie de ce que l’on appelle le haut niveau. C’est beau, et inspirant !

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