Stone Riders – Épisode 3, « Oups j’ai fait tomber le Mont Granier »

Après le plateau du Coiron en Ardèche et la crête du Mont Charvet en Savoie, David Rimailho souhaite nous faire découvrir son terrain de jeu. Direction le Mont Granier pour ce nouvel épisode de Stone Riders…

 


Temps de lecture estimé : 7 minutes –  Récit : David Rimailho – Images et montage : UBAC Média. Animations : Alexis Benoit


 

 

Direction « mon jardin »

Pour ce troisième épisode, direction « mon jardin ». Pourquoi aller plus loin, alors qu’une des montagnes mythiques des Alpes se trouve à deux pas de la maison ?

Et pourtant, il est quasiment certain qu’une grande majorité d’entre vous ne connaisse pas ce sommet du massif de la Chartreuse, en Savoie.

Avec un point culminant à 1933 mètres d’altitude, il fait en effet pâle figure par rapport au Mont Blanc ou au Cervin. Et pourtant, en l’an 1248 après J-C, il est entré à jamais dans l’histoire…

Dans la nuit du 24 au 25 novembre, un pan entier du versant Nord s’est éboulé durant d’intenses précipitations. Ce premier phénomène a provoqué un deuxième phénomène encore plus gigantesque ! En dessous de la falaise, les terrains préalablement gorgés d’eau se sont comme « liquéfiés » à cause de l’énergie délivrée par l’impact. Un glissement de terrain s’est alors propagé sur plusieurs kilomètres, rasant au passage de nombreux villages. Cet événement exceptionnel a coûté la vie à près de 1000 personnes…

 

 

La légende dit qu’il s’agissait d’une punition divine infligée à Mr Jacques Bonivard pour avoir chassé des moines de leur prieuré afin de s’y installer. Mais comme Dieu fait bien les choses, les matériaux éboulés se sont arrêtés au pied de la vierge dorée de l’église de Myans, église où s’étaient réfugiés les moines…

David Gautier, l’auteur du conte pour enfant « Oups j’ai fait tomber le Mont Granier » dont notre titre s’est inspiré (éditions Boule de Neige, un super conte pour enfant sur l’éboulement du Mont Granier survenu en l’an 1248), propose quant à lui une version qui, personnellement, me semble plus plausible, ne croyant plus en Dieu depuis longtemps. L’histoire met en cause une jeune bergère nommée Ninon qui aurait jeté un emballage d’une barre chocolatée. La pression exercée par ce papier sur cette falaise en équilibre précaire aurait alors causé ce cataclysme.

Même si je suis d’accord avec l’auteur qu’à l’époque trop de bergères jetaient leurs déchets après avoir consommé une barre énergétique (comme trop de VTTistes d’aujourd’hui…), je pense plutôt que Ninon a eu une envie pressante au sommet de la montagne. Une goutte de trop et…!!!

Pour ceux qui veulent aller plus loin :

Aujourd’hui, la falaise créée suite à l’éboulement mesure plus de 700m de haut. Cette face Nord vertigineuse domine le bassin chambérien et la combe de Savoie.

Juin 1953, janvier 2016, mai 2016. Toutes ces dates correspondent à d’autres éboulements plus récents. On est bien loin des 500 millions de m3 de l’événement de 1248 mais c’est quand même à chaque fois des morceaux de plus de 100m de haut qui se décrochent de la falaise.

 

 

Mais alors, pourquoi donc cette montagne ne tient-elle pas en place ?

Tout d’abord, le Mont Granier, comme toutes montagnes, est destiné à devenir une plaine… pas de panique ! Il va bien sûr falloir plusieurs millions d’années pour que cela arrive…

Une montagne, c’est la lutte perpétuelle entre surrection (élévation) et érosion. Tant que la tectonique des plaques pousse assez fort pour que les montagnes grandissent plus vite qu’elles ne s’érodent, on parle de montagnes jeunes (Alpes et Pyrénées en France). Un jour, cette activité ralentira et les montagnes s’effaceront progressivement, on parle alors de montagnes anciennes (Massif Armoricain, Vosges et Massif Central en France).

Ensuite, le Mont Granier est un véritable gruyère. Plus de 74km de galeries souterraines ont été explorées par les spéléologues dans ce massif calcaire ! Ce réseau souterrain est lié à la fracturation initiale du massif lors de la formation des Alpes, à la présence d’un grand plateau au sommet qui fait office d’entonnoir et à la dissolution des calcaires par l’eau de pluie et de fonte nivale. La dissolution est un phénomène un peu plus complexe et plus lent que la mise en solution des Gypses expliquée précédemment dans l’épisode 2. L’eau doit être chargée en CO2 pour que la réaction chimique se produise. Le CO2 provient de l’atmosphère et des racines de la végétation qui poussent en surface. Cette réaction est plus efficace avec de basses températures et donc, en montagne.

A la longue, l’infiltration importante d’eau favorise l’ouverture des fissures et l’érosion des marnes sur lesquelles repose une falaise calcaire de 300m de haut. Progressivement, des surplombs se forment sous les falaises jusqu’au jour où la limite d’équilibre est atteinte.

 

 

Et le VTT dans tout ça ?

Le Mont Granier est un sommet qui se gagne au mental et à la force des mollets par les versants Ouest et Est*. Plusieurs heures de portage sont nécessaires pour atteindre le plateau sommital. Ici, pas d’immenses falaises mais une succession de vires et de courts ressauts rocheux décorés par des épicéas déformés par la neige et le vent.

* Attention, l’accès par le versant Est est actuellement interdit suite aux éboulements de 2016. C’est le côté le plus sympa à rouler, mais quand on voit la taille des blocs qui ont traversé le sentier, il ne faut pas être dans le secteur si cela doit se reproduire….

 

 

Là-haut, cela ne roule pas toujours très bien, à moins de s’appeler Danny McAskill, ça trialise sec ! Par contre, le paysage offert en récompense est juste sublime. Le plateau ensoleillé s’interrompt brutalement par un grand « gaz » de 700m. Une falaise hostile, à l’ombre, avec comme toile de fond les courbes douces du lac du Bourget et du Mont Blanc. Un must esthétique !

A la descente, là-aussi le Granier se mérite ! De la pente, un sol fuyant alternant avec des grosses marches (trop ?!) engagées et la peur au ventre de fendre le crâne d’un randonneur en deux à cause des pierres qui débaroulent sous nos roues malgré un ride sur des œufs…

 

** La grotte à Colon (connue pour la découverte de squelettes d’ours des Cavernes >> musée des ours des cavernes dans le village d’Entremont le Vieux)

Une courte remontée au col du Granier permet d’avaler une deuxième descente d’environ 700m de dénivelé. La descente jusqu’à la vallée se fait via le sentier ultra ludique du lac Noir. Les pentes sont modérées, chahutées avec quelques gros blocs bien enchâssés dans le sol servant d’appels naturels. Dans notre région où l’on est plutôt habitué à des pentes fortes et de longues traversées à flanc de montagne entrecoupées d’épingles, vous imaginez bien que c’est un petit coin de paradis !!!

Et c’est là que les VTTistes se réjouissent de l’éboulement de 1248 sans le savoir. Sous nos pneus, ce sol si plaisant à rouler, n’est autre que les dépôts de cette catastrophe ! Il y a 771 ans des villages entiers se faisaient engloutir par la montagne…

 

 

Dieu pardonnez-nous, nous ne sommes que de malheureux pécheurs qui aimons profiter de ces beaux terrains de jeu mis à notre disposition !

Désolé d’avoir fait un peu long mais vous l’avez compris, je suis raide dingue de cette montagne ! 😉

 

 

L’épisode 3 en vidéo !